Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : La Commission propose une évaluation controversée de la dangerosité du coronavirus

Mai 2020, par infosecusanté

Le Monde.fr : La Commission propose une évaluation controversée de la dangerosité du coronavirus

Soutenue par les Etats membres, la Commission européenne choisit de traiter le SARS-CoV-2 comme un virus ne comportant pas de « risque élevé de propagation ».

Par Stéphane Horel Publié aujourd’hui à 16h31, mis à jour à 17h50

Le SARS-CoV-2 est-il dangereux pour les travailleurs ? Cette question technique, à haut potentiel inflammable, est au cœur d’une de ces délibérations de comités confidentiels auxquels l’Europe est accoutumée. Les Etats membres et la Commission européenne ont fait un choix : le virus n’atteint pas le niveau maximum de dangerosité prévu dans la législation sur la protection des travailleurs contre ce type de risque. La proposition de la Commission, qui suscite l’indignation des syndicats, sera soumise, jeudi 14 mai, à un vote lors d’une réunion des représentants des 27 pays.

Dans la directive européenne de 2000 concernant la protection des travailleurs contre les risques liés à l’exposition à des agents biologiques au travail, l’échelle de gravité des germes comporte quatre paliers. Le moins dangereux d’entre eux est non « susceptible de provoquer une maladie chez l’homme » (groupe 1). Le plus dangereux (groupe 4), en sus de provoquer des maladies graves, « constitue un danger sérieux pour les travailleurs » et présente « un risque élevé de propagation dans la collectivité ». Pour cette catégorie, « il n’existe généralement pas de prophylaxie ni de traitement efficace ». Dans ce groupe, sont notamment rangés des virus causant des fièvres hémorragiques comme Ebola ou Marburg. Entre les deux, une gradation de critères définis par cette directive.

Le SARS-CoV-2 « appartient au même groupe de virus que le SRAS et le MERS », eux aussi des coronavirus classés dans le groupe 3 « en dépit du fait qu’aucun vaccin n’était disponible », déclare Rebekah Smith, directrice adjointe des affaires sociales de Business Europe

Fin avril, la Commission décide de lancer une procédure accélérée, afin de ranger le SARS-CoV-2 dans l’un de ces quatre groupes et de l’ajouter à la liste des « agents biologiques » – virus, bactéries, parasites et champignons – faisant l’objet de mesures de protection des travailleurs dans l’Union européenne (UE). Puis, le 7 mai, elle propose qu’il intègre le groupe 3. Pour ce dernier, pourtant, la directive stipule qu’« il existe généralement une prophylaxie ou un traitement efficace » – ce qui n’est pas encore le cas pour le coronavirus causant le Covid-19. Mais aussi que le risque de propagation n’est pas « élevé », comme dans le groupe 4. Plus de 40 % de l’humanité a pourtant été confinée pendant plusieurs semaines pour freiner sa dissémination.

« Consensus » parmi les Etats membres
« Aucun des critères [énoncés dans la directive] n’a plus de poids que l’autre. C’est une évaluation générale de l’ensemble qui détermine la classification », explique la Commission dans un courriel au Monde. Sa décision, dit-elle, s’est s’appuyée sur « l’expertise scientifique d’un groupe d’experts » compétents dans le domaine et désignés par les Etats membres. Ainsi, « les 27 experts estiment que les preuves scientifiques conduisent à classifier le SARS-CoV-2 dans le groupe 3 ». Interrogé par Le Monde sur ces « preuves scientifiques » apportées par l’expertise française à la discussion, le ministère du travail n’a pas donné suite.

Cette décision fait l’objet d’un « consensus » parmi les Etats membres, depuis une réunion qui s’est tenue par visioconférence le 27 avril, d’après son compte rendu. D’ailleurs, six Etats membres, ainsi que la Norvège, ont déjà fait le choix du groupe 3, dans le cadre de l’application de leur législation nationale. Le texte de la proposition, que le Monde met en ligne ci-dessous, sera discuté et – presque sans aucun doute – voté par ces mêmes experts, réunis au sein d’un « comité du progrès technique » qui se tiendra jeudi.

