Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart- Covid-19 : les courbes de mortalité flanchent, le nombre réel de victimes reste incertain

Avril 2020, par Info santé sécu social
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28 AVRIL 2020 PAR MATHIEU LEHOT

(Lire les graphiques sur la PJ)

L’effet des mesures de confinement est palpable : le nombre de victimes du Covid-19 baisse jour après jour dans les pays les plus touchés. En l’absence de tests systématiques, le bilan humain demeure néanmoins sous-évalué dans de nombreux pays, dont la France. Nos graphiques pour comprendre l’évolution de la pandémie.

Face à la pandémie, le mot d’ordre est quasi unanime : « Il faut aplatir la courbe. » C’est-à-dire ralentir la vitesse à laquelle le virus fait de nouvelles victimes. Pour atteindre cet objectif, la plupart des pays ont fait le même choix : le confinement de leur population. Depuis la fin du mois de mars, plus de la moitié de la population mondiale est appelée à rester chez elle (voir notre article du 28 mars).

En Europe, des chiffres à la baisse et deux exceptions
Un mois plus tard, cette stratégie semble porter ses fruits. En Europe, le continent le plus durement touché avec plus de 120 000 victimes, le nombre de nouveaux décès par jour baisse dans la plupart des pays.

Pour visualiser ce phénomène, Mediapart a projeté l’évolution des nouveaux décès enregistrés chaque jour dans les pays européens qui comptent aujourd’hui plus de 500 morts du Covid-19. Les valeurs représentées sont les moyennes des nouveaux décès enregistrés le jour J avec les valeurs des six jours précédents, afin d’obtenir une perception plus lisse des tendances.

L’Espagne, qui avait atteint un pic les 3 et 4 avril avec plus de 900 nouveaux décès chaque jour, a divisé par trois son nombre quotidien de nouvelles victimes. Même chose pour l’Italie, qui avait atteint le triste record de près de 1 000 décès le 28 mars. Rome est passé en dessous de la barre des 300 morts par jour dimanche 26 avril.

La veille, samedi 25 avril, la France descendait elle aussi sous le seuil de 300 nouveaux décès. Au Royaume-Uni, où le pic a été atteint le 22 avril avec plus de 800 morts, la courbe commence seulement à s’infléchir.

Les chiffres montrent par ailleurs que deux pays, la Suède et la Russie, suivent actuellement une trajectoire inverse à celle des autres pays européens. Ces deux États ont en commun de ne pas avoir appliqué un confinement généralisé de leur population.

En Russie, la gestion de la crise est décrite comme « chaotique » par les observateurs. Après avoir timidement appelé, fin mars, les Russes à rester chez eux pendant une semaine, Vladimir Poutine a décidé de déléguer la gestion de la crise sanitaire aux gouverneurs de province. Alors qu’à Moscou le maire Serge Sobianine a décidé de confiner la population, d’autres régions ont pris des mesures beaucoup moins restrictives en continuant notamment d’autoriser la libre circulation des personnes.

En Suède, le gouvernement a décidé de miser sur la responsabilité individuelle de chacun pour enrayer la propagation de la pandémie, faisant le pari de l’immunité collective. Une décision de plus en plus critiquée alors que le bilan humain suédois dépasse désormais celui de ses voisins danois et norvégien, comme l’établit le graphique ci-dessous.

Un plateau atteint aux États-Unis ?
Les États-Unis sont désormais le pays le plus durement frappé par le Covid-19, si l’on s’en tient au nombre total de décès. Quelque 56 000 Américains ont perdu la vie à cause du virus, soit près de 27 % de l’ensemble des victimes recensées dans le monde. Le nombre de nouveaux décès par jour semble avoir atteint un plateau. Les derniers chiffres montrent l’amorce d’une baisse du nombre de morts. Mais les observateurs restent très prudents.

Plusieurs États du pays ont décidé d’assouplir les règles de confinement, comme la Géorgie, l’Oklahoma et l’Alaska, trois États républicains. Vendredi, l’État de Géorgie, qui recense près de 1 000 victimes du Covid-19, a autorisé des magasins non essentiels à reprendre leur activité, dont les instituts de beauté, les salles de sport ou encore les salons de tatouages.

En Amérique latine et Amérique centrale, les courbes ne s’infléchissent pas
Dans le reste du monde, c’est en Amérique centrale et en Amérique latine que la situation semble désormais la plus alarmante. Le nombre de nouveaux décès par jour continue à augmenter au Brésil (346 nouveaux décès le 25 avril), au Mexique (130 nouveaux décès samedi et dimanche derniers) ainsi qu’au Pérou (94 nouveaux décès samedi et dimanche).

