Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération -Pour lutter contre l’épidémie, un partage des données médicales « sans le consentement » des malades

Mai 2020, par Info santé sécu social

Par Laure Equy et Lilian Alemagna — 2 mai 2020 à 12:39

L’été sous état d’urgence sanitaire.

Le projet de loi, présenté en conseil des ministres ce samedi et que Libération s’est procuré, prévoit de proroger ce régime exceptionnel pour deux mois à compter du 24 mai. Créé par la loi du 23 mars, au début de la crise sanitaire liée au coronavirus, ce cadre donne des pouvoirs très larges au gouvernement pour faire face à l’épidémie. L’état d’urgence sanitaire, est-il écrit dans le projet de loi, « a permis de prendre les mesures rendues nécessaires par ces circonstances », au premier rang desquels le confinement de la population. A l’approche du déconfinement, prévu à partir du 11 mai, et alors que l’on observe un ralentissement de la progression de l’épidémie, le gouvernement estime toutefois « prématuré » de lever cet état d’urgence sanitaire dès le 23 mai : « le niveau de circulation du virus reste élevé et les risques de reprise épidémique sont avérés en cas d’interruption soudaine des mesures en cours », est-il relevé en introduction. Le gouvernement s’appuie par ailleurs sur un avis rendu le 28 avril par le comité de scientifiques qui a considéré « à l’unanimité que l’ensemble des dispositifs de lutte contre l’épidémie de Covid-19 […] restent nécessaires dans la situation sanitaire actuelle ».

Il s’agit également de préparer la stratégie du 11 mai de façon à « prévenir la levée pure et simple des mesures indispensables à la protection de la santé des Français » et à « définir les modalités d’une reprise progressive activités en adéquation avec l’évolution de la situation sanitaire ». Le projet de loi ajoute par exemple dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire la possibilité de « réglementer ou (d’)interdire la circulation des personnes et des véhicules ainsi que l’accès aux moyens de transport et les conditions de leur usage ». Ainsi de l’obligation de porter un masque dans les transports en commun à partir du 11 mai.

Pas de « quatorzaine » forcée en cas de refus
Dans son plan de déconfinement, le Premier ministre avait, mardi à l’Assemblée nationale, énoncé son triptyque « protéger, tester, isoler ». Les articles 2 et 3 du projet de loi, en débat dès lundi au Sénat, en précisent le dernier point. Des mesures de « mise en quarantaine, de placement et de maintien en isolement » ne peuventintervenir qu’à l’entrée sur le territoire national ou à l’arrivée dans une collectivité d’outre-mer ou en Corse, pour des personnes « ayant séjourné dans une zone de circulation de l’infection ». « Des mesures individuelles ayant pour objet la mise en quarantaine et les mesures de placement et de maintien en isolement sont prononcées par décision individuelle motivée du représentant de l’État dans le département sur proposition du directeur général de l’agence régionale de santé », est-il ajouté. Le projet de loi prévoit aussi que « le placement et le maintien en isolement sont subordonnés à la constatation médicale de l’infection de la personne concernée et sont prononcés par le représentant de l’État dans le département au vu d’un certificat médical ».

Plusieurs versions de l’avant-projet de loi avaient circulé cette semaine. L’une d’elles prévoyait d’imposer cette « quatorzaine » à des personnes infectées par le coronavirus, « en cas de refus réitéré des prescriptions médicales d’isolement prophylactique, un risque grave de contaminer d’autres personnes ». Une possibilité qui avait suscité de vifs débat au sein de la majorité. D’autant qu’Edouard Philippe, en présentant sa stratégie de déconfinement mardi, avait expliqué que l’isolement devrait être « consenti », faisant reposer, « à cet égard sa politique sur la responsabilité individuelle ». Plusieurs ministres, dont Edouard Philippe et la garde des Sceaux Nicole Belloubet, ont dû rassurer des députés LREM au téléphone, les prévenant que cette mesure allait évoluer. Jeudi soir, en visioconférence avec les députés LREM, le chef du gouvernement leur a dit avoir fait modifier le texte transmis au Conseil d’Etat, par une saisine rectificative, pour restreindre le champ des personnes concernées par un isolement forcé.

Le projet de loi prévoit également une possibilité de recours devant le juge des libertés et de la détention qui statue dans les 72 heures. Ainsi, lorsqu’un individu infecté est interdit de toute sortie hors de son lieu de quarantaine, celle-ci doit pouvoir disposer « de moyens de communication téléphonique ou électronique lui permettant de communiquer librement avec l’extérieur ». Sauf consentement de l’intéressé, « la mise en quarantaine ou le placement à l’isolement ne peut se poursuivre au-delà d’un délai de quatorze jours » sans décision du juge. La mesure peut s’appliquer jusqu’à un mois.

Un « super dossier médical partagé » ?
Mais un autre article - le 6 - risque de braquer les oppositions et les associations de défense des libertés individuelles. Ce dernier donne ainsi la possibilité au ministre de la Santé de « mettre en œuvre un système d’information aux seules fins de lutter contre […] l’épidémie de Covid-19 » avec des données « partagées ». Et cela « le cas échéant sans le consentement des personnes intéressées ». « On a l’impression qu’ils se sont dit "StopCovid ça ne marche pas, mettons en place un super dossier médical partagé" alors que cet outil ne marche pas », analyse la sénatrice PS, Marie-Pierre de la Gontrie.

L’objectif affiché par le gouvernement est, peut-on lire dans le texte, de pouvoir « identifi(er) » les « personnes infectées par l’organisation des examens de biologie médicale de dépistage et la collecte de leurs résultats », celles « présentant un risque d’infection » pour ensuite les orienter « vers des prescriptions médicales d’isolement », « organiser les opérations de dépistage » et réaliser des enquêtes épidémiologiques. Certes, ce partage de données médicales apparaît encadré. Il sera « limité à la durée de l’épidémie ou au plus tard à une durée d’un an à compter de la publication de la loi », ces « données collectées par ces systèmes d’information » ne pourront « être conservées à l’issue de cette durée » et les « organismes » qui y auront accès seront listés dans un décret pris en Conseil d’Etat après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil). « Mais cela pose la question du respect du secret médical, de protection des données personnelles donc potentiellement un problème constitutionnel et une incompatibilité avec la réglementation européenne, estime Marie-Pierre de la Gontrie. Donc si vous croisez la belle-sœur de votre voisine qui est malade, vous donnez son nom et elle se retrouve dans un fichier ? Non ce n’est pas possible… »