Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - « On peut exclure l’hypothèse de la création d’un virus synthétique »

Mai 2020, par Info santé sécu social

4 MAI 2020 PAR CAROLINE COQ-CHODORGE

Deux spécialistes des coronavirus retracent leur émergence chez l’homme, qui s’est accélérée ces dernières années, dans un contexte écologique dégradé. Ils sont catégoriques : ce nouveau coronavirus est d’origine naturelle.

La professeur Astrid Vabret est chef du service de virologie au CHU de Caen. Elle a écrit sa thèse sur les coronavirus, « à une époque où personne ne s’intéressait à ces virus ». Puis elle a étudié l’émergence chez l’homme du coronavirus SARS-CoV, à l’origine du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) en 2002, puis du MERS-CoV en 2012.

Meriadeg Le Gouil est chercheur en virologie au sein de département de biologie de l’université de Caen. II a consacré sa thèse de biologie à la recherche des origines du SARS-CoV dans la faune sauvage en Asie du Sud-Est. C’est un spécialiste de l’évolution des coronavirus, notamment chez les chauves-souris.

Avez-vous été surpris par l’émergence de ce nouveau coronavirus, suffisamment contagieux pour provoquer en quelques semaines une pandémie mondiale ?

Meriadeg Le Gouil : Oui et non. Entre collègues intéressés par la question, nous échangions sur ce risque. On ne se demandait pas si une nouvelle épidémie de coronavirus chez l’homme surviendrait, mais plutôt quand, et très honnêtement, c’est arrivé un peu plus tôt qu’estimé. Plusieurs facteurs nous le laissaient craindre. Le premier est bien sûr l’émergence dans un intervalle de temps très court de deux nouveaux coronavirus chez l’homme : le SARS-CoV en 2002, et le MERS-CoV en 2012. Tous deux ont franchi la barrière d’espèces. Pour que cette barrière soit franchie, il faut qu’il y ait une opportunité écologique. La dégradation de l’environnement, des écosystèmes, multiplie ces opportunités (pour en savoir plus lire notre enquête).

Parmi les animaux, qui sont les hôtes des coronavirus ?

Meriadeg Le Gouil : Un grande diversité de coronavirus circulent chez les oiseaux et les mammifères : les bovins, les dromadaires, les chiens et chats, etc. Les chauves-souris aussi abritent une diversité importante de coronavirus, qui les affectent peu. Ils circulent de colonies en colonies, et ils évoluent très vite. Chaque colonie, presque chaque individu, possède des variants différents.

Quatre coronavirus circulent depuis longtemps chez l’homme, deux autres ont émergé dans les années 2000. Pouvez-vous nous retracer l’histoire de la connaissance de ces virus ?

Astrid Vabret : Les coronavirus chez les animaux sont connus depuis les années 1930. Deux coronavirus ont été découverts chez l’homme dans les années 1960. L’émergence du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) en 2002, qui a tué 813 personnes dans le monde, a relancé l’intérêt pour cette famille de virus. Deux autres coronavirus ont alors été découverts chez l’homme, qui circulaient depuis de très nombreuses années. En tout, ce sont quatre coronavirus qui co-circulent chez l’homme, particulièrement l’hiver. Ils provoquent surtout des infections respiratoires aiguës peu sévères. Mais chez certaines populations à risque, ils peuvent provoquer des maladies plus graves. On a établi que l’un d’eux, le NL63, circule depuis le XVIe siècle, et un autre, l’OC43, depuis le XIXe siècle. On ne sait rien des circonstances d’émergence de ces coronavirus chez l’homme à ces époques. Ils sont probablement passés inaperçus, parce que les hommes étaient alors beaucoup moins nombreux, qu’ils voyageaient moins et qu’on ne connaissait pas les virus.

Meriadeg Le Gouil : On a pu reconstituer l’histoire écologique du SARS-CoV, à l’origine du SRAS, apparu en 2002 en Chine. Il est passé de la chauve-souris à l’homme, par l’intermédiaire de la civette, un mammifère carnivore opportuniste qui rencontre souvent certaines espèces de chauves-souris, et les mange parfois. La civette s’est retrouvée au contact de l’homme notamment dans le delta de la rivière des Perles, dans la région de Guangdong, au sud de la Chine. Cette plaine, où se situe la ville de Canton, a connu un développement économique fulgurant à partir des années 1980. C’est aujourd’hui une mégalopole de 65 millions d’habitants.

