Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

JIM - Et maintenant tout reste à faire

Avril 2020, par Info santé sécu social

Paris, le lundi 14 avril 2020

Le Président de la République a suscité une certaine surprise en annonçant hier une possible levée « progressive » du déconfinement à partir du 11 mai. Si beaucoup ont apprécié que ce discours se montre moins lyrique que les précédents et plus concret, au-delà d’une perspective très générale, les interrogations demeurent très nombreuses et cette allocution a peut-être suscité plus de questions qu’apporté de réponses.

Respecter strictement le confinement pour espérer un déconfinement progressif le 11 mai
D’abord, quelles conditions permettront d’envisager réellement un déconfinement « progressif » le 11 mai ? La condition sine qua non est un respect strict du confinement total jusqu’à cette date, afin notamment de « réussir à retrouver des places disponibles en réanimation et permettre à nos soignants de reconstituer leurs forces ». Ce tableau très général fait écho aux trois éléments indispensables évoqués par le Conseil scientifique : le désengorgement des services de réanimation, la reconstitution des stocks de matériel et équipements de protection et une réduction du nombre de cas permettant de remettre en place une stratégie de suivi systématique des nouveaux cas.

Des règles à « adapter » : mais comment ?
Si beaucoup ont retenu de l’allocution du Président de la République la mise en avant d’une date, le chef de l’État a néanmoins signalé que la nouvelle étape qui pourrait s’ouvrir le 11 mai sera « progressive ». « Les règles pourront être adaptées en fonction de nos résultats », a-t-il encore ajouté. Pour l’heure, difficile de déterminer ce que pourrait revêtir cette adaptation. Peut-on envisager un déconfinement par région ? Sur ce point, le discours d’Emmanuel Macron ne permet pas de répondre.

Ouvrir les écoles pour faire circuler le virus ?
Ces incertitudes concernent de façon marquante les écoles. Surprenant l’ensemble des commentateurs dont beaucoup avaient affirmé que le chef de l’État allait annoncer leur fermeture jusqu’en septembre, Emmanuel Macron envisage leur ouverture là encore « progressive » à partir du 11 mai. Le Conseil scientifique ne s’était pas prononcé sur ce point précis et on le sait les avis des experts divergent profondément, ainsi que les exemples étrangers. Une prospective de chercheurs de l’INSERM concernant la région Ile de France préconisait ce week-end une réouverture des écoles en dernier lieu. Sans doute, la décision de la réouverture des écoles n’est pas étrangère à des considérations économiques. Elle correspond également peut-être au choix (non totalement assumé) de favoriser la circulation du virus, afin de favoriser une immunité de groupe.

Des incertitudes inquiétantes concernant les écoles

Au-delà des fondements « scientifiques » et « politiques » d’un tel choix, les conditions de cette réouverture suscitent de nombreuses questions. Emmanuel Macron s’est contenté d’indiquer : « Le Gouvernement, dans la concertation, aura à aménager des règles particulières : organiser différemment le temps et l’espace, bien protéger nos enseignants et nos enfants, avec le matériel nécessaire ». Le caractère progressif suppose-t-il des différences concernant la date de reprise en fonction des localités, en fonction des âges des enfants, en fonction de la situation de chacun ? Faut-il envisager une division des effectifs (supposant par exemple que les enfants aient classe par roulement ou que la scolarisation ne concerne que ceux pour lesquels le suivi à distance est le plus difficile) ? Comment aménager les moments d’accueil (temps de scolarisation revisités, arrivées dans les classes échelonnées…) ?

Quelles règles seront imposées concernant les cours de récréation, la cantine ? Comment s’assurer que les enfants malades ou vivant avec des personnes malades ne seront pas envoyés à l’école ? Comment être assuré que les matériels de protection indispensables seront disponibles en quantité suffisante ? Quelles préconisations s’imposeront concernant le port des masques et l’observation des mesures barrière ? Il faudra également penser le cas particulier des enseignants présentant des situations à risque (maladie chronique, obésité, sujets fragiles dans leur entourage…) et les enfants dont les parents présentent des situations à risque ou exercent des professions qui peuvent exposer des sujets à risque (professions médicales, aides-de-vie)… Autant de questions aujourd’hui sans réponse qui suscitent l’inquiétude de nombreux représentants des professeurs. « Reprendre normalement ne sera pas possible, donc qu’est-ce qui va être proposé en termes d’aménagement ? Est-ce qu’on va prendre des demi-classes ? On ne va pas pouvoir reprendre des classes à 35 » a ainsi observé ce matin sur RTL Benoît Teste, secrétaire général de la FSU. « C’est tout sauf sérieux (…) on nous dit que tous les lieux publics sont fermés, les cinémas, les salles de spectacle, mais pas les écoles, alors que l’on sait que c’est un lieu de haute transmission, de haute contamination, il y a un manque de précaution, ça paraît être en contradiction totale avec le reste », a de son côté réagi Francette Popineau, secrétaire générale du Snuipp-FSU. Face à ces interrogations et alors que le recours important au droit de retrait est à envisager, le ministre de l’Education nationale a pour l’heure précisé que le retour à l’école ne serait pas obligatoire, que la priorité serait donnée aux enfants en difficulté et que les précisions (sur l’accueil en petits groupes notamment) seraient prochainement détaillées.

