Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Regard - Le Covid-19 tue, les vautours planent

Avril 2020, par Info santé sécu social

Rien de tel qu’une bonne crise sanitaire pour se refaire une santé... économique et financière. Pendant que les premières lignes charbonnent, les « premiers de cordée » guettent les charognes.

Au moins 17.000 morts en France depuis début mars. La barre des 20.000 devrait être dépassée d’ici quelques jours. Le Covid-19 tue. Et pendant ce temps-là, pendant que tous les soignants sont mobilisés pour faire front, pendant que la plupart des travailleurs précaires s’échinent à faire tourner la machine – au risque de leurs vies –, certains se gavent, trichent, mentent et abusent de la situation.

C’est le cas des grands patrons – on l’a déjà vu ici – qui profitent de la chute des bourses pour acheter en masse des actions de leurs propres entreprises. Pour eux, les jours heureux, c’est demain. Même topo concernant les dividendes : ça va ruisseler sévère dans les poches des actionnaires ! Et le gouvernement peut faire les gros yeux, le politique n’a qu’un avis consultatif face à la finance.

Ayons ici une pensée émue pour la charité dont font preuve les sociétés françaises d’autoroutes : « Afin de soutenir les acteurs de première ligne dans la crise du Covid-19, les sociétés concessionnaires proposent de procéder au remboursement des frais de péage des personnels soignants ». C’est beau comme du Bruno Le Maire. Mais il y a une petite astérisque, que l’on peut lire dans Le Canard enchaîné : « Aucune de ces richissimes entreprises ne fait la publicité sur son site de cette initiative si généreuse [...] "Consigne a été donnée de faire le strict minimum", reconnaît un concessionnaire privé. »

Elle est pas belle la start-up nation ?

Amazon, l’exemple ultime
En parlant de ça, mardi 14 avril, la justice française a pris une décision historique : tordre le bras d’une des plus grandes entreprises mondiales, le géant de la livraison Amazon. Estimant qu’Amazon France avait « méconnu son obligation de sécurité et de prévention de la santé des salariés », la justice lui a demandé de limiter son activité aux seuls produits essentiels, sous peine d’une astreinte d’un million d’euros par jour de retard et par infraction.

Réponse quasi-immédiate d’Amazon : allez-vous faire foutre ! (nous paraphrasons). Non seulement Amazon fait appel – ce qui est son droit le plus élémentaire –, mais l’entreprise fait un chantage sans précédent. Sur Twitter, Amazon écrit :

« A la suite du jugement rendu par le tribunal judiciaire de Nanterre mardi 14 avril, nous devons suspendre temporairement les activités dans nos centres de distribution en France. [...] L’action syndicale qui a conduit à cette décision aura probablement des conséquences pour de nombreuses personnes dans notre pays. Notamment qu’il s’agisse de nos milliers de collaborateurs, des clients qui comptent sur nous en ce moment plus que jamais ou des nombreuses TPE et PME françaises qui s’appuient sur Amazon pour se développer. Cette semaine, nous demanderons aux employés de nos centres de distribution de rester chez eux. À plus long terme, nous évaluons l’impact de cette décision pour eux et notre réseau logistique français. »

À quoi reconnaît-on une telle entreprise ?

1/ elle ne paie pas ses impôts à leur juste niveau.
2/ elle se croit au-dessus des lois.
3/ elle fait payer à ses employés, à ses partenaires économiques, le prix de ses propres fautes.
4/ elle déteste le syndicalisme – profitons-en pour mentionner le fait qu’Amazon a également licencié deux de ses employées parce qu’ils ont partagé une pétition concernant les risques pour leur santé durant l’épidémie. Ce qui n’est pas sans nous rappeler cette aide-soignante syndicaliste de l’hôpital de Hautmont mise à pied après avoir interpellé la direction sur le manque de matériel de protection...
De nombreux économistes et éditorialistes ont pris la défense d’Amazon face à la justice politique, face aux méchants syndicalistes et face aux salariés fainéants. N’oubliez pas que pour ces gens-là, une vie en France vaut 3 millions d’euros. Une ligne de plus dans leur comptabilité.

Après la crise, l’écologie ?
C’est un axe politique que l’on commence à bien saisir, incarné en France par le duo Jadot-Berger. Main dans la main, l’eurodéputé écolo et le patron de la CFDT multiplient les coups. Dernier en date : une tribune publiée dans plusieurs médias européens (en France dans Le Monde) pour appeler à une « alliance européenne pour une relance verte ».

La liste des signataires est pour le moins significative :

79 eurodéputés, des écolos (Jadot, Rivasi) à la droite conservatrice en passant par les socio-démocrates et les marcheurs (Loiseau, Canfin, Durant)
37 patrons et hauts responsables d’entreprise telles que L’Oréal, Suez, Ikea, Danone, Nestlé ou Coca-Cola
28 associations d’entreprises
la confédération européenne des syndicats, avec à sa tête la CDFT
des ministres de onze pays, dont Elisabeth Borne, Brune Poirson et Emmanuelle Wargon
six think tanks et sept ONG (dont WWF)
Tout ce beau monde qui tient à « saluer les actions menées par les gouvernements européens, les institutions européennes, les autorités locales, les scientifiques, les soignants, tous les volontaires, les citoyens et les acteurs économiques ». D’après eux, concernant la « relance verte » : « La volonté politique est là ». Ils vont même jusqu’à évoquer un « green new deal » !

Tout cela serait magnifique si les mots et les actes avaient un quelconque rapport. Or, ça n’est pas le cas. Comme le révèle le média en ligne Contexte, ces mêmes entreprises « profitent de la crise pour demander le report des mesures du Green Deal ». Crise oblige, ces multinationales demandent le report sine die de toute nouvelle régulation européenne en matière écologique. Pis encore, on peut lire sur le site de Basta ! : « Les industriels français veulent continuer à bénéficier de subventions pour payer la taxe carbone bien moins cher que les ménages français, ce qui revient à les subventionner lorsqu’ils rejettent des émissions de GES dans l’atmosphère. Ces aides publiques aux gros pollueurs sont jugées "indispensables pour une partie de l’industrie". Business Europe, l’équivalent du Medef européen désormais dirigé par Pierre Gattaz, a transmis des demandes similaires de reports au Commissaire en charge du Green Deal européen, Frans Timmermans. »

Mais c’est bien aux salariés que le Medef a osé dessiner un après-Covid où ils travailleraient plus, où ils mettraient « un coup de collier », où le temps de travail, les congés payés et les RTT seraient remis en cause.

Et ce sont tous ces gens-là qui vont s’occuper de bâtir le « monde d’après ». C’est une chose trop grave pour la leur confier.

Loïc Le Clerc