La classe moyenne urbaine est restée attachée à certaines traditions, notamment la consommation de la civette. Des civettes prélevées dans la nature ont été élevées dans des fermes à civettes où la densité des animaux était bien supérieure aux conditions naturelles et vendues sur les marchés urbains. Dans les restaurants, les civettes étaient choisies vivantes par le consommateur et abattues sur place. Cela a créé de nombreuses opportunités de transmission pour les coronavirus infectant la civette. Et un de ces coronavirus a infecté l’homme.

Le MERS-CoV est un coronavirus qui circulait chez le dromadaire depuis plus de 40 à 50 ans dans la péninsule Arabique, région où la proximité de ces animaux avec l’homme est très forte. Il a fallu ces longues années pour que ce coronavirus passe chez l’homme. Mais le MERS-CoV ne se transmet pas facilement d’homme à homme. La majorité des infections humaines documentées sont attribuées à un contact avec les dromadaires.

Pourquoi ces deux nouveaux coronavirus sont-ils restés cantonnés à quelques foyers épidémiques ?

Astrid Vabret : Le MERS-CoV s’est surtout transmis entre humains dans le milieu hospitalier, qui facilite la propagation des virus. Il provoque de la fièvre, de la toux, des difficultés respiratoires. En août 2015, il a touché 136 personnes et en a tué 36 en Corée du Sud, où l’hôpital était à l’époque très dense, avec des chambres à 4 lits. Dans le monde, 1 219 cas ont été détectés, provoquant 449 morts.

Le taux de mortalité de ce coronavirus est évalué à 38 %. Mais comme pour le SARS-CoV-2, le dénominateur, c’est-à-dire le nombre de malades réellement touchés, n’est pas connu.

Pour le SARS-CoV, qui provoque un syndrome respiratoire aigu sévère, le taux de reproduction du virus était à peu près le même que pour le SARS-CoV-2 : 1 personne contamine environ 3 personnes. Mais sa dynamique était différente. La transmission était le plus forte 3 à 4 jours après l’apparition des symptômes. Mais avec ce coronavirus, on a probablement eu beaucoup de chance.

Meriadeg Le Gouil : On parle de « caractères » chez les virus, ils sont difficiles à comparer. Le contexte écologique joue aussi beaucoup. On estime que le SRAS a touché 8 437 personnes dans le monde. On a reconstitué sa première chaîne de transmission, à l’intérieur de l’hôtel Métropole de Hong Kong : un néphrologue originaire de Canton y a contaminé 12 personnes, de toutes nationalités. À partir de là, il y a eu d’autres cas à Hong Kong, à Singapour, au Viêtnam, en Irlande, aux États-Unis d’Amérique et un cluster à Toronto.

À l’époque, la Chine a réagi encore moins rapidement que pour le SARS-CoV-2, parce qu’elle n’était pas préparée. Elle a mis en place des mesures de confinement, comme d’autres pays asiatiques. Cette première expérience de grande ampleur a d’ailleurs permis à ces pays de réagir plus rapidement face au SARS-CoV-2.

Ce virus est totalement original, l’homme n’a pas cette puissance créatrice

Pourquoi ce nouveau coronavirus – le SARS-CoV-2 – est-il plus redoutable ?

Astrid Vabret : La difficulté avec le SARS-CoV-2 est que la contagion semble possible avant l’apparition des signes cliniques. La charge virale est forte 24 à 48 heures avant l’apparition des symptômes. Le virus se multiplie dans les voies respiratoires hautes.

Meriadeg Le Gouil : Cette différence de quelques heures, ou de quelques jours, dans la physiopathologie du virus, fait toute la différence. La physiopathologie est le moment où le virus s’exprime, où il est sécrété dans le milieu extérieur. Le SRAS a des points communs avec le Covid-19, notamment l’évolution, chez certains malades, vers une forme grave autour de 7 à 8 jours.

Une des différences entre 2003 et 2020, c’est l’intensité du trafic aérien, qui a été multiplié par trois. La population mondiale a aussi beaucoup augmenté. Le SARS-CoV-2 a probablement voyagé, sur des milliers de kilomètres, avant même d’avoir été détecté. Les Italiens ont longtemps cherché leur patient zéro. Ils ne l’ont pas trouvé, car le virus circulait dans le nord de l’Italie depuis le mois de janvier.

