Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - Des chercheurs revoient le seuil d’immunité collective à la baisse

Mai 2020, par Info santé sécu social

22 MAI 2020 PAR LISE BARNÉOUD

« Notre étude ne conclut pas en l’inutilité du confinement »
Dans ce contexte, la question est donc moins de savoir quel pourcentage de la population sera infecté avant d’atteindre l’immunité collective que de comprendre quelles sont ces portes d’entrée favorites du virus. Or, pour l’heure, on manque encore cruellement de données pour les identifier. Ces portes d’entrée sont-elles la propriété de certains individus, qui seraient des « superspreaders » par nature ? Une étude a par exemple montré que certains individus émettaient beaucoup plus de postillons en parlant que d’autres : ils seraient donc plus susceptibles d’infecter leur entourage.

De nombreuses publications (comme celle-ci) révèlent également que la durée de contagiosité n’est pas la même chez tous les malades. Un autre article scientifique suggère que l’infection pourrait s’établir préférentiellement dans les voies respiratoires supérieures chez certains individus, les rendant ainsi plus contagieux.

Plus récemment, une étude suggère aussi que certains individus déjà exposés à d’autres coronavirus seraient partiellement immunisés contre le SARS-Cov-2, contrairement à ceux qui n’auraient jamais croisé d’autres pathogènes de cette famille de virus. Autre hypothèse : cette variabilité individuelle dépendrait de la souche du virus, certaines mutations pouvant entraîner une meilleure réplication du virus à l’intérieur des voies respiratoires.

Toutefois, il se pourrait bien que les propriétés des individus ou des virus n’y soient finalement pas pour grand-chose dans cette hétérogénéité. « Les données actuelles mettent surtout en avant l’importance du contexte de l’infection et le rôle de chacun dans notre société », souligne Laurent Hébert-Dufresne. Ainsi, plus un individu reçoit une forte dose virale, plus il pourrait lui-même devenir contaminant. Et plus cet individu est en contact étroit avec de nombreuses personnes, dans des lieux confinés, plus son pouvoir contaminant fera des victimes.

On pense évidemment aux personnels soignants, mais aussi à ceux qui travaillent dans les transports publics, dans les salles de fitness, aux barmans, aux caissiers, aux hôtesses de l’air… Ce qui pose un vrai problème organisationnel, car si l’on remplace ces individus dès qu’ils tombent malades, on laisse les portes d’entrée du virus grandes ouvertes en continu, remarque le chercheur québécois.

Autre grande inconnue : l’évolution dans le temps de cette inégale transmission du risque. « Notre réseau est peut-être hétérogène actuellement parce que les travailleurs essentiels sont au front alors que la plupart d’entre nous sont à la maison », souligne Nathalie Dean, biostatisticienne à l’Université de Floride. Mais que se passe-t-il en « temps de paix » ? « Notre structure en réseau ne tendrait-elle pas à devenir plus homogène ? » Ce serait pour le coup une très mauvaise nouvelle. Chacun de nous deviendrait une porte ouverte au virus, qui pourrait alors entrer de toute part dans l’organisme géant de la population. Ce qui se traduirait par une deuxième vague catastrophique.

En admettant que la distanciation physique diminue progressivement pour retrouver un niveau normal d’ici l’automne, les modèles homogènes appliqués à la France donnent une deuxième vague très importante à l’automne, alors que le modèle hétérogène de l’étude de Gabriela Gomes prévoit une deuxième vague beaucoup plus plate.

En admettant que la distanciation physique diminue progressivement pour retrouver un niveau normal d’ici l’automne, les modèles homogènes appliqués à la France donnent une deuxième vague très importante à l’automne, alors que le modèle hétérogène de l’étude de Gabriela Gomes prévoit une deuxième vague beaucoup plus plate.

« Le résultat de nos modèles est conditionné par la distanciation physique, reconnaît Caetano Souto-Maior, coauteur avec Gabriela Gomes de l’étude annonçant un seuil d’immunité collective à 10 %. En ce sens, notre étude ne conclut pas en l’inutilité du confinement », insiste ce chercheur du National Institutes of Health, à Bethesda, dans l’État du Maryland, coupant court à la polémique qui a suivi leur publication, certains y voyant la confirmation du bien-fondé des approches consistant à laisser le virus faire son œuvre et à tout miser sur l’immunité collective.

En outre, ce fameux seuil d’immunité collective correspond au moment à partir duquel l’épidémie ralentit. « Sans mesure de prévention, les chaînes de transmission se poursuivent encore quelque temps et le pourcentage final de la population qui sera infectée dépasse ce seuil », précise Gabriela Gomes. Avec un taux moyen de létalité du virus qui tourne autour de 0,7 %, même si l’épidémie n’infectait que 20 % de la population, cela se traduirait inévitablement par de nombreux morts…