Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde - « Les soignants se demandent s’ils pourront avoir des vacances ! »

Mai 2020, par Info santé sécu social

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Collectif

« Le Monde » donne la parole à des personnels soignants en première ligne contre le coronavirus. Ils racontent « leur » crise sanitaire.

Ils travaillent à l’hôpital ou en médecine de ville, ils sont généralistes, infirmiers, urgentistes ou sages-femmes : une quinzaine de soignants, en première ligne contre la pandémie de Covid-19, ont accepté de nous raconter leur quotidien professionnel. Plusieurs fois par semaine, dans ce « journal de crise », Le Monde publie une sélection de témoignages de ces « blouses blanches ».

« Beaucoup de soignants ne supporteraient pas que rien ne change »
Véronique Manceron, 49 ans, interniste-infectiologue, hôpital Max-Fourestier, Nanterre

« Ces jours-ci, on vit comme la fin d’un épisode : on a un sentiment de flottement, de vide. Les rares nouveaux patients Covid sont principalement des personnes âgées qui viennent d’Ehpad. Les patients non-Covid reviennent, mais, dans cet entre-deux, l’activité hospitalière demeure faible. Comment va-t-on devoir gérer cette situation ? Faut-il garder des lits pour une éventuelle reprise de la circulation du virus après le déconfinement ? Il y a aussi la fatigue qui s’est accumulée et la difficulté à décrocher, à se reposer vraiment. Comme tout le monde, les soignants se demandent simplement s’ils pourront avoir des vacances !

« Il y a des choses que je n’oublierai jamais. La terreur de ces quelques jours qui ont précédé les transferts de malades en régions »

Quel que soit l’avenir, il y a des choses que je n’oublierai jamais. La violence psychologique d’abord, la terreur de ces quelques jours qui ont précédé les transferts de malades en régions : on a vraiment cru qu’on allait devoir laisser des patients mourir faute de places en réanimation. Ce n’est pas arrivé, mais c’était vraiment sur le fil. A quarante-huit heures près, c’était l’implosion. Il y a aussi des choses positives, comme la manière extraordinaire dont l’hôpital s’est réorganisé autour d’un but commun. Il y a aussi une forme d’expérience professionnelle inédite pour la plupart d’entre nous : celle de découvrir une nouvelle maladie en temps réel.

Maintenant que les choses sont redevenues plus calmes, reste la manière dont on envisage l’avenir d’un point de vue personnel : comment va-t-on vivre dans les prochains mois avec nos familles, nos parents, nos amis, alors que nous serons durablement plus exposés à la maladie et donc des vecteurs possibles du virus ? Quand pourrai-je reprendre une vie sociale normale, sans craindre de contaminer mes proches ?

On s’interroge aussi, anxieusement, sur l’avenir de l’hôpital. On voit les vieux réflexes revenir. Quelque chose semble traverser toute la communauté soignante : va-t-on nous redemander de faire surtout du codage administratif plutôt que de la médecine ? Va-t-on encore nous parler d’argent et uniquement d’argent… comme avant ? Va-t-on enfin stopper la fuite et le découragement du personnel paramédical en valorisant honnêtement leur travail ? Beaucoup d’entre nous ne supporteraient pas que rien ne change. »

« Nos vies sont bouleversées pour longtemps »
Pierre Hammoum, 25 ans, interne en réanimation à l’hôpital Lariboisière (Paris 10e)

« Des lits sont désormais libres et, dans l’unité de réanimation chirurgicale, seize lits réservés aux Covid + ont été fermés. J’ai l’impression que le nombre d’arrivées de formes graves du Covid est faible. Le virus circule beaucoup moins, c’est une évidence, donc le nombre de formes sévères diminue. Par contre, nous avons des malades qui viennent pour d’autres pathologies, dont on découvre qu’ils ont, en plus, le virus et que nous devons isoler.

« J’ai bon espoir que cette période ait sensibilisé le public et permette de sortir de l’épidémie sans avoir à se reconfiner »

Ce serait trop optimiste de dire que la diminution des patients Covid est davantage liée à la baisse de circulation du virus qu’au confinement. Je pense qu’il faut agir comme si c’était uniquement le confinement qui fonctionnait. J’ai bon espoir que cette période ait sensibilisé le public et permette de sortir de l’épidémie sans avoir à se reconfiner. Il faut garder en tête un scénario optimiste et un autre pessimiste avec un risque d’une nouvelle flambée l’hiver prochain.

