Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Liberation.fr : Fichiers médicaux, isolement, traçage... Le gouvernement précise son état d’urgence sanitaire

Mai 2020, par infosecusanté

Liberation.fr : Fichiers médicaux, isolement, traçage... Le gouvernement précise son état d’urgence sanitaire

Laure Equy, Lilian Alemagna

A l’issue du conseil des ministres, Olivier Véran a justifié l’utilisation prochaine de « systèmes d’information » pour « tracer » les personnes infectées par le nouveau coronavirus et la prolongation de l’état d’urgence sanitaire jusqu’à juillet.

L’été sous état d’urgence sanitaire. Présenté samedi en conseil des ministres, le projet de loi que Libération s’est procuré montre combien le déconfinement ne représentera pas « un retour pur et simple en arrière », dixit Olivier Véran. Mais, à la sortie d’un conseil des ministres inhabituellement organisé un week-end, le ministre de la Santé a voulu insister sur le fait que dans cette nouvelle phase de la lutte contre l’épidémie, la stratégie gouvernementale reposait « tout d’abord sur l’adhésion des Français, des personnes infectées ou ceux susceptibles de l’être ». « Notre civisme collectif, c’est notre survie collective », a abondé son collègue de l’Intérieur, Christophe Castaner.

Alors que certains élus de la majorité se sont inquiétés de possibles atteintes aux libertés individuelles et que le couple exécutif continue d’accumuler de la défiance depuis l’annonce du plan de déconfinement, ce texte - débattu lundi au Sénat et mercredi à l’Assemblée nationale - se révèle finalement moins contraignant que ce qui était craint sur le placement en quarantaine ou les mesures d’isolement. Mais en choisissant de mettre en place deux fichiers pour « tracer » les malades, y compris « sans (leur) consentement », le gouvernement s’expose à de nouveaux débats sur la protection des données personnelles et médicales. Explications.

Pourquoi prolonger l’état d’urgence sanitaire malgré le déconfinement ?

Créé par la loi du 23 mars, au début de la crise sanitaire liée au Covid-19, ce régime d’exception accorde de très larges pouvoirs à l’exécutif pour faire face à la vague épidémique et donne une base juridique au confinement de la population. Malgré le ralentissement de la progression de l’épidémie, le gouvernement estime « prématuré » de lever cet état d’urgence sanitaire en vigueur jusqu’au 23 mai : « le niveau de circulation du virus reste élevé et les risques de reprise épidémique sont avérés en cas d’interruption soudaine des mesures en cours », est-il relevé en introduction du projet de loi. Le texte prévoit donc de proroger l’état d’urgence sanitaire pour deux mois, jusqu’au 24 juillet, le gouvernement se prévalant de l’avis rendu le 28 avril par le conseil scientifique. Dans son dernier avis, rendu public le week-end dernier, celui-ci a considéré « à l’unanimité que l’ensemble des dispositifs de lutte contre l’épidémie de Covid-19 […] restent nécessaires dans la situation sanitaire actuelle ».

En revanche, le projet de loi modifie ce cadre juridique de façon à ajuster les mesures pour l’après-11 mai et à « définir les modalités d’une reprise progressive activités en adéquation avec l’évolution de la situation sanitaire ». Le Premier ministre pourra ainsi par décret autoriser les déplacements dans un rayon de 100 kilomètres autour de chez soi (sauf raisons professionnelles ou motifs familiaux impérieux), fixer des conditions à la réouverture de commerces (horaires spécifiques, respect de la distanciation) et rendre obligatoire le port du masque dans les transports collectifs. Le texte rallonge, au passage, « la liste des personnes habilitées à constater les infractions aux règles de l’état d’urgence sanitaire », explique le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner : les agents des transports en commun pourront par exemple verbaliser les usagers sans masque.

Quarantaine et isolement obligatoire : qui est concerné ?

Dans son plan de déconfinement, Edouard Philippe a énoncé mardi son triptyque « protéger, tester, isoler ». Les articles 2 et 3 du projet de loi précisent et encadrent le dernier point. « Des mesures individuelles ayant pour objet la mise en quarantaine et les mesures de placement et de maintien en isolement » pourront être prononcées par le préfet, sur proposition du directeur général de l’Agence régionale de santé. Elles ne concernent, en revanche, que les personnes entrant sur le territoire national ou arrivant dans une collectivité d’outre-mer ou en Corse, et « ayant séjourné dans une zone de circulation de l’infection ». Le texte prévoit aussi que « le placement et le maintien en isolement sont subordonnés à la constatation médicale de l’infection de la personne concernée ».

