Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - Plusieurs contaminations frappent la cellule anti-Covid de l’Etat

Avril 2020, par Info santé sécu social

17 AVRIL 2020 PAR YANN PHILIPPIN ET MATTHIEU SUC

Six membres de la Direction de la sécurité civile du ministère de l’intérieur, notamment son patron Alain Thirion, ont été testés positifs au coronavirus. L’affaire embarrasse la place Beauvau : ils étaient membres de la cellule interministérielle de crise qui pilote la lutte contre la pandémie.

Aéroport du Bourget, mercredi matin. Un avion de la sécurité civile débarque un détachement issu de plusieurs unités d’intervention des marins-pompiers de Marseille, du SDIS des Bouches-du-Rhône et d’une unité de pompiers militaires du Var, dépêchés d’urgence à Paris. Leur mission : décontaminer les locaux et tester des agents de leur direction centrale, la Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC), qui dépend du ministère de l’intérieur. Six membres de la sécurité civile ont été testés positifs, selon plusieurs sources.

Cette opération spectaculaire est le dernier épisode en date d’une affaire embarrassante pour la place Beauvau. Car comme l’a révélé jeudi le quotidien Vosges Matin, plusieurs personnels de la DGSCGC contaminés, dont son patron Alain Thirion, étaient aussi membres de la Cellule interministérielle de crise (CIC), l’organe central de l’État chargé de lutter contre le Covid-19, qui dépend du premier ministre mais dont les locaux sont situés place Beauvau, au ministère de l’intérieur.

Il y a donc un risque de dissémination de l’épidémie parmi des personnages clés de l’appareil d’État. La CIC est fréquentée par environ 70 personnes issues de différents ministères (qui ne sont pas forcément tous physiquement présents), mais aussi par le sommet de l’exécutif. Comme l’atteste une série de photos prises par l’AFP le 20 mars (ci-dessous), étaient réunis ce jour-là dans les locaux de la CIC le président Emmanuel Macron, les ministres Olivier Véran (Santé), Christophe Castaner et Laurent Nunez (Intérieur), ainsi que le directeur général de la santé Jérôme Salomon.

Le président Emmanuel Macron lors d’une réunion le 20 mars 2020 à la cellule interministérielle de crise Covid-19, au sous-sol du ministère de l’intérieur, entouré (de gauche à droite) par le directeur général de la santé Jérôme Salomon, le ministre de la santé Olivier Véran, le premier ministre Édouard Philippe et le ministre de l’intérieur Christophe Castaner. © Gonzalo Fuentes / AFP / Pool
Le président Emmanuel Macron lors d’une réunion le 20 mars 2020 à la cellule interministérielle de crise Covid-19, au sous-sol du ministère de l’intérieur, entouré (de gauche à droite) par le directeur général de la santé Jérôme Salomon, le ministre de la santé Olivier Véran, le premier ministre Édouard Philippe et le ministre de l’intérieur Christophe Castaner. © Gonzalo Fuentes / AFP / Pool
Interrogé par Mediapart, le ministère de l’intérieur a refusé de confirmer que des membres de la CIC ont été testés positifs. Beauvau nous a répondu que « 6 personnels sur les 72 » de la CIC ont été amenés à « se mettre en retrait » pour des « raisons médicales », et que ceux qui avaient « des symptômes pouvant s’apparenter à un Covid (fièvre notamment) ont été systématiquement isolés et renvoyés à leur domicile ».

Plusieurs témoignages recueillis par Mediapart mettent en cause le patron de la DGSC, Alain Thirion, qui aurait fait preuve d’une certaine légèreté dans l’application des « gestes barrières » à la CIC. Notre enquête met également en évidence le lancement tardif de l’opération de tests et de décontamination, mais aussi des imperfections dans la gestion sanitaire au tout début de la mise en place de la cellule de crise, qui ont été toutefois corrigées dans les jours suivants.

La pandémie de coronavirus a d’abord été gérée, à partir de la fin janvier, par la cellule de crise du ministère de la santé, qui ne s’occupe que des aspects sanitaires. Il a fallu attendre le 17 mars, le lendemain de l’annonce du confinement, pour qu’Édouard Philippe active la Cellule interministérielle de crise (CIC), un dispositif plus large utilisé en cas de pandémies mais aussi d’attentats.

La CIC, chargée de superviser tous les aspects de la crise du coronavirus, est dirigée par le préfet Thomas Degos. Elle rassemble des hauts fonctionnaires des différents ministères, dont les pontes de la police, de la gendarmerie et des pompiers.

Comme l’a révélé Valeurs actuelles, un premier membre de la CIC, un militaire haut gradé de la sécurité civile, a été testé positif « quelques jours » avant le 25 mars. Nous avons pu avoir confirmation qu’il s’agit d’un des plus hauts dirigeants du COGIP, la cellule de crise nationale des pompiers. Mais ce colonel « a été détecté très tôt et a été confiné », ce qui a limité les risques de contamination, selon une source proche de la sécurité civile au ministère de l’intérieur.

Les critiques se concentrent sur le second cas confirmé : le patron de la sécurité civile Alain Thirion, qui suscite, selon le témoignage de plusieurs sources, « une gêne certaine place Beauvau ».

Nommé en juillet 2019, ce préfet sans expérience opérationnelle chez les pompiers, peu apprécié de ses troupes selon plusieurs sources, est par ailleurs fragilisé par une enquête préliminaire pour harcèlement moral et sexuel ouverte au début de l’année 2020 à la suite d’une plainte déposée par l’ancienne sous-préfète de Calvi.

