Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - La réouverture annoncée des écoles inquiète les enseignants

Avril 2020, par Info santé sécu social

14 AVRIL 2020 PAR FAÏZA ZEROUALA

Emmanuel Macron a annoncé la réouverture des établissements scolaires « à partir du 11 mai ». Officiellement pour ne pas creuser les inégalités. Mais nombre d’enseignants et d’organisations syndicales restent sceptiques et attendent des garanties. Certains menacent déjà d’user de leur droit de retrait.

Le motif invoqué pour la réouverture des écoles est noble, mais il peine à convaincre. Emmanuel Macron a évoqué, dans sa quatrième allocution depuis le début de la crise sanitaire lundi soir, les « inégalités » que creuse la fermeture des écoles depuis mars, pour rouvrir les écoles à partir du 11 mai. « Trop d’enfants, notamment dans les quartiers populaires et dans nos campagnes, sont privés d’école sans avoir accès au numérique et ne peuvent être aidés de la même manière par les parents », a-t-il expliqué.

Pour le chef de l’État, c’est une manière de reconnaître, en creux, l’échec de la « continuité pédagogique » tant vantée par son gouvernement ces dernières semaines. L’argument, sur le fond, est recevable. En effet, pléthore d’enseignants et de familles ont raconté leurs difficultés à encadrer leurs enfants dans leur travail scolaire le temps du confinement. Le ministre de l’éducation, Jean-Michel Blanquer, avait même évoqué fin mars 5 à 8 % d’élèves « perdus » par les professeurs, un chiffre largement sous-estimé selon les syndicats et nombre d’enseignants.

Mais Emmanuel Macron a reconnu lui-même que cette décision était aussi guidée par d’autres motivations : « Le 11 mai, il s’agira aussi de permettre au plus grand nombre de retourner travailler, redémarrer notre industrie, nos commerces et nos services », a-t-il pris soin de préciser.

Le premier syndicat du primaire, souligne l’incohérence de la démarche et doute de l’assise scientifique de cette décision. « On n’ouvre pas les restaurants, mais on ouvre les restaurants scolaires, on n’ouvre pas les cinémas, mais on ouvre les écoles. Quelque chose ne va pas. On a le sentiment que l’économie prévaut sur le sanitaire. On transforme les écoles en sorte de garderie géante. L’OMS, l’Inserm ou le conseil scientifique doivent nous assurer que le risque est minime. Je crois que ce n’est pas le cas, on sait que les enfants favorisent la propagation des virus. »

Les préconisations de l’Inserm, ici dans une note du 12 avril qui prend pour exemple l’Île-de-France, tendent à donner raison à la responsable syndicale. Les scientifiques préconisent dans tous les modèles de déconfinement testés par l’Inserm le maintien de la fermeture des écoles et l’isolement des personnes âgées. Ils tablent sur une réouverture des écoles « à l’automne/l’hiver ». Loin donc de la décision présidentielle.

D’ailleurs, les responsables des organisations syndicales, à qui on avait assuré qu’aucun scénario de reprise n’était arrêté, ont appris comme tout le monde devant leur poste de télévision cette possible réouverture.

Comme tant d’autres enseignants, Nina*, professeure de SVT à Béziers (Hérault), dans un collège en REP+, est circonspecte après l’annonce présidentielle. Exerçant en éducation prioritaire, elle a plus que conscience des inégalités qui frappent ses élèves. Dans sa discipline, elle n’a eu des nouvelles que de la moitié de ses élèves. Certains, sans ordinateur chez eux, viennent tout juste d’en récupérer un, grâce au rectorat. Ils ont perdu un mois de cours. « D’un point de vue pédagogique, plus on perd le contact, plus c’est dur de raccrocher. Déjà quand on les a en face de nous, les inégalités se creusent. Alors là… »

Mais elle n’est pas pour autant convaincue par l’annonce présidentielle. « Il me semble qu’il est très affirmatif et présomptueux de dire que l’école reprendra progressivement. On ne sait pas quelle sera la situation sanitaire d’ici le 11 mai. J’espère que cela se sera amélioré, mais on ne le sait pas. Il ne faut pas que la reprise se fasse au détriment de la sécurité des enseignants et des élèves. »

Le président de la République a tenté d’offrir des gages de confiance. Il a promis que « Le gouvernement aura à aménager des règles particulières, organiser différemment le temps et l’espace », pour « bien protéger les enseignants et nos enfants avec le matériel nécessaire. » En revanche, l’enseignement supérieur, des universités aux grandes écoles, n’accueillera plus ses étudiants jusqu’en septembre.

Invité sur France 2 au lendemain de l’annonce, pour faire le service après-vente du chef de l’État, Jean-Michel Blanquer a tempéré ce mardi les annonces spectaculaires du président de la République. Il a d’abord précisé que le retour à l’école ne sera « pas obligatoire le 11 mai » et la levée du confinement se fera manière progressive, tout comme le retour dans les établissements scolaires. « Il y aura des aménagements », a confirmé le ministre de l’éducation nationale.

« Le premier critère, il est d’abord social », a souligné Jean-Michel Blanquer, suggérant que les élèves les plus en difficulté, dans les zones d’éducation prioritaire par exemple, pourraient reprendre en premier. « Il y a des élèves qui peuvent partir à la dérive à cause du confinement, aujourd’hui, il y a des enfants maltraités à la maison », a-t-il ajouté. « On va élaborer toute une méthodologie “de reprise” qui passe forcément par de très grands aménagements. En mai-juin, ce ne sera pas du tout comme avant. »

Jean-Michel Blanquer a tenu à rassurer aussi les enseignants sur le plan de la promiscuité : « Il est hors de question d’avoir des classes bondées dans la situation actuelle. On peut imaginer qu’une partie des cours se fasse en petits groupes et que le reste se passe en ligne pour les lycéens, par exemple. », a-t-il poursuivi.

