Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : Coronavirus : la pénurie de tests entrave le dépistage préventif dans les Ehpad

Mai 2020, par infosecusanté

Le Monde.fr : Coronavirus : la pénurie de tests entrave le dépistage préventif dans les Ehpad

Des correspondances indiquent que sur certains territoires, des établissements ont été contraints par leur Agence régionale de santé de prioriser l’utilisation d’une quantité limitée de tests virologiques.

Par Stéphane Foucart Publié aujourd’hui à 06h05, mis à jour à 16h06

La capacité de la France à dépister les malades du Covid-19 est limitée et la pénurie de tests « virologiques », dits « PCR » (polymerase chain reaction ou amplification en chaîne par polymérase), entrave localement la mise en place de plans de dépistages préventifs dans certains établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).

Une série de correspondances auxquelles Le Monde a eu accès, entre différents établissements et leurs agences régionales de santé (ARS) référentes, indique que la volonté de certains Ehpad de tester préventivement leur personnel et-ou leurs résidents se heurte à la doctrine suivie en matière de dépistage de la nouvelle maladie.

En vigueur depuis le 6 avril, celle-ci veut que des campagnes de dépistage massif ne soient envisagées par les autorités sanitaires qu’après l’apparition du premier cas – chez les résidents ou les personnels. Il faut qu’un malade symptomatique ait été détecté sur le site pour que l’ensemble du personnel, notamment, soit testé. Une source de tensions entre Ehpad et ARS.

Contrainte de prioriser l’utilisation de tests
Les correspondances que nous avons pu consulter, qui s’étendent entre le 13 et le 24 avril, indiquent que, sur certains territoires, des Ehpad qui souhaitaient aller plus loin en ont été empêchés par leur ARS, contrainte de prioriser l’utilisation d’une quantité limitée de tests virologiques.

Plusieurs ARS font aussi une interprétation maximaliste des directives nationales et refusent le dépistage massif des personnels, même lorsqu’un cas de Covid-19 a été confirmé dans l’établissement. Localement, la pénurie de tests conduit des ARS à interdire à des établissements de contacter eux-mêmes les laboratoires de biologie de leur territoire pour passer directement commande.

Mi-avril, quatre établissements d’Occitanie ayant des cas suspectés de Covid-19, mais non confirmés par un test virologique, se voient refuser une campagne de dépistage par leur ARS. Le 20 avril, l’agence justifie : « Au regard des recommandations nationales et afin de coordonner et d’optimiser la réalisation du dépistage, toute démarche de dépistage généralisé doit être validée et organisée par la plate-forme Covid PA [pilotée par l’ARS]. »

Dans le même temps, selon les documents consultés par Le Monde, deux établissements de Nouvelle-Aquitaine font valoir auprès de leur ARS avoir eu chacun un cas confirmé d’infection au nouveau coronavirus et demandent l’organisation d’un dépistage de l’ensemble de leurs personnels et résidents. Le 15 avril, l’agence refuse, au motif que les cas sont « relativement anciens » et qu’aucun cas n’a été relevé depuis.

De même, le 18 avril, un responsable d’Ehpad de Bourgogne-Franche-Comté ayant signalé un cas de Covid-19, confirmé le 3 avril, demande le dépistage de son établissement. « Imaginez : si nous trouvions des cas positifs asymptomatiques, tant chez les résidents que chez les personnels, nous serions tellement heureux de pouvoir les isoler », écrit-il à son ARS référente.

Deux jours plus tard, la réponse est négative. « Si vous n’avez aucun cas suspect parmi les personnels ou résidents à l’heure actuelle, alors que le résident testé positif a quitté votre établissement il y a plus de quatorze jours sans qu’aucun cas suspect n’apparaisse dans cet intervalle, il n’y a donc pas de circulation du virus dans votre établissement, lui répond l’agence. Votre établissement n’entre pas ce jour dans les catégories éligibles au dépistage. »

Tentatives d’approcher des laboratoires infructueuses
Dans les courriels, la pénurie de tests est suggérée au moyen de litotes (« optimisation », « harmonisation », etc.), ou parfois plus explicitement. « Vous avez pris connaissance de notre stratégie régionale qui intègre à la fois les consignes nationales (et donc la cible) et la capacité à réaliser ces tests actuellement, écrit l’ARS Pays de la Loire au responsable d’un Ehpad de la région. Notre capacité a largement progressé (× 5) mais reste limitée au regard des besoins régionaux. Un plan de montée en charge de la production de diagnostics a été défini et nous intégrons, comme vous le savez, des contraintes fortes sur les matériels et équipements indispensables aux tests biologiques (écouvillons, réactifs…). »

L’agence ajoute qu’il est « essentiel » que « vos établissements ne prennent pas contact directement avec les laboratoires pour réaliser le diagnostic de l’ensemble de votre personnel ».

Au sein des Ehpad, des messages internes remontant à la fin avril indiquent que des tentatives d’approcher des laboratoires se révèlent infructueuses. Tel laboratoire de Mayenne, écrit l’employé d’un Ehpad du département, « n’a plus suffisamment de sondes d’extraction pour l’analyse des prélèvements, ils ne seront réapprovisionnés qu’à partir du 5 mai ». On est, écrit l’intéressé, « dans la continuité de tout ce qui se passe sur les Pays de la Loire ». Contactées, les ARS citées dans ces messages n’ont pas réagi aux sollicitations du Monde.

Ces correspondances ne concernent toutefois qu’une dizaine d’Ehpad de certaines régions et ne préjugent pas de la situation qui prévaut sur l’ensemble du territoire. « Le protocole national a été transmis début avril aux ARS et aux préfectures, mais nous ne l’avons jamais eu, s’insurge Florence Arnaiz-Maumé, déléguée générale du Syndicat national des établissements et résidences privés pour personnes âgées (Synerpa). La manière dont il est appliqué varie considérablement en fonction des territoires. »

Les capacités de test PCR vont monter en puissance
Les situations décrites dans les échanges sont « absolument courantes », dit-elle. « Certains de nos adhérents se sont engagés à tester l’ensemble de leur personnel et de leurs résidents d’ici à début mai, ajoute Mme Arnaiz-Maumé. Ce dépistage ne donne qu’une photographie à un instant donné et nous devrions pouvoir réitérer chaque mois ces campagnes de dépistage dans nos établissements. »

La situation devrait évoluer dans les prochaines semaines : le gouvernement assure que les capacités de test PCR vont monter en puissance rapidement. En outre, l’avis rendu le 2 mai par la Haute Autorité de santé valide l’utilisation des tests sérologiques pour les personnels des Ehpad, mêmes asymptomatiques. Ces tests, en complément du dépistage virologique, permettent de savoir qui a déjà été infecté par le nouveau coronavirus. Actuellement en cours d’homologation, ces tests sérologiques seront sans doute au centre des mêmes questions que les tests PCR : y en aura-t-il assez ?