Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - Santé et climat : le mal à la racine

Mai 2020, par Info santé sécu social

Par Aude Massiot — 6 mai 2020 à 20:41

La déstabilisation des milieux naturels, la destruction de la biodiversité et le dérèglement du climat favorisent la propagation des maladies, et laissent craindre la réémergence de pandémies comme le Covid-19.

« La crise climatique est une crise sanitaire, a averti, à l’aube de 2020, l’Organisation mondiale de la santé, trois semaines avant que l’épidémie de Covid-19 ne dérape en Chine. Le dérèglement du climat provoque une multiplication des événements climatiques extrêmes, exacerbe la malnutrition et alimente la propagation de maladies infectieuses comme la malaria. » Une sombre perspective qui n’est qu’une partie minime des effets sur la santé de l’empreinte néfaste des humains sur la planète. Parmi ces menaces, les maladies infectieuses sont les plus imprédictibles, capables de mettre à mal des systèmes de santé en très peu de temps.

Habitat naturel grignoté
En l’espace d’un siècle, les progrès scientifiques et techniques ont permis de réduire le nombre de personnes atteintes de ces maladies, mais le nombre d’épidémies, et leur diversité, lui, continue de croître. Le Covid-19, selon les hypothèses scientifiques dominantes, serait entré en contact avec les humains via des chauves-souris dont l’habitat naturel a été grignoté par l’urbanisation. De plus, des chercheurs européens estiment que la propagation du virus serait facilitée par la présence dans l’air de particules fines produites par les véhicules thermiques. En parallèle, le moustique tigre, capable de porter des maladies comme Zika, la dengue et le chikungunya, étend grâce au réchauffement climatique son aire de vie vers le Nord. En France, rien que cette année, six nouveaux départements sont passés en vigilance rouge. Les tiques prospèrent aussi avec le réchauffement. « Elles se déplacent vers le Nord et en altitude, notamment l’espèce Ixodes ricinus, qui transmet la maladie de Lyme et l’encéphalite des tiques, détaille Jan Semenza, du Centre européen de contrôle et de prévention des maladies. Le changement climatique semble aussi avoir joué un rôle dans l’expansion des phlébotomes [insectes de très petite taille, ndlr] qui transmettent la leishmaniose. »

En 2010 et 2018, des épidémies de fièvre du Nil occidental qui ont touché plusieurs milliers de personnes dans le sud-est de l’Europe ont été associées à des épisodes de fortes chaleurs estivales. Le climat peut jouer le rôle de catalyseur dans certaines épidémies. « Des études montrent que l’augmentation de la température de l’eau peut aider au développement du vibrion responsable du choléra, ajoute Emmanuel Eliot, géographe de la santé à l’université de Rouen. Mais le principal facteur de risque de transmission de la maladie est la déstabilisation des sociétés. » Parmi les maladies émergentes dites « zoonotiques », c’est-à-dire transmises par des vertébrés, plus de 70 % sont arrivées à l’homme par des animaux sauvages. « La plupart des micro-organismes vivent dans les sols, l’eau, les réseaux de racines de plantes et sur de très nombreux animaux, ajoute Jean-François Guégan. Ce sont des réservoirs à bactéries et virus. Par le passé, c’est en travaillant les sols que les humains se sont retrouvés en contact de germes microbiens qui ont causé la lèpre et la tuberculose. » La destruction continue de la biodiversité est d’autant plus néfaste que certains individus rendent de grands services, largement ignorés, aux humains. « En France, chaque année, au moins 500 000 à 600 000 renards sont tués alors qu’ils contrôlent des rongeurs qui jouent un rôle primordial de réservoir de la maladie de Lyme », détaille Philippe Grandcolas, directeur de recherche au CNRS et spécialiste de la biodiversité. Libellules, oiseaux, chauve-souris, sont autant de prédateurs des moustiques. Or dans nos campagnes européennes, les populations d’oiseaux communs ont chuté d’un tiers en quinze ans. Un sort intrinsèquement lié à celui des insectes, qui ont vu leur population baisser de 25 % depuis 1990.

« Changer de cap »
« Si, sous l’effet de nos modes de production, l’environnement continue de se dégrader, il est possible qu’une épidémie comme le Covid-19 réémerge, avertit Marion Borderon, géographe à l’université de Vienne. Mais ce n’est pas une fatalité. Il est de notre ressort d’éviter cette dégradation et de faire en sorte qu’une épidémie ne devienne pas pandémie. » Respecter l’espace de vie des êtres vivants, animaux comme végétaux, c’est préserver la barrière naturelle qui protège les sociétés. « Nous devons comprendre que les racines de cette pandémie se trouvent dans nos choix de consommation, comme notre alimentation, appelle Véronique Andrieux, directrice générale de WWF France. Un des leviers efficaces est de cesser la déforestation importée, réduire la consommation de viande et relocaliser l’agriculture en s’appuyant sur les modèles agroécologiques. Nous devons radicalement changer de cap dans notre rapport à la nature. »