Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : Coronavirus : des manifestations contre le confinement dans plusieurs Etats américains

Avril 2020, par infosecusanté

Le Monde.fr : Coronavirus : des manifestations contre le confinement dans plusieurs Etats américains

Alors que l’épidémie a tué plus de 42 000 personnes aux Etats-Unis, des partisans de Donald Trump dénoncent les mesures de certains gouverneurs.

Par Corine Lesnes

Publié le 21/04/2020

Les protestations contre le confinement se poursuivent aux Etats-Unis. Au nom de la défense de la liberté individuelle – « la liberté d’attraper le coronavirus », comme l’a résumé le chroniqueur du New York Times Charlie Warzel –, plus d’un millier de manifestants se sont rassemblés lundi 20 avril à Harrisburg, la capitale de Pennsylvanie. Plusieurs centaines d’entre eux étaient massés sur les marches du Capitole, au mépris de l’ordonnance du gouverneur de l’Etat imposant de maintenir une distance sociale d’au moins 1,80 m pour éviter la propagation du virus. Parmi les banderoles : « Le communisme tue plus que le Covid-19 ». Ou « Jésus est mon vaccin ».

Depuis la première manifestation, le 15 avril dans le Michigan, treize Etats américains – démocrates comme républicains – ont connu des mouvements similaires : à pied, bien que les regroupements de plus de 10 personnes soient interdits ; ou en voiture, sous la forme d’opérations escargot (operation gridlock). La presse a souligné que ces rassemblements n’étaient en aucun cas représentatifs de l’état d’esprit de la population : selon un sondage du Pew Research Center en date du 16 avril, 66 % des Américains sont plutôt inquiets de voir le confinement être levé « trop tôt », en dépit des conséquences économiques (22 millions de chômeurs actuellement).

Mais les observateurs ont relevé les similitudes avec le Tea Party. En avril 2010, le mouvement anti-impôts avait commencé par des manifestations de quelques dizaines de « révolutionnaires », avant de se propager et d’influencer durablement le Parti républicain. Adam Brandon, le président de FreedomWorks, l’entité qui avait financé le Tea Party dès ses débuts, n’a pas nié être en contact avec la mouvance anticonfinement. « Il se trouve que nombre de nos activistes sont des organisateurs », a-t-il expliqué à Vox Media.

Une vidéo fait d’ores et déjà figure de symbole des tiraillements entre la logique économique et la bataille contre le virus. Filmée à Denver, dans le Colorado, le 19 avril, elle montre un homme et une femme en tenue d’infirmier, plantés au milieu de la rue, masque sur le visage. A eux deux, les soignants bloquent le cortège des anticonfinement. Une femme vêtue d’un tee-shirt « USA » se hisse à l’extérieur de la vitre d’un pick-up taille XL. « Pourquoi je ne peux pas travailler ?, leur hurle-t-elle au milieu des klaxons. Vous, vous travaillez ! Allez en Chine si vous voulez le communisme ! » La vidéo a fait le tour des réseaux sociaux et des journaux télévisés du soir.

« La mort, ça fait partie de la vie »
Les protestataires n’entendent pas se laisser intimider par les chiffres qui montrent que les Etats-Unis comptent pour un quart des morts du Covid-19 dans le monde (42 000), alors qu’ils représentent moins de 5 % de la population de la planète. « Je n’ai pas peur du grand méchant loup », proclame une affiche dans le défilé de Pennsylvanie. « La liberté plutôt que la peur », renchérit-on à Denver. « Les magasins de cannabis sont ouverts, les cliniques d’avortement sont ouvertes, et mon église est fermée, dénonce une manifestante, interrogée par le Denver Post. La mort, ça fait partie de la vie. Et il est temps de vivre de nouveau. »

Dans les rassemblements, beaucoup arborent des casquettes rouges de soutien à Donald Trump. Ils estiment que le virus est une cabale, exploitée – sinon créée – par les démocrates pour faire chuter « leur » président en même temps que l’économie. Trump lui-même n’a pas craint d’attiser la colère : de « fomenter la rébellion intérieure », comme l’en a critiqué le gouverneur de l’Etat de Washington, Jay Inslee. Sur Twitter, il a appelé à « libérer » le Michigan, « libérer » le Minnesota, « libérer » la Virginie… trois Etats démocrates cruciaux pour sa réélection en novembre. Dimanche, il a encore eu des mots généreux pour ses compatriotes manifestants « atteints de “cabin fever” » (la « fièvre du confinement »). « Des gens très bien », a-t-il déclaré, paraissant les excuser. Cela, alors que les règles du confinement ont été édictées par les responsables de la santé publique sous son autorité.

Le coronavirus est devenu la nouvelle « guerre culturelle » de la droite radicale. A Olympia, capitale de l’Etat de Washington, les manifestants ont exhibé leurs armes et leurs ceintures de munitions. A Columbus, dans l’Ohio, leurs drapeaux confédérés. A Denver, leur détestation de l’avortement. A Austin, au Texas, Alex Jones, l’une des figures des médias conspirationnistes, a défilé sous les slogans « Fire Fauci ! » : on réclamait le limogeage du spécialiste des pandémies au sein de l’administration, Anthony Fauci, un médecin de 79 ans auquel 60 % des Américains font confiance, selon un sondage NBC News/Wall Street Journal publié le 19 avril, alors qu’ils ne sont que 36 % à faire confiance à Donald Trump.

Au total, une coalition bien connue de nationalistes, fondamentalistes, libertariens, ancrée de longue date dans la tradition politique locale, à laquelle se sont joints les « anti-vaxxers », hostiles aux vaccinations. Le Washington Post a montré que leur organisation reposait notamment sur les groupes Facebook créés par les frères Ben, Christopher et Aaron Dorr, trois extrémistes favorables au port d’armes. Le réseau social a annoncé lundi avoir éliminé certains des contenus litigieux – une attitude tranchant avec sa réserve habituelle dès qu’il est question de liberté d’expression –, mais seulement dans les Etats où ce type de rassemblements, « contraire à la réglementation sur la distanciation sociale », est spécifiquement interdit.

Le gouverneur de New York, Andrew Cuomo, a résumé la réaction de ses collègues. « Nous n’avons pas besoin de manifestations pour être convaincus qu’il faut se remettre à travailler. » Les gouverneurs ne demandent qu’à rouvrir l’économie, mais ils demandent des kits de dépistage pour éviter une deuxième phase de contamination. Après les respirateurs, commandés à des prix exorbitants par les Etats faute de leadership à la Maison Blanche pour organiser les acquisitions, les tests font maintenant l’objet d’un nouveau bras de fer entre le président et les gouverneurs.

Signe de la pression montante : nombre d’Etats, notamment les Etats républicains du Sud, ont déjà assoupli les mesures de « lockdown ». En Floride, certaines plages ont été rouvertes ainsi qu’en Caroline du Sud. En Géorgie, le gouverneur, Brian Kemp, a décrété lundi la réouverture des salles de fitness et des salons de coiffure dès le 24 avril, et celle des théâtres et restaurants le 27 avril. Même dans le Colorado, le gouverneur démocrate a avancé la date du début du déconfinement. Les infirmiers en blouse verte qui s’étaient opposés au Tea Party et aux anticonfinement n’ont pas pu tenir longtemps.

Corine Lesnes(San Francisco, correspondante)