Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - « Brigades sanitaires » annoncées par Edouard Philippe : le brouillard se dissipe

Avril 2020

Par Laure Bretton et Aude Massiot — 30 avril 2020

Le dispositif de traçage de contacts visant à casser la chaîne de contamination du Covid-19, annoncé mardi par Edouard Philippe, sera piloté par les préfets et l’assurance maladie en lien avec les collectivités territoriales.

« Brigades sanitaires » anti-Covid : le brouillard se dissipe
Le gouvernement aime filer les méthaphores guerrières. Cependant, les « brigades » dont Edouard Philippe, a révélé mardi le déploiement à partir du 11 mai, n’en sont pas moins un dispositif encore nébuleux. Mercredi matin, le Premier ministre a réuni, en vidéoconférence, des représentants des collectivités territoriales et les préfets pour recueillir les idées des uns et des autres.

Depuis, chacun attend de savoir quel rôle lui sera assigné, avec l’échéance du déconfinement qui se rapproche rapidement. Contactées, les préfectures, censées constituer les piliers locaux pour ce programme, renvoient aux agences régionales de santé (ARS), qui renvoient elles-mêmes aux ministères, qui eux-mêmes ne se disent pas prêts à communiquer sur le sujet. D’après nos informations, une feuille de route est en cours d’élaboration Place Beauvau, qui la transmettra ensuite aux préfets, puis aux collectivités en début de semaine prochaine.

L’assurance maladie a, elle, une idée plus précise de l’organisation de ces brigades. « A compter du 11 mai, il sera demandé à chaque médecin généraliste ayant pris en charge un malade du Covid-19 de recenser, avec le patient, l’ensemble des personnes avec qui il a été en contact et d’évaluer avec lui, selon des recommandations précises établies par les autorités sanitaires, si la nature du contact est telle que l’on peut considérer que la personne contact est susceptible d’avoir contracté le virus, détaille l’organisme à Libération. Dans ce cas, le médecin généraliste saisira, dans un système d’information dédié et créé à cette occasion par l’assurance Maladie et accessible dans [la plateforme] Amelipro, le nom et les coordonnées – quand il le peut – des personnes concernées. »

Confinement et test de dépistage
Au tour alors des agents de l’assurance maladie de « compléter ce recensement des contacts du patient Covid+, si le médecin s’est concentré sur le foyer du patient malade et n’a pas réalisé de recensement exhaustif des contacts ». Dans les vingt-quatre heures, toutes ces personnes devront être appelées pour les informer de leur possible exposition au virus. Leur sera alors proposé un confinement de quatorze jours ainsi qu’un test de dépistage « pris en charge à 100% » par l’assurance maladie, qui pourra aussi, si nécessaire, délivrer un arrêt maladie.

Un tel dispositif, inédit en France, devra mobiliser de nombreuses personnes. Tout d’abord, « près de 5 000 collaborateurs » de l’assurance maladie, « et davantage, si la situation épidémiologique devait l’exiger ».

Au Collège de la médecine générale, on se réjouit d’occuper une telle place centrale dans le dispositif. Pour Jean-Louis Bensoussan, médecin et porte-parole de l’organisation, « les généralistes auront les moyens de gérer la grande majorité de ces enquêtes de traçage de contact et de suivi des patients. Nous sommes 52 000 en France, alors que les modèles épidémiologiques prévoient, à partir du 11 mai, 1 000 à 3 000 nouveaux cas par jour. Cela m’étonnerait qu’on ait besoin de personnel non médical dans ces brigades. »

Le Premier ministre a pourtant évoqué, mardi, la possibilité de mobiliser « des personnels des centres communaux d’action sociale, des mairies, des départements, ou [des personnes] mises à disposition par les grandes associations, par exemple la Croix-Rouge ».

« Nous attendons le mode d’emploi »
A l’ARS d’Ile-de-France, on « travaille jour et nuit » pour établir un plan. « On ne peut pas demander aux médecins de ville de contacter toutes les personnes contact et de surveiller les personnes isolées, explique-t-on à Libération. Pour cela, nous sommes en train de monter des équipes mobiles volontaires, probablement avec la Croix-Rouge. »

Santé publique France avec les ARS seront aussi en charge d’analyser toutes les données pour identifier l’émergence de foyers de contamination.

A la Croix rouge française, ils se disent « prêts à mettre en place des équipes de mobiles qui pourront effectuer des tests sérologiques, le suivi sanitaire des personnes malades isolées, ainsi que participer aux enquêtes épidémiologiques, détaille Marc Zyltman, administrateur national de l’organisation. Pour cela, nos équipes sont en train d’être formées auprès de la Direction générale de la santé. » Le nombre de personnes déployées dépendra des territoires.

Du côté des collectivités locales, « nous attendons le mode d’emploi, explique le directeur de l’Assemblée des départements, Pierre Monzani. Nous pouvons imaginer que les agents de la route, les sapeurs-pompiers ou encore le personnel d’action sociale puissent contribuer à établir ces chaînes de transmission et prévenir les gens, au cours de leurs nombreux déplacements dans les territoires ».

Pour lui, il est clair que ces « brigades » sous la coupe des préfets devront faire appel à des volontaires pour renforcer leurs effectifs. L’idée de mobiliser la « réserve citoyenne » constituée au début du confinement a finalement été écartée, a-t-on appris de source mininistérielle. « Les enquêteurs auront accès aux données Ameli des personnes concernées, il fallait une assermentation que nous ne pouvions pas leur donner », explique-t-on de même source. La « réserve » sera en revanche affectée au portage des repas aux personnes malades isolées dans une chambre d’hôtel ou à la logistique des futurs tests de dépistage.

Projet de loi présenté samedi
Cette assermentation nécessaire pour la manipulation des données des patients devra-t-elle être généralisée à tout le personnel non médical de ces « brigades » ? « Il conviendra de légiférer », a tranché Edouard Philippe. C’est un des enjeux du projet de loi qui sera présenté samedi au Conseil des ministres, puis, la semaine prochaine, au Sénat et à l’Assemblée nationale.

L’assurance maladie assure, elle, que « les agents qui seront mobilisés sur les plateformes d’appel, personnel médical ou administratif, sont des agents déjà largement formés et expérimentés. Ils seront spécifiquement formés, dans les jours qui viennent, par les autorités sanitaires et les équipes des ARS, aux modalités spécifiques de contact tracing, sur la base de recommandations établies par les autorités sanitaires en cours de finalisation ».

L’organisme précise tout de même que « des organisations territoriales de santé ou d’autres partenaires institutionnels » pourraient se voir confier « par délégation » les processus d’identification et d’appel des personnes contact.

Un projet pilote de ces équipes, appelé Covissan, est déjà testé par l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) depuis le 15 avril, avec la vocation d’être répliqué dans le pays.

Laure Bretton , Aude Massiot