Des informations confirmées par L’Obs qui évoque une reprise graduelle. Les CP et CE1 dédoublés dans l’éducation prioritaire, donc en effectifs réduits, pourraient facilement rouvrir par exemple. L’accueil par petits groupes est déjà à l’œuvre pour les enfants de soignants, encore accueillis dans les écoles pour permettre à leurs parents de continuer de travailler. Au Journal télévisé de France 2, le ministre a confirmé mardi soir que cette reprise se ferait par petits groupes.

Cette précision soulève nombre de questions. Comment parvenir à faire respecter les règles de distanciation sociale dans des établissements qui brassent tant de personnes au quotidien ou auprès des élèves les plus jeunes en maternelle et en primaire ? Comment espérer le faire dans des salles de classes exiguës et surchargées ? Le cas échéant parviendra-t-on à produire autant de masques pour 10 millions d’élèves et 800 000 enseignants ?

« Entre scepticisme et colère »
Cécile, enseignante en maternelle à Montreuil en Seine-Saint-Denis, ne se sent pas sécurisée par ces annonces. Pour les enfants de sa classe, il est difficile de respecter les gestes barrières permettant de se prémunir contre le virus. « Les enfants seront tellement contents de se retrouver qu’ils vont jouer ensemble évidemment. Sans oublier qu’il est impossible pour eux de se laver les mains correctement, ils sont trop petits, ils ne maîtrisent pas les gestes. C’est irréaliste, j’ai beau retourner le problème dans tous les sens je ne vois pas de solution. »

De son côté, Philippe Vincent, secrétaire général du syndicat des personnels de direction (SNPDEN), est tout aussi inquiet. Il se demande comment réussir à remettre en ordre de marche les établissements scolaires, avec toute la lourde logistique que cela implique.

« Il faut que nous assurions les conditions de sécurité pour que les familles aient confiance et nous confient leurs enfants. Nous devrons désinfecter les locaux, les nettoyer, avoir des masques, du gel hydroalcoolique et du savon dans les toilettes. Le 11 mai, c’est un peu court pour tout le monde », juge-t-il. Lui considère que cette date ne peut être que « le début d’un processus ». Il se demande par exemple si le secteur agro-alimentaire sera capable d’alimenter toutes les cantines en un temps record, alors que celles-ci ont écoulé tout leurs stocks avant fermeture des établissements scolaires.

Mélissa, professeure de français dans un lycée général de Seine-Saint-Denis, oscille pour sa part entre « scepticisme et colère ». Elle n’arrive pas à imaginer qu’une reprise pourrait se faire à cette date. « Nous dire qu’on va avoir du gel hydroalcoolique, c’est n’importe quoi. Ça fait dix ans qu’il n’y a pas de papier toilette dans les établissements scolaires et là d’un coup on va avoir du matériel de protection ? Le ministre a expliqué qu’il n’y aurait pas de classes surchargées alors que nous, on est en sureffectif permanent avec 35 à 40 élèves. Les salles de classe sont trop petites. On est serré, on rajoute des tables et des chaises, cela ressemble à des amphis de facs. Impossible de respecter les gestes barrières. »

Sur le plan pédagogique, veut croire Philippe Vincent, il sera impossible de reprendre « comme si de rien n’était ». Les enseignants vont demander des garanties pour leur sécurité. Sous peine de faire jouer leur droit de retrait. Cécile, l’enseignante en maternelle à Montreuil, se dit prête à le faire.

Tous s’accordent à dire que la plupart des enfants ont traversé une période difficile. Certains ont vécu le confinement dans des conditions de grande difficulté, dans des logements insalubres ou trop petits. D’autres ont été confrontés au deuil. Bien sûr, confirme Francette Popineau, les enseignants désirent revoir leurs élèves – « l’enseignement à distance, ça nous déplaît » –, mais pas à n’importe quel prix. Les enseignants, les agents dans les maternelles, ou encore les personnels de ménage et de cantine, tous sont inquiets, rapporte encore la responsable syndicale.

Frédérique Rolet, secrétaire nationale et porte-parole du Snes-FSU, premier syndicat du second degré, confirme l’inquiétude des enseignants et l’impréparation de la décision. « Vu les problèmes que cela pose, il aurait fallu en discuter avec nous avant de l’annoncer. On comprend que le président a besoin de donner un horizon, car les gens en ont assez du confinement, mais annoncer cela comme ça ce n’est pas possible. »

Elle comprend la nécessité d’une reprise, mais de manière progressive, insiste la syndicaliste. Elle aimerait qu’un soutien psychologique soit mis en place pour les élèves les plus traumatisés par cet épisode. « Comment les enseignants vont-ils s’adresser aux élèves ? Il y a un besoin de les laisser parler, reprendre les cours comme si de rien n’était n’a aucun sens. »

Elle aussi est certaine que nombre de professeurs vont manquer à l’appel. « Ceux qui ont des pathologies, les femmes enceintes ne seront pas là. Les collègues n’iront pas sans protection pour ne pas infecter toute leur famille. Sinon on se prépare à une deuxième vague d’épidémie », prévient-elle.

Jean-Michel Blanquer s’est engagé à rencontrer, dès ce mardi 14 avril, les organisations syndicales pour discuter des conditions sanitaires permettant la reprise. Les convaincre s’annonce ardu.