Seul l’Équateur semble avoir atteint un plateau, mais les chiffres sont sous-estimés, alertent les experts : officiellement, le pays dénombre aujourd’hui 576 morts du Covid-19, un bilan très loin du compte, selon Jorge Wated, chef d’une force spéciale armée mise en place par le gouvernement équatorien pour récupérer et enterrer les morts de la région de Guayaquil, l’épicentre de la pandémie. Interrogé le 20 avril, celui-ci affirmait que 6 703 personnes étaient décédées lors des quinze premiers jours d’avril, contre 1 000 au cours de cette même période l’année précédente.

La question des morts invisibles
Les démographes s’accordent désormais à reconnaître que les chiffres des personnes décédées du Covid-19 sont probablement très en deçà de la réalité. Les auteurs d’une analyse publiée dimanche par le Financial Times estiment que le nombre total de victimes du coronavirus pourrait être 60 % plus élevé.

Les causes de ces sous-estimations sont multiples. L’absence de tests systématiques serait l’une des premières raisons. Une autre explication serait à rechercher du côté du décompte effectué par les autorités. Au Royaume-Uni, les chiffres ne prennent en compte que les morts à l’hôpital. Les décès dans les maisons de retraite ne sont pas comptabilisés, alors que les professionnels du secteur les estiment à plusieurs milliers (lire ici).

Pour mesurer le véritable impact humain de la pandémie, les démographes recommandent donc de s’appuyer sur les données de mortalité « toutes causes confondues ». Ces indicateurs montrent que les décès enregistrés depuis le 1er mars sont très au-dessus des chiffres enregistrés les années précédentes. Et que le nombre de victimes du Covid-19 ne suffit pas à les expliquer.

En France, l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) publie depuis le début du mois d’avril le recensement des décès enregistrés chaque jour, par département et par commune, depuis le 1er mars. Ces chiffres attestent une très forte surmortalité entre 2020 et 2019.

La répartition géographique de la surmortalité en 2020 par rapport à 2019 montre que les départements qui essuient les plus lourdes pertes sont également les plus touchés par la pandémie.

À Paris, entre le 1er mars et le 13 avril, 1 579 personnes de plus sont décédées par rapport à la même période en 2019. Le phénomène est le même dans les Hauts-de-Seine (+ 1 507) et en Seine-Saint-Denis (+ 1 195). Dans le Grand Est, la surmortalité est aussi très importante : + 1 206 dans le Haut-Rhin, + 758 dans le Bas-Rhin et + 830 en Moselle.

Depuis le 7 avril, les autorités françaises recensent les victimes du coronavirus dans les maisons de retraite et les additionnent avec les morts à l’hôpital. Mais ces chiffres ne suffisent toujours pas à expliquer la très forte hausse de la mortalité dans les régions les plus frappées par le coronavirus.
En Île-de-France, les chiffres de l’Insee montrent une surmortalité de + 6 341 entre le 1er mars et le 7 avril, alors que le nombre de décès Covid-19 à l’hôpital et en Ehpad est de 4 216 sur la même période.

D’après le syndicat de médecins généralistes MG France, la sous-estimation du bilan humain du Covid-19 en France s’expliquerait entre autres par la non-prise en compte des décès à domicile. Dans une étude publiée dimanche, le syndicat estime que 9 000 personnes seraient mortes en ville du coronavirus depuis le 17 mars. Or ces victimes ne font pas l’objet de tests et ne sont donc pas prises en compte par les autorités.
L’analyse des chiffres de l’Insee montre qu’à la date du 13 avril, les régions Île-de-France et Grand Est enregistraient des pics importants de la mortalité à domicile : + 100 % en Île-de-France et + 50 % dans le Grand Est.

Le démographe Jean-Marie Robine, directeur de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), pointait déjà du doigt cette problématique à la fin du mois de mars. « En France, l’une des difficultés tient au fait qu’on ne teste pas les gens malades chez eux. S’ils meurent, alors qu’ils étaient atteints en même temps d’une grippe ou d’une pneumonie, ils seront au mieux classés par le médecin sur le bulletin de décès comme “suspicion de Covid-19” », expliquait le chercheur au Monde.

Dans la plupart des pays, les chiffres de mortalité du Covid-19 sont le fruit d’un comptage en hôpital. Ils ne sont donc pas complets puisque, comme le montre notre article, de nombreux décès en maison de retraite et à domicile sont probablement occultés. Mais les experts estiment qu’à défaut de donner un bilan précis du nombre de victimes, ces données, même incomplètes, restent le moins pire des indicateurs pour suivre l’évolution de la pandémie entre pays.

Depuis le début du mois d’avril, l’Insee communique les données de mortalité enregistrées chaque jour par département et par commune depuis le 1er mars. Pour permettre une comparaison, l’Insee met également à disposition les chiffres recensés sur la même période en 2018 et en 2019. Le mois de mars 2018 avait été frappé par un épisode de grippe hivernale plus meurtrier qu’en 2019 et en 2020. C’est pourquoi nous avons fait le choix de privilégier la comparaison de ces deux années sans prendre en compte les chiffres de 2018.

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