Quoi qu’il en soit, nos vies sont bouleversées pour longtemps. Mais il y a des excès non justifiés. Quand je vois, par exemple, un joggeur porter des gants jetables et ensuite passer ses mains dans les cheveux ! C’est une fausse sensation de protection. Quant à porter un masque en tissu, ce n’est pas aberrant. Il faut faire avec ce qu’on a, s’adapter, c’est déjà ça.

L’organisation du temps de travail pendant l’épidémie au sein des équipes de médecins a permis, paradoxalement, des plages de repos suffisantes pour récupérer. Mais si on n’a pas de vacances encore pendant quatre ou cinq mois, ce ne sera pas la même chose… »

« Beaucoup de patients ne veulent pas venir à l’hôpital parce qu’ils ont peur d’être infectés »
Yann Bubien, 47 ans, directeur général du CHU de Bordeaux

« La baisse se poursuit au CHU de Bordeaux : vendredi 1er mai, nous avions 104 patients Covid, dont 31 en réanimation. Désormais, on prépare le déconfinement. C’est une logistique presque équivalente à celle de la préparation de la crise. On bascule dans l’épidémie chronique, dans l’inconnu, sans savoir si cela durera un ou six mois. Il faudra qu’on s’adapte en permanence.

Pour commencer, on a mis en place une plate-forme “haut débit” de dépistage devant trois hôpitaux du CHU, des sortes de drive. On pourra tester jusqu’à 3 000 personnes symptomatiques par jour sans qu’elles aient à sortir de leur voiture ou à descendre de leur vélo.

Ensuite, on a réorganisé l’hôpital pour pouvoir reprendre l’activité, tout en assurant la sécurité des patients : les chambres doubles sont devenues des chambres simples, on a enlevé une chaise sur deux dans les salles d’attente, disposé des lignes au sol et on distribue un masque et du gel à toute personne qui entre dans l’hôpital.

« Aux urgences, on se retrouve avec des pathologies liées au confinement, des pathologies psychiatriques ou psychologiques, des cas d’addictions, des violences familiales »

Une centaine de lits de réanimation Covid sont maintenus. On anticipe des scénarios de montée en charge en cas de hausse des symptômes grippaux pendant l’été. On conserve aussi notre poste médical avancé en amont des urgences, et des filières, unités et lits dédiés, afin de séparer les patients Covid + des patients Covid−. Personne ne doit attraper le virus en venant à l’hôpital.

Les médecins me disent que beaucoup de patients ne veulent pas venir ou viennent à reculons parce qu’ils ont peur d’être infectés. Il faut rassurer tout le monde pour que l’activité reprenne et qu’on évite les pertes de chances : une opération qu’on avait déprogrammée il y a deux mois parce qu’elle n’était pas urgente l’est peut-être devenue depuis.

L’activité aux urgences, qui avait baissé de 60 %, reprend peu à peu. On se retrouve majoritairement avec des pathologies liées au confinement, des pathologies psychiatriques ou psychologiques, des cas d’addictions – drogue ou alcool –, des violences familiales. C’est un vrai sujet de préoccupation. »

« On porte désormais en permanence le masque à la maternité »
Géraldine Morel, 52 ans, sage-femme en hôpital privé et en libéral dans la région d’Annecy (Haute-Savoie)

Géraldine Morel, sage-femme en hôpital privé et en libéral dans la région d’Annecy (Haute-Savoie)
Géraldine Morel, sage-femme en hôpital privé et en libéral dans la région d’Annecy (Haute-Savoie) Photo : Géraldine Morel
« Quand est-ce que tout cela sera fini ? Je m’interrogeais, ces jours-ci, devant une collègue quand elle m’a répondu : “Mais ce ne sera jamais fini !” L’avenir avec le Covid va ressembler à ça : un truc lancinant qui ne nous lâchera pas, avec des hauts et des bas. Notre esprit a besoin d’envisager la fin de la crise pour aller bien et il faut accepter de ne plus se projeter alors que nous sommes tout le temps en train de le faire, dès qu’une petite information nouvelle nous parvient.

