Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : A une semaine du déconfinement, les personnels de santé sont toujours vulnérables.

Mai 2020, par infosecusanté

Le Monde.fr : A une semaine du déconfinement, les personnels de santé sont toujours vulnérables.


La CGT estime à 11 900 le nombre de personnels soignants malades du Covid-19. Elle présente, lundi, une étude portant sur 550 000 salariés du secteur de la santé.

Par Rémi Barroux

Publié le 4 mai 2020

Pour enrayer une épidémie, il faut d’abord penser aux soignants. Le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, avait, dès le début du mois de mars, alerté les gouvernements en insistant sur la nécessité de les doter de moyens de protection. « Nous ne pourrons pas vaincre le Covid-19 sans protéger d’abord les agents de santé », avait-il déclaré.

Il semblerait qu’en France, selon une étude de la fédération CGT de la santé et de l’action sociale, ce ne soit toujours pas le cas. Présentée lundi 4 mai, cette enquête qui a été relayée par 356 syndicats d’établissements (public et privé), soit quelque 550 000 salariés – un quart environ des personnels du secteur sanitaire au niveau national – fait état d’un nombre croissant de soignants contaminés. Bouclée le 27 avril, l’étude estime à quelque 11 900 le nombre de personnels concernés, soit le double du dernier chiffrage qui faisait état, le 16 avril, de 6 676 agents contaminés (2 746, le 6 avril).

Dans sa première enquête – à laquelle avaient répondu 132 syndicats, portant sur 273 081 agents –, le syndicat affirmait que les professionnels de santé avaient été six fois plus atteints que le reste de la population.

Les nouveaux résultats font passer la prévalence à « onze fois plus que pour la population en général », a annoncé Mireille Stivala, la secrétaire générale de la fédération, lors d’une rencontre au sein de l’hôpital parisien Saint-Louis, vendredi 1er mai.

Le ministère reste toujours discret sur les chiffres

Dans le petit local de son syndicat, alors que la direction de l’hôpital a fait état de 220 cas Covid connus dans le personnel, la dirigeante syndicale, aide-soignante à Sarreguemines (Moselle), s’est indignée du manque de chiffres communiqués par le ministère de la santé. « Quand on réclame des statistiques au niveau national sur les soignants malades, on nous répond que ce n’est pas prêt, proteste Mireille Stivala. Alors que le ministère sait compter le nombre de grévistes, service par service ! »

Interrogé, le ministère reste en effet toujours discret sur ce nombre de personnels soignants atteints par le virus ou décédés, faisant parfois état de la nécessité de « protéger le secret médical ». Déjà sollicité, voici une quinzaine de jours, il avait pourtant déclaré que, « afin de disposer d’une vision nationale globale, le ministère développait un dispositif de remontée systématique des cas infections Covid-19 survenant parmi les personnels des établissements de santé » et annoncé des résultats rapidement disponibles.

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Dans les 27 pages du « point épidémiologique hebdomadaire du 30 avril » de l’organisme de sécurité sanitaire Santé publique France (SpF), basé sur un réseau de surveillance intégrant médecins libéraux, SAMU, Agences régionales de santé (ARS), urgentistes, etc., on trouve néanmoins une discrète référence à cette question délicate des personnels malades du coronavirus. Ainsi, ce réseau fait état de « 37 066 cas rapportés parmi les membres des ESMS [établissements et services médico-sociaux], dont 16 659 (45 %) cas confirmés ». Plus loin, ce même bulletin épidémiologique annonce six décès de professionnels de santé sur 431 décès parmi les 3 432 cas admis en réanimation depuis le 16 mars.

On est évidemment loin du nombre probable de décès que cette épidémie entraînera dans ces personnels. Le site international spécialisé dans la santé, Medscape.com, qui publie les noms des personnels soignants décédés dans le monde – de manière évidemment incomplète –, présentait pour la France au 1er mai, 21 professionnels morts. Sur ce nombre en forte augmentation depuis notre dernier pointage du 16 avril (7 décédés), huit ont été enregistrés dans la région Grand Est et 8 sur l’Ile-de-France. Au total, ce mémorial comportait 826 noms (429 précédemment).

Manque de moyens de protection

Selon le bureau européen de l’OMS, au 26 avril, les personnels de santé représentaient, 17 % (4 points de plus par rapport à début avril) des malades recensés, soit 57 633 sur 336 117 cas au total à l’échelle européenne.

Cette pénurie de chiffres, au niveau des autorités françaises, reste difficilement compréhensible quand on voit l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) publier ses statistiques de professionnels infectés. Sur son site, actualisé régulièrement, l’AP-HP annonçait, au 20 avril, « 4 275 professionnels de l’AP-HP qui ont été ou sont atteints de Covid-19 », sur 100 000 personnels dont la moitié de soignants. Ils étaient 3 800, huit jours plus tôt.

Mais, en présentant son étude, la fédération CGT de la santé ne pointe pas que le nombre élevé de personnels atteints. La remontée des questionnaires met aussi en avant le manque de moyens de protection pour les soignants. Une grande majorité des réponses souligne, à 63 %, le manque d’équipement de protection individuelle, un nombre qui monte à 75 % pour les surblouses, 58 % se plaignant encore du manque de masques FFP2.

« C’est énorme quand on considère que l’on est fin avril, soit à quelques jours du début du déconfinement, insiste Astrid Petit, membre de la direction de la fédération et l’une des coordinatrices de cette enquête flash. Et d’autant plus inquiétant quand on voit cette proportion passer de 65 % à 71 % dans les régions les plus exposées, le Grand Est, l’Ile-de-France et les Hauts-de-France. »

« Porteurs du virus contraints à travailler »

Selon la CGT, premier syndicat dans le secteur médical et hospitalier, 55 % des réponses font aussi état de difficultés d’accès aux tests de dépistage pour les personnels soignants, un chiffre néanmoins en baisse par rapport aux 61 % du 16 avril. « Si l’on ne peut dépister correctement le personnel qui est en première ligne, comment croire que l’on sera à la hauteur quand il faudra faire du dépistage massif ? », questionne Astrid Petit, sage-femme à l’AP-HP.

Le syndicat dénonce aussi le retour au travail précoce des personnels atteints par le virus. « Plus de la moitié des réponses font état aussi de personnels que l’on a contraints à travailler alors qu’ils étaient porteurs du virus », a expliqué Patrick Bourdillon, secrétaire fédéral, le 1er mai. Il a présenté le document d’une direction d’hôpital parisien précisant que « les délais d’éviction d’un professionnel Covid + sont désormais de sept jours après le début des symptômes et de deux jours après la fin des symptômes ». C’est beaucoup trop court pour éviter une propagation du virus au sein même des établissements de santé, dénonce le responsable syndical.

Selon l’enquête, 10 % des établissements ont signalé la présence de collègues Covid positifs maintenus dans les services ou de retour au bout de quelques jours seulement d’arrêt. « On sait qu’il y a des tensions sur les effectifs, mais cela n’est pas de notre faute ; 40 % des personnels des Ehpad [établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes] sont en arrêt. Et les épuisements professionnels arrivent. Le manque de matériel, de masques, etc., au début, a transformé le personnel soignant en vecteur potentiel du virus, c’est très dur à vivre », a insisté Patrick Bourdillon.

C’est surtout inquiétant pour la période à venir, estime la CGT. « C’est une enquête faite par des militants qui a certainement des faiblesses, mais elle révèle, à une échelle de masse et nationale, la situation des personnels de santé, à une semaine du déconfinement et d’une possible nouvelle arrivée de malades dans les établissements », conclut Astrid Petit.