Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - La France délaisse la course au vaccin contre le Covid-19

Mai 2020, par Info santé sécu social

2 MAI 2020 PAR ROZENN LE SAINT

Le gouvernement français n’a pour l’heure débloqué aucun budget spécifique pour soutenir la recherche d’un vaccin contre le Covid-19, selon nos informations. Si l’épidémie perdure, il est pourtant présenté comme un sésame à la sortie de crise. Et le risque est latent d’une guerre mondiale pour y avoir accès. « La France est à la pointe de la recherche vaccinale contre le coronavirus », cherche à nuancer le ministère de la santé.

Dans la course de fond aux vaccins contre le Covid-19, les États-Unis sont partis en tête, encouragés par une doctrine : « America first ». Le gouvernement français, lui, a regardé le départ des différents concurrents, dont l’Institut Pasteur, sans lui octroyer de versement d’urgence. La fondation privée d’utilité publique ne l’a pas attendu : elle est allée chercher du soutien à l’étranger. Idem pour le fleuron industriel tricolore Sanofi, dont le projet est subventionné par le ministère de la santé… américain.

Avec moins de 6 % de Français déjà infectés par le Covid-19 selon l’Institut Pasteur, nous sommes très loin d’atteindre naturellement le seuil de 60-70 % supposé nécessaire pour enrayer l’épidémie. « Nous allons devoir vivre avec le virus. Dès lors qu’aucun vaccin n’est disponible à court terme, qu’aucun traitement n’a, à ce jour, démontré son efficacité et que nous sommes loin d’avoir atteint la fameuse immunité de groupe, le virus va continuer à circuler parmi nous », a répété Édouard Philippe dans les premières minutes de sa présentation du plan de déconfinement du gouvernement devant l’Assemblée nationale, le 28 avril.

Le vaccin semble être aujourd’hui la meilleure piste pour atteindre la fameuse « immunité collective » : en admettant qu’elle soit protectrice, immuniser un pourcentage élevé de la population via le vaccin empêcherait le virus de circuler, s’il ne s’est pas éclipsé entre-temps. Malgré les inconnues scientifiques, par les espoirs que le vaccin suscite, c’est un produit stratégique en devenir. D’autant qu’il serait « un outil de prévention très important pour empêcher un retour cyclique de l’épidémie », indique Marie-Paule Kieny, membre du Comité d’analyse de recherche et d’expertise (Care), qui conseille le gouvernement, dans une interview publiée par Le Figaro ce 27 avril.

Les États-Unis l’ont vite compris. Dès le 16 mars, ils ont annoncé le lancement des premiers essais cliniques. Il s’agit des expérimentations sur les humains qui succèdent à la phase de tests sur les animaux. Elles visent à mesurer l’efficacité et les effets indésirables. En cas d’évaluation positive, c’est la clé vers la validation puis la distribution du bouclier immunitaire anti-Covid-19. Si le laboratoire américain Moderna a pu dégainer en premier, c’est grâce au soutien d’une agence sanitaire dépendant du ministère de la santé américain.

Les Chinois se sont empressés de lancer dans la foulée deux autres essais cliniques. Des essais ont ensuite commencé en Allemagne, menés par la société BioNTech, alliée au géant pharmaceutique américain Pfizer. Un cinquième essai clinique a également débuté le 23 avril en Grande-Bretagne, conduit par l’université d’Oxford sous l’égide du gouvernement britannique. Et la France dans tout ça, patrie du père de la vaccination Louis Pasteur ? Aux avant-postes de ces quelque 115 projets recensés le 9 avril visant à développer un vaccin contre le coronavirus, seulement deux acteurs français : l’Institut Pasteur et Sanofi.

L’Amérique du Nord truste près de la moitié des programmes de recherche confirmés. 18 % viennent de Chine, 18 % d’ailleurs en Asie et d’Australie, et enfin 18 % d’Europe, selon la Coalition for Epidemic Preparedness Innovations (CEPI). Compte tenu de la complexité de ces produits à inoculer, elle attend le premier d’ici à un an, un an et demi.