Plusieurs versions de l’avant-projet de loi avaient circulé cette semaine. L’une d’elles visait à imposer cette « quatorzaine » à des personnes infectées qui, « en cas de refus réitéré des prescriptions médicales d’isolement prophylactique, (feraient courir) un risque grave » de contamination. Une telle rédaction avait suscité de vifs débats au sein de la majorité. Au point que des ministres, dont Edouard Philippe et la garde des Sceaux Nicole Belloubet, ont dû rassurer des députés LREM au téléphone, glissant que cette piste allait évoluer. Le chef du gouvernement, mardi dans l’hémicycle, avait d’ailleurs parlé d’un isolement « consenti ». Et jeudi soir, il a affirmé aux députés LREM, réunis en visioconférence, son intention de restreindre le champ des personnes concernées par un isolement forcé. « Une telle mesure était analogue au dispositif antiterroriste », ressemblant aux rétentions administratives, pointe le député LREM Sacha Houlié, qui se félicite que « le principal problème ait été levé par le gouvernement ». Autre « garantie », selon Véran, la possibilité de recours devant le juge des libertés et de la détention qui statuera en 72 heures. Sauf consentement de l’intéressé, « la mise en quarantaine ou le placement à l’isolement ne peut se poursuivre au-delà d’un délai de quatorze jours » sans décision du juge. La mesure peut s’appliquer jusqu’à un mois.

Deux fichiers pour « tracer » les malades ?

Un autre article - le 6 - devrait néanmoins braquer les oppositions et les associations de défense des libertés individuelles. Ce dernier donne la possibilité au ministre de la Santé de « mettre en œuvre un système d’information aux seules fins de lutter contre […] l’épidémie de Covid-19 » avec des données « partagées ». Médicales ou non. Ainsi, pour « tracer » les personnes malades et celles susceptibles de l’être, le gouvernement prévoit de se doter de deux fichiers. L’un, baptisé « Sidep », recensant des informations en provenance des laboratoires de biologie médicale « lorsqu’un patient aura été testé positif au coronavirus », a précisé Véran. L’autre, « Contact-Covid » pour donner accès aux « coordonnées des personnes à contacter » par les personnes chargées de retracer la chaîne de contamination - 3 000 à 4 000 personnes, médecins mais aussi non-médecins, poétiquement rebaptisées « brigades d’anges gardiens » par un Olivier Véran visiblement soucieux d’atténuer le terme militaire initialement mal choisi de « brigades ».

Mais le ministre de la Santé s’est bien gardé de préciser que le projet de loi permettra la récolte et la transmission de ces données, « le cas échéant sans le consentement des personnes intéressées », comme on peut le lire dans le texte de loi. « Cela pose clairement la question du respect du secret médical, de la protection des données personnelles donc potentiellement un problème constitutionnel et une incompatibilité avec la réglementation européenne, estime Marie-Pierre de la Gontrie, sénatrice PS. Donc si vous croisez la belle-sœur de votre voisine qui est malade, vous donnez son nom et elle se retrouve dans un fichier ? Non ce n’est pas possible… » Les débuts de polémiques concernant ces fichiers ont quelque peu agacé Véran : « Que les choses soient très claires : ce système d’information est bien destiné à identifier des personnes infectées ou susceptibles de l’être, à collecter des informations nécessaires pour déterminer les personnes qui ont été en contact étroit avec des personnes malades, à organiser des examens de biologie médicale, des examens de dépistage et à réaliser toute action utile dans la lutte contre la propagation du virus, a-t-il martelé ce samedi. On est très loin d’un fichage, d’un flicage. »

« Il faudra regarder trois choses : le champ d’application des systèmes d’informations, les personnes y ayant accès et la durée de ces informations avant leur destruction, estime le député Sacha Houlié (LREM). Si l’on répond à ces questions, il n’y a pas de difficultés. Je préfère largement ce recours au traçage humain au tracing numérique. » Le gouvernement répond en partie à ces interrogations dans le projet de loi : les fichiers seront « limités à la durée de l’épidémie ou au plus tard à une durée d’un an à compter de la publication de la loi », les « données collectées » ne pourront « être conservées à l’issue de cette durée » et les « organismes » qui y auront accès seront listés dans un décret pris en Conseil d’Etat après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil).

Enfin, pour espérer « couper court à toute suspicion, à tout esprit de polémique », Olivier Véran a juré que « les données récoltées ne (le) seront pas aux fins d’une application », donc que ces fichiers n’auront aucun lien avec l’application numérique StopCovid, toujours dans les cartons du gouvernement. « On a l’impression qu’ils se sont dit "StopCovid ça ne marche pas, mettons en place un super dossier médical partagé" alors que cet outil ne marche pas non plus », estime Marie-Pierre de la Gontrie. Portée par le secrétaire d’Etat au Numérique, Cédric O, le projet Stop-Covid, qui divise la majorité, apparaît de moins en moins comme une priorité du gouvernement. Une « question complexe », un « défi technologique, scientifique », a juste glissé Véran : « Au 11 mai, il n’y aura pas d’application StopCovid disponible ».