Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - Blanquer, le crash-test

Mai 2020, par Info santé sécu social

Par Lilian Alemagna — 4 mai 2020 à 20:51

Régulièrement à contretemps depuis le début de la crise, le ministre de l’Education, déjà fragilisé par un bras de fer avec les enseignants sur les retraites, a fait de la réouverture des écoles un mantra. Très risqué.

Il fait de cette réouverture des classes une « question d’honneur ». Mais c’est un crash-test politique que s’apprête à vivre Jean-Michel Blanquer avec le retour des élèves en classe dans des conditions baroques et très critiquées. « Je ne choisis pas la facilité », a convenu le ministre de l’Education nationale avant le week-end. Et c’est peu dire que l’ancien recteur d’académie ne s’est pas « facilité » la tâche depuis le début de cette crise sanitaire… Rares sont les ministres d’importance à avoir été autant contredits par Matignon, l’Elysée ou les deux. Celui qui faisait figure de bon élève de la macronie depuis 2017 malgré des conflits à répétition avec les enseignants a commencé par un énorme loupé. Le 12 mars, à l’heure du café, il se fait très solennel : « Nous n’avons jamais envisagé la fermeture totale [des écoles] parce qu’elle nous semble contre-productive. » Raté : moins de douze heures plus tard, Emmanuel Macron annonce que toutes les écoles du territoire fermeront « jusqu’à nouvel ordre ».

« Trucs pas calés ».
Blanquer a eu beau expliquer que cette décision présidentielle était calquée sur l’avis du conseil scientifique, d’entrée de jeu, son poids dans le dispositif gouvernemental de la gestion de crise en a pris un sacré coup. Rebelote fin avril : auditionné par la commission des Affaires culturelles de l’Assemblée nationale, le ministre détaille un premier mode d’emploi pour le retour « progressif » des élèves : grandes sections de maternelle, CP et CM2 en premier ; sixièmes, troisièmes, premières et terminales et une partie des lycées professionnels à partir du 18 mai ; les autres devant attendre le 25 mai pour revenir dans des classes de 15 élèves maximum. Problème : une semaine plus tard, lors de la présentation de son plan de déconfinement devant les députés, Edouard Philippe donne un ordre contraire : maternelles et élémentaires le 11 mai, collèges une semaine plus tard - dans les départements les moins touchés - et retour des lycéens pas avant juin. « Il a merdé, reconnaît un de ses camarades au gouvernement. On était dans le moment le plus compliqué de la séquence, les gens attendaient des informations claires, précises, arbitrées, on ne peut pas annoncer des trucs pas calés. »

Là encore, Jean-Michel Blanquer s’est défendu en expliquant qu’il avait là « présenté une série d’hypothèses faites pour évoluer ». « On retrouve l’essentiel dans le plan du Premier ministre, que nous avons travaillé ensemble pour la partie scolaire », a-t-il insisté ensuite. A Matignon, on confirme qu’Edouard Philippe et Jean-Michel Blanquer se sont vus la veille de cette audition parlementaire. Mais que consigne avait été passée d’éviter de livrer publiquement des « hypothèses » sur des sujets si concernants…

« Ivre de rage ».
« Tant que les arbitrages ne sont pas rendus, tu fermes ta gueule, rappelle un membre du gouvernement. Là, Blanquer parle pour le plaisir d’exister. Ça le rend ivre de rage de ne pas être au centre de l’image. Or l’éducation c’est le sujet anxiogène par nature. » Des frottements sur fond de bataille pour Matignon ? « Blanquer a recruté un nouveau conseiller qui n’arrête pas de répéter à qui veut l’entendre qu’il est là pour le mener à Matignon », rapporte un ministre. Dans l’entourage de Philippe, on dément toute tension. On prend soin, au contraire, de louer la « compétence » et le « professionnalisme » d’un ministre issu de la société civile qui a su « faire des réformes ». Mais on insiste bien sur le fait que le ministre de l’Education « joue gros » dans la séquence qui vient. « A Matignon, on compte sur Blanquer », insiste-t-on.

« S’il veut Matignon, j’espère qu’il a de gros muscles parce que ça va être compliqué », observe un conseiller de l’exécutif. D’autant plus que si son capital confiance mesuré par l’Ifop est remonté à 40 % d’opinions favorables (+10 points entre mars et avril), ses batailles passées avec les syndicats ont laissé des traces et ne plaident pas pour la « concorde » souhaitée par Macron. L’ancien directeur général de l’enseignement scolaire avait bien commencé avec la mise en place du dédoublement des classes de CP en zones prioritaires (REP et REP +), mesure phare du candidat Macron. Mais il a attaqué cette crise sanitaire après des mois de tensions avec les profs : son bras de fer sur la réforme du lycée a laissé des traces, tout comme la réforme des retraites dont les enseignants craignaient d’être les futurs grands perdants.

Difficile dans de telles conditions d’embarquer des troupes enseignantes qui ont l’impression qu’on leur demande de rouvrir leurs classes pour permettre avant tout la reprise de l’activité économique en dépit des risques sanitaires et des priorités pédagogiques. Surtout dans une maison habituée aux directives centralisées. Pourtant, Blanquer tient là une occasion d’appliquer l’une des raisons pour lesquelles Macron l’a mis à ce poste : plus d’autonomie pour les chefs d’établissement scolaire et la « liberté de choix » laissée au terrain. Exactement l’option retenue par l’exécutif pour le 11 mai. « On est en mode "vous faites comme vous voulez" avec les maires », reconnaît un membre du gouvernement pour qui « Blanquer a l’avantage de connaître la maison par cœur mais c’est Philippe qui a été maire lui-même et qui sait qu’on ne peut que faire du sur-mesure ». De quoi éviter que le ministre de l’Education, au moins sur ce point-là, ne s’écarte des consignes de Matignon.