Angela Merkel a dû taper du poing sur la table en mars quand elle s’est aperçue que les États-Unis tentaient de mettre la main sur son spécialiste national CureVac, bien positionné dans cette bataille internationale. Le quotidien allemand Die Welt, relayé par Courrier international, a révélé que Donald Trump avait tenté de s’approprier le projet de vaccin prometteur contre le Covid-19, en attirant les scientifiques aux États-Unis à coups de « propositions financières élevées » ou en essayant de négocier l’exclusivité de la production du produit. La Commission européenne a même conseillé à ses pays membres de « se protéger » contre cette menace de tentatives d’acquisition d’entreprises stratégiques par des groupes étrangers.

Face aux graves problèmes d’approvisionnement en masques ou en médicaments vitaux contre le Covid-19, le gouvernement français a largement communiqué sur l’importance de retrouver une souveraineté nationale dans la production des matériaux médicaux et remèdes essentiels. Qu’en est-il du vaccin ? Avec potentiellement 7,7 milliards de personnes à immuniser dans le monde, une guerre d’accès aux tout premiers produits est à craindre. Interrogée par Mediapart sur ces risques de pénurie et la façon de les anticiper, la Direction générale de la santé (DGS) indique : « Il est encore trop tôt pour répondre à cette question mais nous y réfléchissons. »

Lors de la conférence de presse des ministres Édouard Philippe et Olivier Véran le 19 avril, le début des essais chez l’homme du vaccin développé par l’Institut Pasteur a été annoncé « d’ici cet été ». Christophe D’Enfert, directeur scientifique de l’Institut Pasteur, précise à Mediapart qu’il conduira « la première phase des essais en France et en Belgique, en lien avec le centre d’investigation clinique Cochin-Pasteur [le seul centre d’investigation clinique français dédié à la recherche en vaccinologie, géré par l’Inserm, l’AP-HP, l’Institut Pasteur et l’Université Paris-Descartes – ndlr]. Ils devraient commencer en juillet si tout se passe bien. »

Bien sûr, les subventions de l’État constituent 30 % du budget annuel de l’Institut Pasteur, qui atteignait en tout 376,3 millions d’euros en 2018. Les pouvoirs publics financent aussi des organismes de recherche qui planchent sur les vaccins en général. Mais aucune rallonge n’a encore été accordée pour cette quête du Graal anti-Covid-19, selon nos informations.

Pour ne pas manquer le départ de cette compétition mondiale, la fondation privée à but non lucratif ne s’est pas dirigée vers le gouvernement français. « L’État n’est pas un très bon interlocuteur pour agir vite compte tenu de la bureaucratie, traduit Yves Charpak, épidémiologiste et ancien directeur des affaires internationales de l’Institut Pasteur. Par ailleurs, la recherche scientifique est un parent pauvre de nos dépenses publiques quand les États-Unis et la Chine, eux, la financent de façon incroyable. »

Les vaccins dans l’angle mort des aides d’urgence
L’Institut Pasteur s’est donc allié à une start-up autrichienne, Themis Bioscience, dont le rôle est d’assurer le développement du produit, issu de la recherche fondamentale de la fondation française. Cette collaboration est le prolongement d’un travail commencé en partenariat en 2016 sur un projet de recyclage du vaccin contre la rougeole en l’adaptant à un autre virus, le chikungunya.

« Les développements industriels de cette technologie ont été longs et difficiles. Les grandes entreprises productrices de vaccins ne se sont pas montrées intéressées. Ce développement n’a pu être réalisé que par le partenariat avec cette biotech », retrace Christophe D’Enfert, directeur scientifique de l’Institut Pasteur. Aujourd’hui, il s’agit de décliner ce même procédé avec le Covid-19.

Pour mener à bien ce projet, l’Institut Pasteur a demandé le soutien de la CEPI : la France ne fait pourtant pas partie des financeurs de cette association norvégienne qui promeut les vaccins, abreuvée par les gouvernements de la plupart des pays européens comme l’Allemagne, la Grande-Bretagne, la Hollande, la Belgique, la Finlande, le Danemark, la Suisse, mais aussi le Canada et l’Australie, ainsi que la fondation Bill & Melinda Gates.

« C’est dommage car c’est une coalition importante qui permet de débloquer des budgets conséquents pour développer des vaccins, commente Christophe D’Enfert. Nous savons où se trouvent les grosses structures qui permettent de supporter des coûts de développement qui deviennent rapidement très onéreux. » En l’occurrence, la CEPI a octroyé 4,3 millions d’euros pour ce programme, et également huit autres projets en cours dans le monde.

