Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - Face à une épidémie sociale, un déconfinement décidé d’en haut

Avril 2020, par Info santé sécu social

22 AVRIL 2020 PAR CAROLINE COQ-CHODORGE

L’épidémie circule encore et elle frappe les villes et les quartiers les plus populaires et les plus denses. Le déconfinement exige l’inventivité de l’ensemble de la société. Depuis le début de la crise, le chef de l’État et le gouvernement ont fait le choix de décider seuls.

Le président de la République a pris tout le monde de court, le 13 avril, arrêtant seul, d’autorité, la date du 11 mai pour entamer le déconfinement. Puis il a renvoyé les détails à un plan qui serait dévoilé « d’ici 15 jours ». Seulement, en deux heures de conférence de presse, dimanche 19 avril, le premier ministre Édouard Philippe et le ministre de la santé Olivier Véran n’ont rien révélé, renvoyant une fois encore les détails à un plan divulgué « d’ici 15 jours ».

Ils ont plutôt pris le temps de détailler « ce que nous ne savons pas » : l’absence de traitement ayant jusqu’ici montré une quelconque efficacité, la perspective très lointaine et incertaine d’un vaccin, la faible immunité de la population, qui est très loin d’être collectivement protégée contre le virus. Même leurs promesses sont sujettes à caution : la livraison de masques par millions ou les 500 000 tests qui seront réalisés par semaine. Une seule vérité était finalement bonne à dire : « Notre vie à partir du 11 mai ne sera pas exactement la vie d’avant le confinement, pas tout de suite, et probablement pas avant longtemps », a prévenu le premier ministre.

Difficile de reprocher au gouvernement son incertitude. En revanche, de sérieuses critiques commencent à poindre sur son isolement, au milieu de la plus grave crise sanitaire, économique et sociale depuis la Seconde Guerre mondiale.

Devant la mission d’information de l’Assemblée nationale sur le Covid-19, mercredi 15 avril, le président du conseil scientifique Jean-François Delfraissy a mis en garde le gouvernement contre une « décision très top down sur le déconfinement. Il faudrait une discussion citoyenne ».

De la démocratie sanitaire

Jean-François Delfraissy est même allé plus loin que cette simple mise en garde au détour d’une audition. « De plus en plus de voix s’élèvent pour critiquer la gestion de l’urgence sanitaire resserrée autour d’un conseil scientifique nommé par le gouvernement et mis en place de façon ad hoc. » Le 14 avril, il a adressé, « à titre personnel », une note que nous nous sommes procurée. Elle a été envoyée à l’Élysée, au premier ministre, au ministère de la santé, ainsi qu’à Jean Castex, le préfet chargé de coordonner le déconfinement.

Cette note est issue d’une réflexion qu’il explique avoir partagée avec « des représentants des patients », mais aussi les présidents du Conseil économique social et environnemental (CESE), de la Conférence nationale de santé (CNS), et de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH).

Il y propose la création d’un « comité de liaison avec la société ». Car « les organisations de la société civile et les ONG ont une expertise spécifique que n’a pas l’administration, souligne-t-il. Elles ont une excellente connaissance de la diversité des milieux sociaux et, notamment, des catégories de la population les plus vulnérables. Elles ont une capacité à comprendre, interpréter et faire remonter les opinions et les attentes venues des territoires ». Il affirme encore qu’« une grande partie des réponses apportées à la crise sont des réponses locales, qui s’appuient sur des élans de solidarité et l’inventivité des associations ».

Ce comité de liaison de liaison serait l’expression de la « démocratie sanitaire », où siégerait notamment France Assos santé, qui regroupe l’ensemble des associations de patients, mais aussi les acteurs de la solidarité et de la lutte contre l’exclusion, ceux impliqués dans de précédentes crises sanitaires, en particulier la lutte contre le Sida, ou encore la Société française de santé publique, qui regroupe tous les professionnels de santé spécialisés dans la prévention.

Jean-François Delfraissy se fait ainsi le porte-voix d’un ensemble d’acteurs de la santé jusqu’ici tenus à l’écart de la gestion de l’épidémie (lire, par exemple, cette « Lettre ouverte »).

À ce jour, cette note n’a toujours pas reçu de réponse. Et l’avis du conseil scientifique sur le déconfinement, pourtant rendu au gouvernement, n’a pas non plus été rendu public.

Il y a pourtant urgence, à moins de trois semaines du début du déconfinement. « Cette pratique démocratique est la condition nécessaire pour prendre en compte les profondes inégalités sociales, d’âge, de sexe, d’état de santé ou de conditions de vie face à la maladie et à ses conséquences », insiste également la Société française de santé publique, dans un communiqué le 17 avril.

Une maladie sociale

Avec le Covid-19, une médecine ou des techniques de dépistage de pointe ne sont pas suffisants. Singapour en a fait l’expérience. Cette cité État prospère était l’un des modèles asiatiques dans la lutte contre le coronavirus. Sans fermer ses magasins ni ses écoles, en appliquant des gestes barrières, en testant massivement, en isolant les cas positifs et en traçant tous les contacts, elle est parvenue à maîtriser l’épidémie, n’enregistrant que quelques dizaines de cas par jour pendant de longues semaines.

Puis la vague s’est reformée, lentement, jusqu’à atteindre un rythme exponentiel : le 20 avril, 1 400 nouveaux cas ont été détectés. Le virus s’est propagé là où ce petit pays très prospère ne regardait pas : dans les dortoirs surpeuplés de ses travailleurs migrants. Singapour a dû se résoudre à confiner strictement sa population le 8 avril.

