Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - Tests Covid-19 : la machine est toujours grippée

Avril 2020, par Info santé sécu social

3 AVRIL 2020 PAR LUCIE DELAPORTE

Malgré la mobilisation affichée de généraliser les tests à l’ensemble de la population, la mise en œuvre reste poussive. « On pourrait faire trois fois plus », assure le syndicat des jeunes biologistes médicaux.

Élément clé du déconfinement, le dépistage du Covid-19 reste mi-avril toujours aussi balbutiant en France. Alors que les tests sérologiques – qui permettent de détecter l’immunité des patients face au virus – ne sont toujours pas validés, les tests PCR [polymerase chain reaction ou amplification en chaîne par polymérase] existants sont toujours en nombre très faible.

Après un démarrage très laborieux, le ministre de la santé avait annoncé fin mars une rapide montée en puissance des tests PCR avec l’objectif d’atteindre 50 000 tests par jour d’ici la fin du mois d’avril. Initialement réservés aux publics prioritaires, ces tests sont aussi désormais accessibles à tout patient muni d’une ordonnance.

Pour cela, le gouvernement assure passer commande tous azimuts pour acheter le matériel manquant à la réalisation de ces tests (lire ici notre article). Après de longs atermoiements, le ministère a finalement décidé de mobiliser la totalité des laboratoires susceptibles de pouvoir réaliser ces tests : les laboratoires hospitaliers, de ville, départementaux, mais aussi les laboratoires vétérinaires. Un arrêté publié le 5 avril lève les derniers verrous administratifs en ce sens.

Pourtant, malgré le branle-bas de combat décrété, sur le terrain, la mise en œuvre reste poussive.

« On doit être à 25 000 tests par jour. On pourrait faire trois fois plus », regrette Lionel Barrand, président du syndicat des jeunes biologistes médicaux (SJBM). La pénurie de matériel pour effectuer ces tests est notamment toujours là, constate-t-il.

Selon un rapport du SJBM remis à la commission de biologie médicale ce week-end, la machine à produire des tests est effectivement toujours grippée.

L’approvisionnement en « équipements de protection » dans les laboratoires, à savoir les « masques FFP2, charlottes, lunettes et surblouses » nécessaires pour la réalisation des prélèvements, pose toujours problème, note le SJBM. Concernant les masques, le rapport pointe du doigt non seulement les difficultés des laboratoires à s’en procurer mais encore le fait que « les masques reçus de cette catégorie (FFP2) sont pour la plupart périmés depuis de nombreuses années donc normalement non utilisables, même avec l’élargissement récent de l’utilisation des masques à deux années de péremption ».

Faute d’écouvillons (ces sortes de fins cotons-tiges permettant les prélèvements nasopharyngés), nombre de laboratoires se retrouvent incapables de répondre à la demande. Idem concernant les réactifs. « Actuellement et malgré les annonces ministérielles, les rythmes d’approvisionnement sont imprévisibles et les laboratoires sont contraints d’attendre le jour où les commandes arriveront », note le rapport.

« En France, notre stratégie de dépistage est adaptée à nos moyens (et non l’inverse) : là où la Corée fait du dépistage massif et un confinement ciblé, la France fait un confinement massif et un dépistage ciblé », relève amèrement le document.

Le faible montant du remboursement du test en France (54 euros), comparé à d’autres pays européens notamment, serait également défavorable aux labos français. « Le prix du test conditionne considérablement le prix auquel les laboratoires français vont pouvoir acheter les réactifs. Ainsi, même si certains fournisseurs ont des tarifs “internationaux” harmonisés, d’autres ont un intérêt financier à vendre leurs réactifs à des laboratoires non français », souligne le rapport.

Le retard pris à cause de blocages administratifs au niveau des agences régionales de santé (ARS) peine aussi à être comblé, selon le syndicat des jeunes biologistes médicaux. « De nombreux laboratoires de France ont ainsi perdu plusieurs semaines, du fait d’une mauvaise compréhension des textes par certaines ARS. Nous aurions pu réaliser beaucoup plus de tests si nous avions passé des commandes massives depuis plusieurs semaines de la part de nombreux laboratoires et auprès d’une plus large diversité de fournisseurs que ce qui a été fait. »

Enfin, les biologistes médicaux regrettent le manque de coordination entre les différents acteurs mobilisés. « Puisque s’il existe du matériel “rare” (kits d’extraction PCR Covid dans les laboratoires vétérinaires ou de recherche, stocks de masque dans les entreprises, etc.), il faut que ce matériel rare soit transmis à ceux qui en ont prioritairement besoin : laboratoires pour les réactifs PCR et professionnels de santé pour le matériel de protection. »

Du côté des laboratoires vétérinaires départementaux, qui se sont très tôt signalés aux autorités, en mettant en avant non seulement leur savoir-faire en termes de tests PCR, mais aussi leurs importants moyens (machines/réactifs), la situation progresse là aussi assez lentement. Le potentiel dans ces quelque 75 laboratoires publics est non négligeable puisqu’il est estimé à 20 000 tests/jour. L’arrêté du 5 avril a finalement autorisé ces labos à réaliser des tests Covid-19 mais la mise en route prend du temps. Certains labos départementaux vétérinaires ont déjà commencé la réalisation de tests, dans les Bouches-du-Rhône, dans le Bas-Rhin, mais d’autres attendent encore des autorisations.

« On s’est mis en ordre de marche et nous devrions être prêts cette semaine. Nous avons commandé les réactifs auprès de nos fournisseurs habituels, qui ne sont pas ceux de la biologie humaine, et mobilisé les équipes », explique le directeur général Bruno Caroff du laboratoire départemental Inovalys. Pourtant, ces labos attendent encore l’autorisation formelle de la préfecture, qui devrait arriver en début de semaine, et ils devront ensuite finaliser une convention avec les laboratoires de biologie humaine qui font les prélèvements.

Et là, le problème est le même : comment faire quand ces laboratoires partenaires manquent de matériel pour faire les prélèvements ? Une situation kafkaïenne qui pourrait rallonger un peu plus la durée du confinement.