Certains d’entre eux devraient bénéficier d’un deuxième investissement aux montants plus importants pour les phases cliniques. C’est en tout cas « en discussion », indique le directeur scientifique de l’Institut Pasteur. En cas de succès du projet de l’Institut Pasteur et de la biotech autrichienne, ils décideront avec la CEPI quelles entreprises seront chargées de la production de cette substance d’origine microbienne dans l’optique d’une distribution. Au moins l’une d’entre elles serait européenne, selon l’Institut Pasteur.

Quant à la politique de distribution du vaccin, elle sera discutée ultérieurement avec la CEPI. S’agissant de la propriété intellectuelle, la politique de « global access » – c’est-à-dire d’accessibilité à un prix abordable – chère à la fondation Bill & Melinda Gates, primera. Et ce, en cohérence avec la politique de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Les 193 membres de l’ONU ont également adopté le 20 avril une résolution (non contraignante) réclamant un accès équitable aux futurs vaccins contre le Covid-19 en soulignant « le rôle dirigeant crucial » de l’OMS. Entre les lignes de cette décision, la crainte d’une répartition inégale et d’un prix prohibitif.

Deux autres pistes de vaccins sont par ailleurs suivies par L’institut Pasteur. L’une, en collaboration avec le laboratoire Theravectys, « pas moins prometteuse que celle utilisant la plateforme rougeole mais qui n’a pas reçu de financement important pour le moment », souligne Christophe D’Enfert. Un troisième projet, moins avancé, emploie une autre technique : le principe consiste à modifier l’ADN d’un virus utilisé comme vecteur pour que la personne vaccinée produise elle-même la protéine virale contre laquelle le système immunitaire fabrique des anticorps. L’Institut Pasteur précise que pour ces deux dernières pistes « des financements externes (publics ou privés) n’ont pas été sollicités » et rappelle que « la subvention d’Etat annuelle couvre entre autres ses coûts de personnel et d’infrastructure. »

Emmanuel Macron avait profité de sa visite à l’Institut Pasteur le 19 mars pour promettre une augmentation du budget de la recherche publique de 5 milliards d’euros sur dix ans. Une annonce « sensiblement en deçà des attentes », réagit Olivier Coutard, président de la conférence des présidents du comité national du CNRS. Selon ses calculs, il faudrait plutôt augmenter le budget annuel de la recherche publique de 5 milliards d’euros d’ici à 2022 ou 2023 dans l’optique d’atteindre un financement public de la recherche à hauteur de 1 % du PIB ; ce à quoi la France s’est engagée dès 2000 lors du Conseil européen tenu à Lisbonne, sans jamais y parvenir. Le 4 février 2020, Frédérique Vidal, ministre de la recherche, a annoncé que cet objectif figurerait dans la prochaine loi de programmation pluriannuelle de la recherche, dont l’entrée en vigueur est prévue pour 2021.

Ce même 19 mars, Frédérique Vidal avait aussi annoncé la création d’un fonds d’urgence de 50 millions d’euros dédié à la lutte contre l’épidémie après avoir affirmé, selon Les Echos : « Nous sommes engagés dans une course de vitesse pour la recherche sur le coronavirus, la recherche d’un traitement et la mise au point de vaccins. » Sauf que pour l’heure, aucun budget spécifique n’a été attribué à un programme de recherche d’un vaccin.

« On ne peut pas financer la recherche de manière réactive, analyse Olivier Coutard, en écho à l’alerte de chercheurs tels que Jean-Bruno Canard, du CNRS, dans une tribune largement relayée début mars. Bien sûr, il faut donner des moyens sur les problèmes qui se posent de manière imminente mais on ne sait pas a priori d’où peuvent venir les prochaines crises. Si on met tous ses œufs dans le même panier ou aucun œuf dans aucun panier à long terme, on ne peut pas mobiliser la bonne science au rythme où il faudrait quand la crise arrive. Il faut investir dans la recherche exploratoire. »

Y a-t-il encore des chances de voir émerger un vaccin d’un laboratoire public hexagonal ? Sans apport considérable, cela semble compromis. Le ministère de la recherche indique néanmoins à Mediapart qu’à l’avenir, « une partie du fonds d’urgence de 50 millions d’euros sera bien attribuée spécifiquement à la recherche vaccinale. Le montant dépendra de l’avancement des projets mais les moyens nécessaires seront mis à disposition afin de développer les pistes sérieuses », sans davantage de précisions. Un groupe de travail a bien été créé au sein du projet Reacting, consortium multidisciplinaire qui vise à coordonner les actions françaises de recherche pendant les épidémies via l’Inserm, établissement public, et donc financé par l’État. Début avril, cette « Task Force vaccins Covid-19 » a appelé à la bonne volonté des chercheurs qui souhaiteraient mettre leurs compétences au service de la quête d’un vaccin Covid-19. Mais, là encore, sans aucun budget spécifique à la clé, pour l’heure, selon nos informations.