On porte désormais en permanence le masque à la maternité, au point qu’il faut se retrouver à poser la fourchette dessus quand on mange avec les collègues pour se rendre compte qu’on l’a gardé !

« Encore une fois, on pense aux sages-femmes pour palier tous les manques, tandis que personne ne voit sa fiche de salaire augmenter »

Avec le déconfinement on se trouve de nouveau face à un océan d’interrogations, avec des décisions qui paraissent manquer de cohérence. Les parents s’inquiètent en se demandant qui va venir les visiter et postillonner sur le bébé. Des maternités du département ont indiqué que les papas pourraient de nouveau rester dans les services après les accouchements, mais ce n’est pas le cas partout.

Un ami vient de reprendre le travail dans l’industrie, avec des mesures folles, pas plus d’un salarié dans un atelier de 40 m2, vestiaires et toilettes complètement réaménagés, etc. Mais nous, à l’hôpital ? J’entre dans mon vestiaire comme d’habitude et on mange dans notre petite pièce, les unes à côté des autres…

On veut pourtant nous confier de nouvelles tâches : le décret qui était dans les tuyaux depuis 2019 pour que les sages-femmes vaccinent les nourrissons serait finalisé, car les autorités s’affolent sur les retards de vaccinations liés au confinement. Je ne me sens pas de le faire, surtout sur le long terme, avec toutes les polémiques qui existent sur les vaccins. Encore une fois, on pense aux sages-femmes pour palier tous les manques, on veut nous donner toujours plus de compétences, tandis que personne ne voit sa fiche de salaire augmenter. »

« Il flotte comme un vent de retour à la normale »
Claire Guil-Paris, 49 ans, infirmière au centre hospitalier universitaire (CHU) de Nantes

« Dans mon service de médecine polyvalente urgences, il flotte comme un vent de retour à la normale. Nous avons rouvert nos 32 lits, le service est quasiment plein. Ce sont, dans la grande majorité, des personnes entre 80 et 90 ans vivant seules chez elles qui viennent pour des chutes avec traumatismes crâniens, des problèmes d’altération type déshydratation et dénutrition, des décompensations de troubles psychiques (alcoolisation, intoxication médicamenteuse volontaire) et/ou psychiatriques (démence, angoisse, syndrome de persécution, délires, etc.).

Les retours à domicile ne sont pas envisageables vu la dégradation de leur état de santé et la perte d’autonomie. Et les places en convalescence ou en Ehpad sont peu nombreuses… Mais il n’y a pas que des personnes âgées : on a, par exemple, un jeune de 30 ans qui a fait une intoxication médicamenteuse volontaire. Il sort de réanimation, il est incapable de faire quoi que ce soit.

« Je ne prends plus l’ascenseur, c’est un endroit confiné où on ne porte pas de masque, c’est risqué »

J’ai l’impression qu’on a un concentré de patients déments ou confus quand on regarde les motifs d’hospitalisation aux urgences. Peut-être que ce sont des gens qui avaient des troubles sous-jacents qui se révèlent avec le confinement, l’angoisse d’être enfermé et l’isolement social…

Dans le service, les collègues qui avaient été placés en quatorzaine reviennent au compte-gouttes, on est contents de se retrouver. A titre personnel, je ne prends plus l’ascenseur, c’est un endroit confiné où on ne porte pas de masque, c’est risqué. On essaie de ne pas céder à un sentiment de méfiance permanente, mais on en discute beaucoup entre nous. On marche un peu sur un fil entre trop de précautions et pas assez.

On aimerait savoir jusqu’à quand le plan blanc sera activé à l’hôpital. Pour l’instant, on est dans le flou. On ne peut pas se projeter. Pendant la crise, nos congés annuels se sont transformés en autorisation spéciale d’absence, il va falloir qu’on les repose. J’anticipe qu’on sera cet été un peu “en vacances sur place”. »

Henri Seckel, Elisabeth Pineau, Stéphane Foucart, Nathalie Guibert et Sandrine Blanchard