La France fait une expérience similaire, à une bien plus grande échelle. Comme ailleurs, le SARS-CoV-2 a d’abord touché les hautes sphères de la société, ceux qui ont le plus d’interactions sociales, ministres, députés, maires. Puis le coronavirus s’est propagé parmi ceux qui n’ont pas les moyens de s’en protéger, en particulier depuis l’instauration du confinement.

En Île-de-France, la région la plus touchée, l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) regroupe environ la moitié des capacités d’hospitalisation. Elle a réalisé une cartographie de ses patients malades du Covid en fonction de leur lieu de résidence. À Paris, ce sont les XIIIe, XVIIIe, XIXe et XXe arrondissements qui sont les plus touchés. Ces quartiers présentent à la fois le plus grand nombre de logements sociaux et les taux de pauvreté les plus importants de la capitale.

En comparaison, la banlieue parisienne paraît moins touchée, mais cette carte ne rapporte pas le nombre de cas à celui des habitants. En Seine-Saint-Denis, les communes d’Aubervilliers ou de Bobigny rapportent aux alentours de 400 cas pour respectivement 83 000 et 51 000 habitants. Et cette cartographie ne raconte qu’une partie de l’histoire, car en banlieue parisienne, il y a d’autres hôpitaux que ceux de l’AP-HP.

À Aubervilliers, les médecins généralistes Fabrice Giraux et Jean-Sébastien Cadwallader sont installés à un poste d’observation de l’épidémie. Le premier dirige l’un des plus importants centres de santé de Seine-Saint-Denis, qui suit 20 000 patients chaque année. Le second y exerce, et est en même temps enseignant chercheur en santé publique, spécialisé sur les inégalités sociales de santé.

« Il y a une surprécarité parmi les patients qui viennent consulter pour le Covid-19, affirme le docteur Giraux. Dans la deuxième semaine de mars, on a accueilli jusqu’à 15 patients par jour suspects de Covid-19. Et pour plus de 30 % d’entre eux, il s’agissait de patients bénéficiaires des minima sociaux. Surpopulation, promiscuité sont des facteurs qui aggravent les risques de transmission. Il est donc logique d’imaginer que les plus pauvres sont les plus touchés. Et pas étonnant de retrouver des “clusters” dans des foyers de travailleurs migrants et les lieux de squat. »

« Mes patients touchés par le Covid-19 y sont surexposés, renchérit Jean-Sébastien Cadwallader. Ce sont des personnes qui continuent à travailler : un agent de sécurité, sans aucune protection, une caissière. Ils contaminent ensuite leur entourage familial, parce qu’ils vivent dans de petits appartements. Une étude italienne a montré que le virus touchait en moyenne, à l’intérieur du domicile, 16,4 % des personnes contacts, soit près d’une sur cinq. La quarantaine, à l’intérieur du domicile, peut fonctionner à condition d’avoir de l’espace. Mais c’est impossible dans des appartements surpeuplés. »

Les deux médecins mettent en garde contre toute tentation de stigmatiser le comportement de la population des quartiers populaires : « Le confinement est largement respecté à Aubervilliers, même dans des circonstances très difficiles, comme des violences domestiques. »

« Mais tout ça, ce sont des spéculations, met en garde le docteur Jean-Sébastien Cadwallader. Tant que les tests de dépistage et le matériel de protection ne seront pas disponibles, les travaux de recherche en population générale ne seront pas menés et on n’aura aucune vision claire en dehors du milieu hospitalier », prévient-il.

L’épidémie circule toujours

C’est un préalable. « Tant qu’il n’y a pas de décrue, on ne pourra pas déconfiner », prévient l’épidémiologiste Antoine Flahault, directeur de l’Institut de santé globale de Genève. « Actuellement, on est largement à plus de 100 % d’occupation de nos capacités en réanimation, rappelle Éric Caumes, chef du service des maladies infectieuses de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris. La semaine dernière, on était à presque 200 %. On doit revenir à un taux d’occupation de 20-30 % pour affronter une nouvelle épidémie. Dans ce contexte, je ne sais pas si le 11 mai est une date trop précoce. Moi, je n’aurais pas donné de date. »

Si la situation s’améliore à l’hôpital public, c’est à un rythme très lent. La courbe épidémiologique de la France est toujours sur un plateau et n’a pas amorcé une réelle décrue. Dans un intervalle de 12 jours, il y a eu seulement 61 patients en moins dans les services de réanimation. Des patients quittent l’hôpital parce qu’ils guérissent ou parce qu’ils décèdent. Mais presque autant de nouveaux malades graves du Covid-19 sont hospitalisés : près de 1 500, lundi, dans un service classique, 208 en réanimation.

La chancelière allemande Angela Merkel s’est livrée, au cours d’une conférence de presse, à un remarquable exercice de pédagogie, expliquant que le R0, le taux de reproduction du virus, doit être maintenu impérativement en dessous de 1, ce qui signifie qu’une personne contamine moins d’une personne en moyenne. Au-delà de 1, l’épidémie reprend sa progression, d’abord à bas bruit.

En France, une étude de modélisation publiée mardi par l’Institut Pasteur estime que le confinement a permis de faire passer le taux de reproduction de virus de 3,3 (une personne contamine en moyenne 3,3 personnes) à 0,5. Devant la mission d’information sur le Covid-19 de l’Assemblée nationale, mercredi 15 avril, le président du conseil scientifique et infectiologue Jean-François Delfraissy a estimé que « le taux de reproduction du virus doit descendre autour de 0,6-0,7 » avant le déconfinement, le 11 mai.

Mais il a posé d’autres « prérequis » au déconfinement : « On a besoin de masques et de tests. Sinon, le déconfinement sera repoussé. » Il a chiffré le nombre de tests PCR nécessaires : « Au minimum à 100 000 par jour. » Le ministre de la santé Olivier Véran en a promis dimanche 500 000 par semaine.