L’organisation patronale européenne Business Europe soutient le choix des gouvernements et de la Commission. Sa directrice adjointe des affaires sociales, Rebekah Smith, estime « logique, d’un point de vue scientifique », de classer le SARS-CoV-2 dans le groupe 3. Empruntant les arguments de la Commission, elle souligne qu’il « appartient au même groupe de virus que le SRAS et le MERS », eux aussi des coronavirus classés dans le groupe 3 « en dépit du fait qu’aucun vaccin n’était disponible ». A l’inverse, des virus « comme la variole sont classés dans le groupe 4, bien qu’il existe un vaccin ». A noter que le SRAS et le MERS ont été ajoutés à la liste européenne en octobre 2019, quand leur circulation n’inquiétait déjà plus.

« Proposition non crédible et insensible à l’extrême »
La Commission se défend de vouloir remettre les Européens au travail à tout prix. « La santé et le bien-être de nos citoyens sont notre première priorité », assure-t-elle, rappelant avoir diffusé des conseils aux employeurs pour encadrer le retour au travail dès le 24 avril. « Ces mesures viennent s’ajouter à toutes les mesures habituelles de protection de la santé et de sécurité que les employeurs doivent prendre pour prévenir les risques sur le lieu de travail », insiste de son côté Mme Smith.

Les syndicats, pour leur part, contestent vivement la proposition. A l’exception notable de la confédération allemande Deutscher Gewerkschaftsbund, ils auraient souhaité voir le virus inscrit dans le groupe 4. Dans un communiqué du 13 mai, la Confédération européenne des syndicats « appelle la Commission à repenser sa proposition », jugée « non crédible » et « insensible à l’extrême aux travailleurs qui ont mis leur vie en danger sur la ligne de front de la crise et aux familles de ceux qui sont morts du virus ». Faute de revenir sur sa décision, « la Commission enverrait un message totalement erroné aux Etats membres », a estimé Per Hilmersson, le secrétaire général adjoint de l’organisation.

En termes d’obligations des employeurs, il n’existe aucune différence concrète entre les deux groupes, ou presque, analyse Laurent Vogel, chercheur à l’Institut syndical européen. Les syndicats redoutent de ce fait que les employeurs ne considèrent pas la protection des travailleurs comme prioritaire. Pour M. Vogel, cette classification dans le groupe 3 « est à la fois un message politique et une violence symbolique ». « Les infirmières et les professionnels de santé ont continué de travailler sans masque au péril de leur vie et de celle de leur proche, parce que des vies humaines étaient en jeu. Avec la “reprise”, il est question de production et de commercialisation de biens marchands. »

Eviter la paralysie des tests de diagnostic
En avril, le tribunal judiciaire de Nanterre avait ordonné à Amazon France de restreindre son activité aux seuls produits essentiels, estimant que la société avait, « de façon évidente, méconnu son obligation de sécurité et de prévention de la santé des salariés ».

La directive de 2000 n’est en fait ni conçue ni adaptée pour des temps pandémiques. Sa portée est avant tout pratique, et pour des professions très ciblées. Ainsi, si certaines mesures sont plus strictes pour les agents du groupe 4, elles concernent seulement les personnes travaillant en milieu hospitalier ou les techniciens de laboratoire (d’analyse, de recherche…), qui pourraient être contaminés lors d’un prélèvement ou d’une manipulation d’échantillon.

Un virus du groupe 4 doit être manipulé dans un laboratoire de confinement (BSL-3), tandis qu’un laboratoire de niveau de biosécurité 2 (BSL-2) suffit pour le SARS-CoV-2, selon les consignes de l’Organisation mondiale de la santé. Lors de la réunion du 27 avril, les Etats membres ont assuré vouloir ainsi éviter la paralysie des tests de diagnostic pour le Covid-19 à travers l’Europe. Pour répondre à cette inquiétude, les syndicats avaient cependant proposé, le 29, d’être « flexibles » et, tout en classifiant le virus dans le groupe 4, de « permettre que ces activités soient menées dans des installations qui appliquent des niveaux de confinement moins stricts ».

Urgence
Si le processus législatif en cours n’implique à aucun moment le Parlement, deux eurodéputées du groupe des Verts/ALE et des socialistes ont critiqué la pertinence du choix de la Commission. Le 7 mai, d’après l’Agence Europe, au cours d’une réunion de la commission de l’emploi et des affaires sociales, leurs questions ont agacé la directrice de l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail (EU-OSHA)…, qui leur a, en retour, assuré ne pas avoir été consultée par l’exécutif européen. « Le processus législatif ne prévoit pas de consultation de l’EU-OSHA, car cela ne fait pas partie de son mandat », a répondu l’agence au Monde.

Un seul point met tout le monde d’accord : l’urgence. La transposition de la classification dans les législations nationales devra en effet être effectuée sous cinq mois.