La première alerte remonte à trois semaines. Alain Thirion tombe malade, on lui diagnostique une grippe. Ce qui ne l’a pas empêché, après quelques jours d’arrêt, de revenir travailler. C’est seulement après qu’il a été testé positif au Covid, la semaine dernière, qu’il est finalement rentré chez lui, apparemment à la suite de demandes insistantes de membres de la CIC. « Le préfet Thirion voulait être très présent pour ne pas laisser la crise lui échapper… Dans son esprit, il n’était pas question qu’il ne la gère pas. Le fait d’être malade, pour lui, ce n’était pas possible », regrette une source interne au ministère de l’intérieur.

Plusieurs interlocuteurs nous ont indiqué que le préfet Thirion n’aurait pas respecté avec toute la rigueur nécessaire la mise en œuvre des « gestes barrières ». « Alors qu’il était malade, il se tenait trop près des gens, prenait les crayons d’autres personnes, toussait…, indique la source précitée proche de la sécurité civile au ministère de l’intérieur. À la CIC, les fonctionnaires présents travaillent à la pérennité des soins. On est au cœur du réacteur. Certains se sont même auto-isolés de leurs propres familles pour ne pas faire courir de risque. Et là un préfet ne respecte pas les règles qui s’appliquent à tous. »

Contacté via son courriel professionnel, Alain Thirion n’a pas pas répondu. Le porte-parole de la sécurité civile nous a renvoyés vers le service central de communication du ministère de l’intérieur, qui a refusé de répondre au sujet d’Alain Thirion.

Depuis, au moins cinq autres personnes de la Sécurité civile œuvrant au sein de la CIC ont été testées positives. On ignore à ce stade si des fonctionnaires ou hommes politiques d’autres ministères ont été atteints.

« Les cas signalés au sein de l’état-major de la DGSI pourraient avoir un lien direct » avec la contamination au sein de la CIC, écrit Vosges Matin, en référence à un encadré du Canard enchaîné racontant mercredi 15 avril que le contre-espionnage français « est gagné par la pandémie », plusieurs membres de son état-major ayant été testés positifs. Contactée par Mediapart, la DGSI ne commente pas l’éventualité d’un lien avec la CIC, indiquant qu’il y a seulement eu « quelques cadres malades, mais ils sont tous revenus à ce jour (sans aucune exception) ».

Par ailleurs, selon nos informations, les pompiers du Var et des Bouches-du-Rhône envoyés mercredi à Paris ont décontaminé des locaux de la sécurité civile, mais aussi d’autres locaux du ministère des Armées. Cette opération était-elle une conséquence des contaminations constatées à la CIC, où les militaires sont représentés ? Contacté, le ministère des Armées n’a pas répondu.
Une source proche de la CIC s’attend à découvrir, une fois le délai d’incubation passé, de nouveaux cas parmi ses membres dans les prochains jours. « La contamination au sein de la CIC n’est pas massive, car les gens qui y travaillent prennent beaucoup de précautions », affirme au contraire un médecin proche du dossier.

Contacté par Mediapart au sujet du risque de contamination des agents de l’État, mais aussi des ministres qui se sont rendus à la CIC, le ministère de l’intérieur se montre rassurant, car la CIC « a intégré dans son mode opératoire le risque de transmission du virus au sein de ses différentes entités ».

Le ministère précise que des mesures très strictes d’application des gestes barrières ont été mises en œuvre et sont « scrupuleusement respectées » : gel hydroalcoolique à disposition, lavage des mains, distanciation sociale, notamment. Sans oublier l’installation de protections en Plexiglas et la désinfection des locaux tous les soirs.

Un haut fonctionnaire de la place Beauvau confirme : « Différents services du ministère de l’intérieur participaient à ces réunions, certains étaient présents, d’autres en visio. Pour ma part, j’y ai assisté en visio à quelques reprises. Pour ceux qui sont physiquement là, les distances entre participants sont très généreuses. »

Selon nos informations, il y a toutefois eu une période problématique au tout début de la mise en place de la cellule le 17 mars, dans les salles sécurisées du complexe interministériel de crise, situées au sous-sol du ministère de l’intérieur, place Beauvau.

« Dans la semaine qui a suivi l’ouverture de la CIC, plusieurs médecins du ministère de l’intérieur ont constaté que la situation n’était pas appropriée vu la contagiosité du virus et la petite taille des locaux, et ont demandé que des mesures correctives soient prises. Ces médecins ont dit qu’il fallait agir parce que ça pouvait mal se terminer, et la situation a été remise au carré rapidement », raconte à Mediapart un médecin proche du dossier.

Il a toutefois fallu attendre quelques jours pour que les mesures correctives soient mises en place, dont l’installation des cloisons en Plexiglas. « Ces mesures n’étant pas forcément suffisantes, il a été décidé ensuite, sur les conseils des médecins, de déménager la cellule de crise et d’installer les gens au rez-de-chaussée dans des salles beaucoup plus grandes, où ils peuvent travailler à bonne distance les uns des autres », poursuit cette source.

Un dernier point pose question : alors qu’un haut gradé de la sécurité civile a été diagnostiqué fin mars et son patron Alain Thirion la semaine dernière, pourquoi les pompiers chargés d’effectuer des tests et de désinfecter les locaux de la DGSCGC n’ont-ils été dépêchés à Paris que mercredi 17 avril pour effectuer ces missions ? Interrogé sur ce point, le ministère de l’intérieur n’a pas répondu.

Le cabinet du premier ministre, qui a la tutelle de la CIC, nous a répondu que la plupart de nos questions « vont à l’encontre du secret médical auquel chaque individu a droit », et que Matignon laissait « les ministères concernés répondre » à nos « questions plus générales ». « Quant au premier ministre, il a toujours dit qu’il serait transparent sur sa situation et que s’il était positif au Covid-19, il le dirait. Il en va de même pour tous les membres du gouvernement. »