En février, les ministères de la santé et de la recherche avaient pourtant annoncé 2,5 millions d’euros supplémentaires pour soutenir l’effort du réseau Reacting sur le Covid-19, et 500.000 euros en plus ont été promis en mars.

« La France est à la pointe de la recherche vaccinale contre le coronavirus »
Parmi les 20 projets sélectionnés par le conseil scientifique de Reacting rendus publics le 12 mars, un seul mentionne un travail de recherche sur les anticorps avec « un potentiel développement vers des candidats vaccins » : celui mené par Hugo Mouquet, chercheur de l’Institut Pasteur et de l’Inserm. En réalité, la première intention du programme est de trouver un traitement, et non un vaccin. « Développer une molécule thérapeutique d’anticorps prend un à deux ans. Si sur la base des connaissances que nous apportent nos recherches, nous voulions dans un deuxième temps nous pencher sur un vaccin, il faudrait encore un à deux ans supplémentaires par la suite. Nous ne l’envisageons pas comme une possibilité de vaccin contre le Covid-19 en soi », précise Hugo Mouquet.

Quoi qu’il en soit, son équipe a seulement reçu 30 000 euros de la part de Reacting, en fonds d’amorçage des recherches, ce qui prend en charge un dixième du projet sur deux ans, selon le chercheur. Il bénéficie surtout d’un financement de l’Institut Pasteur « grâce à la générosité publique », précise la fondation.

Les programmes de recherche sur le vaccin sont aussi exclus du premier appel à projets « flash Covid-19 » du principal guichet de soutien de la recherche publique en France, l’Agence nationale de la recherche (ANR), dotée d’un budget spécial initial de 2 millions d’euros, qui a fini par atteindre en tout 14,5 millions d’euros « grâce au fonds d’urgence alloué par le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (MESRI) et au soutien de partenaires financeurs », indique l’agence.

La BPI France est censée accompagner davantage les projets qui impliquent de lourds investissements. Elle a aussi lancé son « challenge Covid-19 » qui inclut les vaccins dans les textes tout en mentionnant que « le programme cible prioritairement des projets de développement à court terme (3 à 12 mois), avec un lancement et un déploiement rapides de la solution ». Les premiers vaccins étant espérés pour la mi-2021, ils en seraient exclus de fait.

L’Institut de recherche vaccinale (VRI) dirigé par Yves Lévy a annoncé s’engager dans la recherche pour un vaccin Covid-19. Le principe est de réorienter un vaccin en développement pour un autre virus, en l’occurrence, le VIH, vers la nouvelle cible Covid-19. Son développement en est « à son début ». Mais là encore, cela se fait sans aucune subvention spécifique. « Vu l’urgence, le VRI, comme beaucoup de laboratoires de recherche, a redéployé ses financements sur le Covid-19, en attendant des réponses aux appels d’offres nationaux ou internationaux. Cela montre que les mécanismes de financement des vaccins ne permettent pas de répondre en urgence à cette pandémie, et que l’utilisation de ressources internes au laboratoire pourraient se faire au détriment d’autres maladies ou problèmes de santé publique », déplore le service communication du VRI.

Les vaccins se retrouvent ainsi à l’heure actuelle dans l’angle mort des aides d’urgence débloquées pour la recherche face à la crise sanitaire, du fait de leur long processus. Leur succès, pourtant, n’en est pas moins pressant.