Confinement pour les plus à risque : tout reste à préciser !
En tout état de cause, pour limiter les conséquences de la réouverture des écoles, il apparaît nécessaire de la coupler avec des mesures de confinement pour les plus à risque. Le Président de la République a évoqué cette dimension. « Pour leur protection, nous demanderons aux personnes les plus vulnérables, aux personnes âgées, en situation de handicap sévère, aux personnes atteintes de maladies chroniques, de rester même après le 11 mai confinées, tout au moins dans un premier temps. Je sais que c’est une contrainte forte. Je mesure ce que je vous demande et nous allons, d’ici le 11 mai, travailler à rendre ce temps plus supportable pour vous. Mais il faudra essayer de s’y tenir pour vous protéger, pour votre intérêt », a expliqué le chef de l’État. Là encore, cependant des questions nombreuses restent en suspens. Comment ce confinement des sujets à risque sera-t-il organisé ? Demeureront-ils soumis aux mêmes restrictions de déplacement qu’actuellement ? A partir de quel âge les mesures « s’imposeront-elles » ? Pourra-t-on proposer des solutions aux foyers multigénérationnels ? Sur ces multiples points et notamment sur l’âge limite, le ministre de la Santé n’a pas encore pu donner de précisions au cours de ses interventions de ces dernières heures, préférant demeurer évasif et indiquer que le confinement prolongé concernera « Les personnes âgées, porteuses de maladies chroniques, respiratoires, cardiaques ». Une limite fixée à 70 ans paraît une piste plausible, si l’on en croit une note datée du 30 mars 2020 et mise en ligne sur le site internet du ministère de la Santé, qui rappelle que « la population des personnes âgées de plus de 70 ans constitue le public le plus vulnérable à l’épidémie de Covid-19 ».

Masques : le doute systématique
Les experts et sociétés savantes qui se sont penchés sur le déconfinement ces derniers jours ont tous évoqué la place des masques et des tests de dépistage. Concernant les premiers, l’Académie de médecine a préconisé un port obligatoire. Le Président de la République a opté pour une position jésuitique en utilisant le mot de « systématique » pour évoquer le recours aux masques par les professions exposées et dans les transports en commun. Si cette question des masques ne peut être tranchée, c’est probablement en raison de l’incertitude concernant leur disponibilité. Sur ce point, le chef de l’État a indiqué « En complément des « gestes barrière » que vous connaissez bien et qu’il vous faudra continuer à appliquer, l’État à partir du 11 mai en lien avec les maires devra permettre à chaque Français de se procurer un masque grand public ». On comprend qu’on ne peut espérer de distribution de masques chirurgicaux à l’ensemble des Français. A contrario, on ne perçoit pas si l’accès aux masques « grand public » (c’est-à-dire alternatif) sera gratuit, comment s’organisera leur distribution et s’il est envisageable que le 11 mai certaines municipalités en soient dépourvues (en raison de l’ambiguïté de ce « à partir du 11 mai »).

Une campagne de dépistage massive considérée comme non opérante
La place des tests lors du déconfinement est pour sa part perçue comme centrale par un très grand nombre d’observateurs. Cependant, aujourd’hui, les tests sérologiques en cours d’élaboration ne sont pas encore parfaitement validés, tandis que le dépistage par RT-PCR, s’il monte en puissance, connaît toujours des freins. Clairement le chef de l’État a repoussé l’idée d’une vaste campagne de dépistage en population générale, qui permettrait pourtant de mesurer le niveau d’immunité de la population (pour les tests sérologiques). Il se repose sur les premières données disponibles, suggérant que cette dernière est restreinte. Aussi, préfère-t-il se concentrer sur le dépistage des sujets symptomatiques. « Le 11 mai, nous serons en capacité de tester toute personne présentant des symptômes. Nous n’allons pas tester toutes les Françaises et tous les Français, cela n’aurait aucun sens. Mais toute personne ayant un symptôme doit pouvoir être testée. Les personnes ayant le virus pourront ainsi être mises en quarantaine, prises en charge et suivies par un médecin », a-t-il indiqué. Si elle est plus précise, cette donnée n’évite cependant pas quelques inconnues : doit-on considérer que le dépistage des asymptomatiques est également exclu chez les professionnels de santé et les personnes en contact avec les plus âgés et les plus à risque ? De la même manière, comment s’organisera la mise en quarantaine des personnes contaminées ? Doit-on envisager une réquisition des hôtels et autres hébergements de ce type ?

Quelles libertés seront encore restreintes après le 11 mai ?
Enfin, le discours du Président de la République, s’il offre des certitudes sur les activités qui ne reprendront pas le 11 mai (restaurants, cafés et hôtels, cinémas, théâtres, salles de spectacles et musées, resteront fermés) reste imprécis sur ce qui sera possible. La liberté de circulation totale (sans attestation dérogatoire de déplacement) sera-t-elle immédiatement, pleinement et partout rétablie ? Les déplacements pourront-ils se faire par tous moyens (transports en commun) ? Là encore, faut-il envisager des limitations en fonction des régions ?

De la même manière, les boutiques non listées dans l’énumération d’Emmanuel Macron mais qui aujourd’hui ne sont pas considérées comme des commerces essentiels pourront-elles rouvrir leurs portes le 11 mai ? Si tel est le cas quelles mesures de distanciation devront-elles appliquer (limiter le nombre de personnes dans la boutique, donner l’accès à du gel hydroalcoolique, restreindre le self service…) ?

Un plan indispensable et gigantesque

Tous ces points doivent être l’objet de réponses très précises d’ici le 11 mai. « Le gouvernement présentera d’ici à quinze jours le plan de l’après 11 mai et les détails d’organisation de notre vie quotidienne » a promis Emmanuel Macron. Un débat sera également organisé à l’Assemblée, concernant le recours au tracking numérique. Parallèlement au soutien toujours constant aux services de réanimation, parallèlement à l’amélioration de la gestion des approvisionnements en matériel de protection, le gouvernement aura pour les quatre prochaines semaines une tâche immense : la préparation minutieuse du déconfinement est en effet indispensable pour éviter des conséquences dramatiques.

Aurélie Haroche