Quelles sont les personnes les plus fragiles face à ces trois nouveaux coronavirus humains ?

Astrid Vabret : Les facteurs de risque sont sensiblement les mêmes : l’âge et le surpoids. Parmi les malades les plus graves, il y a beaucoup d’hommes de plus de 50 ans, atteints d’obésité. L’épidémie mondiale d’obésité favorise les formes graves.

Meriadeg Le Gouil : Le surpoids et ses maladies associées – le diabète, l’hypertension, les problèmes cardiaques – frappent tous les continents et sont globalement en augmentation. Les épidémies ont plus d’impact lorsqu’elles touchent des populations affaiblies. Quand un coronavirus est introduit dans un élevage de volaille, où la densité est très forte et tous les individus sont identiques sur le plan génétique, toutes les volailles meurent en même temps. Cette densité est déterminante et c’est ce qu’on est en train de reproduire pour les humains, à l’échelle de la planète. On multiplie les échanges entre des populations de plus en nombreuses concentrées dans des métropoles où la proportion de personnes souffrant de maladies chroniques augmente. Nous sommes donc de plus en plus vulnérables aux épidémies et aux maladies infectieuses émergentes.

L’Institut de virologie de Wuhan est spécialisé sur les coronavirus. Que pensez-vous de l’hypothèse d’un virus échappé d’un laboratoire ?

Astrid Vabret : On ne saura jamais si ce virus est sorti de l’Institut de virologie de Wuhan. C’est une possibilité, cela arrive, mais c’est invérifiable.

Meriadeg Le Gouil : Il y a un an, avec mon équipe, nous nous sommes rendus à l’Institut de virologie de Wuhan pour communiquer nos résultats sur l’évolution des coronavirus de chauves-souris, à l’occasion d’une conférence sur les zoonoses et les risques d’émergence. Ce laboratoire s’est fait connaître pour ses recherches sur la diversité des coronavirus des chauves-souris, à la suite de l’émergence du SRAS. Dans ce laboratoire, comme dans les nôtres en France, on manipule ces coronavirus, normalement dans des conditions de haute sécurité. Des accidents de biosécurité, cela arrive. On ne peut pas exclure cette hypothèse mais on ne peut pas l’accréditer non plus et je la juge peu probable à ce stade.

En revanche, on peut exclure catégoriquement à 95 % l’hypothèse d’une création synthétique du SARS-CoV-2, partiellement créé par l’homme. Son génome est à 96 % similaire avec celui d’un coronavirus séquencé chez une chauve-souris prélevée en 2013 dans la région de Wuhan, par l’Institut de virologie de Wuhan. Mais 4 % de différence dans un patrimoine génétique de 30 000 nucléotides, cela représente 1 200 nucléotides, et c’est très important. On retrouvera probablement des coronavirus plus proches du SARS-CoV-2 chez d’autres chauves-souris.

S’il s’agissait d’un virus synthétique, on pourrait y reconnaître des signatures proches de ce que l’on connaît chez d’autres virus. Or, ce virus est totalement original, imprévisible, comme tout nouveau virus qui émerge dans la nature. L’homme n’a pas cette puissance créatrice. En étant volontairement provocant, on pourrait dire que la nature reste la plus grande source de bioterrorisme.

Que pensez-vous de l’hypothèse du pangolin, en hôte intermédiaire entre cette chauve-souris de Wuhan et l’homme ?

Meriadeg Le Gouil : Cette théorie repose sur des arguments qui ne sont pas très solides. Ce coronavirus est bien le fruit de plusieurs recombinaisons : il a échangé du matériel avec plusieurs autres coronavirus apparentés, mais on ne sait pas encore précisément lesquels. Personnellement, je suis un peu surpris de n’avoir pas encore pu lire d’étude chinoise d’ampleur sur les animaux vendus sur le marché de Wuhan ou provenant d’élevages de la région. Ce marché a été un temps évoqué comme le lieu de départ possible de l’épidémie. À mes yeux, il reste, avec les élevages de la région, la principale piste, même s’il n’a pu constituer qu’une étape dans l’émergence du SARS-CoV-2.