Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : Déconfinement : les cafouillages dans la communication du gouvernement révèlent des points de faiblesse

Mai 2020, par infosecusanté

Le Monde.fr : Déconfinement : les cafouillages dans la communication du gouvernement révèlent des points de faiblesse

Des documents préparatoires, dévoilés par « Le Monde », évoquent notamment l’insuffisance de masques disponibles d’ici juin.

Par Franck Nouchi Publié hier à 18h03, mis à jour à 06h55

On imagine la tête qu’ont dû faire, jeudi 30 avril vers 19 heures, les habitants du Lot lorsque, devant leur télévision, ils ont appris, de la bouche même du ministre de la santé, Olivier Véran, que leur département était classé « rouge ». « Je ne comprends pas comment le Lot peut se retrouver en zone rouge », a immédiatement réagi le président du conseil départemental, Serge Rigal, parlant d’« erreur de l’année ».

Quelques instants plus tard, l’Agence régionale de santé d’Occitanie publiait un communiqué contrit expliquant qu’« un nombre de prélèvements récemment effectués par des services d’urgence lotois [ont] conduit ces dernières semaines à surévaluer le pourcentage de passages aux urgences pour suspicion de coronavirus par rapport à la réalité. L’indicateur retenu au niveau national s’en est trouvé vraisemblablement faussé pour le département du Lot ». L’agence assurait que ces « données imputées par erreur » seraient rectifiées pour que l’indicateur calculé dans le Lot le « soit de la même manière que dans les autres départements ».

Des incohérences identiques ont été observées dans le Cher, en Haute-Corse et dans d’autres départements classés « rouge » ou « orange » sans autre forme d’explication que celle-ci : jeudi soir, le taux de passage aux urgences était, avec le taux de remplissage des services de réanimation, le seul critère pris en compte par les autorités sanitaires nationales pour évaluer le niveau d’intensité de la circulation active du virus.

Le passage aux urgences, un indicateur peu pertinent
L’impair du ministre de la santé et de son directeur général de la santé, Jérôme Salomon, est d’autant plus surprenant que les consignes de Matignon sont, s’agissant du déconfinement, très claires. A propos de la labellisation « vert-rouge », Edouard Philippe, dans son allocution, avait d’ailleurs bien précisé les choses :

« La direction générale de la santé et Santé publique France ont établi trois ensembles de critères permettant d’identifier les départements où le déconfinement doit prendre une forme plus stricte : soit que le taux de cas nouveaux dans la population sur une période de sept jours reste élevé, ce qui montrerait que la circulation du virus reste active ; soit que les capacités hospitalières régionales en réanimation restent tendues ; soit que le système local de tests et de détection des cas contacts ne soit pas suffisamment prêt. »

Le premier ministre ne mentionnait pas le taux de passage aux urgences, un indicateur d’autant moins pertinent qu’il est toujours recommandé aux personnes qui soupçonnent d’être atteintes du Covid-19 soit de faire appel au 15, soit le plus souvent d’en avertir leur médecin.

Données manquantes
Le troisième critère énoncé par M. Philippe, sur les tests et la détection, et dont il n’a quasiment pas été question lors du point presse de MM. Véran et Salomon jeudi 30 avril, est, on le sait, fondamental. Il l’est d’autant plus lorsqu’on lit le dernier point épidémiologique hebdomadaire de Santé publique France en date du 30 avril.

Parmi les très nombreuses données qui y figurent, certaines, qui concernent la surveillance dans les établissements sociaux et médico-sociaux (ESMS), attirent l’attention. Au 27 avril, 69 845 cas de Covid-19 avaient été rapportés dans des ESMS ; 8 876 personnes étaient mortes dans les ESMS, dont 99 % au sein des établissements d’hébergement pour personnes âgées et dépendantes (Ehpad) ; 3 091 personnes, issues de ces établissements médico-sociaux, sont par ailleurs décédées dans les hôpitaux.

Une autre donnée permet de mesurer la gravité de la situation dans ces établissements, et tout spécialement dans les Ehpad : au 27 avril, 37 066 cas de Covid-19 avaient été rapportés parmi les membres des personnels des ESMS. Considérable, ce nombre souligne qu’il n’existe pas à ce jour, en France, de données précises permettant de connaître la proportion de personnels soignants infectés par le SARS-CoV-2. Cette absence est d’autant plus regrettable que ces personnels sont amenés non seulement à entrer en contact avec des patients (atteints ou non du Covid-19), mais aussi à éventuellement transmettre le virus à leurs proches.

Dans ce contexte, trois projets de textes officiels, que Le Monde s’est procurés, visent à fixer la méthodologie du déconfinement. Mais ils éclairent, une nouvelle fois, la difficulté à laquelle sont confrontées les autorités sanitaires.

Informations sans fard
Ces documents, très détaillés, complètent le plan de confinement présenté le 28 avril par le premier ministre à l’Assemblée nationale : une « circulaire aux préfets pour la mise en œuvre territoriale du déconfinement à compter du 11 mai », une « instruction ministérielle relative à la stratégie de déploiement des tests, traçabilité des contacts et mesures d’isolement et de mise en quatorzaine » et une note relative à « l’organisation de la distribution de masques – animation de la coordination des initiatives des collectivités territoriales ».

Ces directives, à l’état de projet, sont d’autant plus utiles que, n’étant pas destinées à être rendues publiques, elles fournissent des informations sans fard. Ainsi, s’agissant de la fourniture de masques à l’ensemble de la population, le projet de circulaire est explicite :

« Au-delà de l’application stricte des gestes barrières, la diffusion massive des masques de protection sur le territoire constitue un enjeu majeur de la réussite du déconfinement. Elle justifie une organisation spécifique pour les premières semaines de la mise en œuvre de la stratégie nationale de déconfinement. »

La note complète ces principes généraux : « Grâce à l’action publique et privée, la quantité de masques en circulation sur le territoire français a considérablement augmenté ces dernières semaines. »

Mais le ministère de l’intérieur est obligé de reconnaître une faiblesse majeure qui risque de conditionner la couleur des départements bien plus encore que l’attitude individuelle et collective des Français : « Malgré ces volumes importants, les masques disponibles sont inégalement répartis et le risque est que certains Français en aient trop et d’autres n’en trouvent pas. Cette situation est provisoire et devrait se régulariser dès le courant du mois de juin, compte tenu de l’approvisionnement massif du marché. » Au courant du mois de juin, donc, bien après la date du 11 mai.

Franck Nouchi