De son côté, le ministère de la recherche estime qu’« il serait erroné de conclure qu’aucun budget spécifique n’a été prévu pour soutenir la recherche d’un vaccin contre le Covid-19 » puisque « la recherche dans son ensemble fonctionne largement par appels à projets, soutenus, sous diverses formes par l’État français. Les fonds alloués à la recherche vaccinale le sont par différents biais. »

Il assure aussi à l’unisson avec le ministère de la santé que « la France est à la pointe de la recherche vaccinale contre le coronavirus, avec ses acteurs à la fois publics et privés ». Aucun des ministères n’est cependant en mesure d’extraire du budget global de la recherche celui alloué aux études qui portent sur la vaccination en général. Les deux admettent en tout cas que « ce sont des projets appliqués dont le coût est important et de haute technicité, principalement développés par le secteur industriel spécialisé. Cela explique le fait que les projets publics en la matière soit moins nombreux et généralement en collaboration avec le secteur privé. »

En l’occurrence, l’autre grand programme bien engagé teinté de bleu-blanc-rouge est celui mené par le géant pharmaceutique français Sanofi ; non pas en collaboration avec le gouvernement français mais, comme nous l’avons dit, avec le ministère de la santé américain. L’autorité américaine de recherche et développement avancés dans le domaine biomédical (Barda) a injecté des centaines de millions d’euros dans le programme. D’ailleurs, Sanofi travaille depuis quinze ans avec la Barda, notamment sur le syndrome respiratoire aigu sévère (Sras). Quand les versements d’argent américain s’arrêtent, les projets de recherche aussi (lire aussi En pleine pandémie, le laboratoire Sanofi soigne sa communication).

À cette alliance de titans s’est même ajouté le britannique GSK, un autre leader de ce marché en forte croissance qu’est la vaccination mondiale. Les vaccins représentent 16,5 % de son chiffre d’affaires, 13,5 % pour Sanofi. La coopération entre ces concurrents sous prétexte de compétences complémentaires et d’union des forces pour faire face à la crise sanitaire est improbable, de l’aveu même de Paul Hudson, directeur général de Sanofi. Dans un courriel interne daté du 14 avril, jour de l’annonce de l’entente, il reconnaît : « Je ne suis pas certain qu’il y a tout juste deux mois nous aurions même envisagé un partenariat comme celui-ci. »

Pour Sandrine Caristan, membre du syndicat Sud Chimie, « Sanofi et GSK sont les ennemis de toujours mais aujourd’hui, ils ont intérêt à s’allier pour avancer rapidement, ils ont fait preuve de peu d’innovations ces dernières années. Qu’a fait Sanofi contre Ebola, Zika, le chikungunya ? Ils veulent à présent montrer que ce sont eux les maîtres de la guerre. » Sanofi assure ainsi à Mediapart « pouvoir mettre à disposition un vaccin au deuxième semestre 2021 sur la base d’un rapport bénéfice-risque favorable ».

Le marché est bien sûr prometteur d’autant plus que plusieurs injections par personne pourraient être nécessaires, comme c’est le cas pour le vaccin contre la polio (le DTP) qui nécessite plusieurs piqûres initiales puis des rappels. On ne sait pas encore pendant quelle durée un vaccin pourrait protéger contre le Covid-19, mais une des hypothèses est qu’elle soit courte : la mémoire immunitaire des autres coronavirus n’excède pas deux à trois ans.

Sanofi refuse de communiquer le montant octroyé par la Barda, pas plus que l’endroit où auront lieu les essais cliniques et la production du vaccin, ni si une clause de priorisation pour fournir le marché américain est prévue dans l’accord. « La politique de propriété intellectuelle figure dans les premières lignes de ces accords, réagit Nathalie Coutinet, chercheuse en économie de la santé à l’université Paris-XIII. Si la Barda a investi, le gouvernement américain va demander à être servi en premier. Les États-Unis sont les leaders de la course aux brevets, c’est un enjeu national fort. » Car la politique d’accès équitable est rarement celle préférée par l’industrie pharmaceutique.

Un deuxième projet de recherche d’un vaccin contre le Covid-19 mené par Sanofi se fait en partenariat avec l’entreprise américaine Translate Bio. Là encore, cette alliance est le prolongement d’un partenariat ancien, pour agir rapidement. La fabrication du produit serait prévue dans le Massachusetts. Sanofi indique néanmoins « évaluer les besoins et les emplacements futurs ».

Pour l’heure, parmi tous les projets en lice, aucune production de vaccins n’est planifiée sur le sol français. Or, cela prive l’État de marges de manœuvre. Le 25 mars, la France a par exemple interdit l’exportation de médicaments à base d’hydroxychloroquine, notamment fabriqués par Sanofi dans l’Hexagone. Et à l’inverse, la France pourrait subir ce type de mesures protectionnistes de la part de pays étrangers producteurs des premiers potentiels vaccins victorieux de ce marathon mondial de la recherche.