Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - Dépistage du Covid-19 : tester, mais qui ?

Mai 2020, par Info santé sécu social

25 MAI 2020 PAR GÉRALDINE DELACROIX

Moins de la moitié des 700 000 tests promis par le gouvernement pour le déconfinement sont effectués chaque semaine. Les autorités changent – encore – de stratégie.

Difficiles à réaliser, toujours à la merci de pénuries ou d’un défaut de matériel, d’une fiabilité encore entachée par 30 % de faux négatifs (lire notre article), les tests dits PCR, réalisés par prélèvements nasopharyngés pour détecter la présence du nouveau coronavirus chez des personnes avec ou sans symptômes, ont été présentés comme un élément central de la stratégie de déconfinement du gouvernement.

Depuis le 11 mai, ils sont en théorie accessibles, moyennant une ordonnance, à toutes les personnes présentant des symptômes, ainsi qu’à celles qui ont été « en contact étroit » avec une personne dont le cas est « probable ou confirmé », ou qui sont visées par des programmes de dépistage spécifiques. Le site Sante.fr recense tous les laboratoires où prendre rendez-vous (un peu plus de 3 000), et le gouvernement a mis la pression sur les labos pour que chacun puisse être testé dans les 24 heures suivant la prescription.

Pourtant, deux semaines après le début du déconfinement, l’objectif de 700 000 tests virologiques réalisés chaque semaine est loin d’être atteint. Le chiffre a disparu de la communication gouvernementale, et à moins d’une recrudescence (redoutée) de l’épidémie, il ne sera probablement jamais atteint. Les uns y voient un verre à moitié plein – il n’y aurait pas de demande –, d’autres redoutent qu’il ne soit à moitié vide, et que l’on « passe à côté » des besoins.

« Nous étions dans les derniers jours à 50 000 tests par jour. L’objectif est évidemment de continuer à monter dans cette prise en charge », affirmait encore Jérôme Salomon, directeur général de la santé, mardi 19 mai, lors d’un point presse consacré à la question des tests.

Une semaine plus tard, rien n’a changé. Compte tenu des week-ends, on dénombre « autour de 250 000 à 300 000 tests par semaine », explique Lionel Barrand, président du Syndicat des jeunes biologistes médicaux. Pour François Blanchecotte, son homologue du Syndicat des biologistes, les tests réalisés en fin de semaine dernière, celle du jeudi de l’Ascension, sont encore moins nombreux : « On avait vendredi [22 mai] 17 000 tests réalisés en France. Sur les trois jours, mercredi, jeudi, vendredi, on était à 80 000 tests, dont 60 000 faits par le privé. » Il n’hésite pas à l’affirmer : « Il n’y a pas de demande. Il n’y a plus de contagiosité, comme si le virus avait fini par s’atténuer. »

« Le virus circule beaucoup moins », constate également Lionel Barrand, mais, selon lui, la demande de dépistage est encore là, et même « assez importante ». Le biologiste a noté une « forte augmentation depuis le 11 mai par rapport aux semaines précédentes », mais qui « n’a pas explosé depuis ». « Si ça continue, espère-t-il, on arrivera à répondre à la demande. » Car, dit-il, « 700 000 [tests par semaine – ndlr], on ne pourrait pas les faire ». S’il se félicite des « organisations territoriales améliorées », « il nous manque toujours du matériel », regrette-t-il, et le soutien du ministère de la santé pour obtenir des livraisons auprès des fournisseurs.

Une chose qui semble en revanche fonctionner, c’est la remontée des informations dans le fichier SI-DEP, précisément mis en place dans cet objectif de recensement des tests effectués et, parmi ceux-là, des cas positifs. « L’ensemble des résultats de tests des laboratoires hospitaliers et de ville remontent dans l’outil SI-DEP, qui permet de connaître le nombre de tests réalisés sur l’ensemble du territoire », affirme la DGS à Mediapart. Le fichier « se met en place dans d’excellentes conditions », selon Jérôme Salomon. « 97 % des laboratoires privés », ainsi que les 19 CHU équipés de machines MGI à grande capacité et 150 autres établissements, y faisaient remonter leurs chiffres mercredi 20 mai, indique Lionel Barrand, pour qui, « globalement, ça marche ».

Pourquoi, alors, est-il impossible de savoir combien de tests sont pratiqués au quotidien, région par région, ou même département par département, au même titre que l’on connaît le nombre de décès, de passages aux urgences, d’entrées ou de sorties hospitalières… ?

« Les tendances épidémiologiques, les estimations d’incidence et les taux de positivité des tests seront produits de façon hebdomadaire, à partir du 28 mai 2020, une fois que l’ensemble des données auront pu être stabilisées », indique Santé publique France dans son point épidémiologique hebdomadaire du 21 mai (PDF ici).

En attendant, l’objectif des 700 000 tests par semaine a été officiellement enterré par Jérôme Salomon mardi dernier : « Le vrai objectif, c’est que nous fassions des tests pour toutes les personnes qui sont symptomatiques, pour toutes les personnes qui en ont besoin, les cas contacts en particulier, que nous soyons capables de tester tous les hébergements collectifs, toutes les situations où on a besoin de tester, autour d’un cluster, autour de cas groupés, toutes les situations hospitalières qui le nécessitent, et aussi d’être capables d’aller vers des publics qui sont éloignés du système de santé, c’est ça le vrai objectif… »

Il faut aller voir du côté des agences régionales de santé (ARS) pour obtenir de rares indications chiffrées plus détaillées. « L’outil de suivi du dépistage, qui poursuit une montée en charge progressive, a enregistré hier près de 2 000 nouveaux résultats de tests en Bourgogne-Franche-Comté, dont 30 positifs », indique notamment l’ARS de Bourgogne-Franche-Comté dans son point de situation du 21 mai. Du 15 au 21, indique-t-elle le lendemain, tableau à l’appui, « près de 9 800 résultats de tests de dépistage ont ainsi été enregistrés, dont 122 positifs » et « plus de 700 personnes, patients ou contacts, ont été invitées à respecter des consignes d’isolement pour casser les chaînes de transmission du virus ».

L’ARS Corse donne également quelques éléments chiffrés : 347 prélèvements ont été effectués dans les deux départements les 20 et 21 mai, pour huit résultats positifs, indique le point de situation du 22 mai.
À Lyon, trois centres ont été ouverts par les Hospices civils depuis le 11 mai, à Édouard-Herriot, la Croix-Rousse et Lyon-Sud. On ne s’y bouscule pas non plus : « 271 patients testés pour la première semaine (11-17 mai), 281 patients testés pour la semaine suivante », nous indique l’établissement, et « ces centres gardent une capacité en cas d’accroissement des prélèvements ».

« 10 000 tests virologiques peuvent être réalisés chaque jour dans les Hauts-de-France, grâce à la forte mobilisation des laboratoires publics (45 % des capacités de test) et privés (55 % des capacités) », indique à Mediapart l’ARS des Hauts-de-France, pour laquelle « le nombre de tests effectués chaque jour augmente fortement ». Comme ailleurs, « le nombre de cas positifs diminue. Le taux de positifs est ainsi passé de 20 % mi-avril à 3 % mi-mai ».

Bien que le chiffre soit à prendre avec des pincettes, puisqu’il dépend fortement de la stratégie de dépistage (qui est testé et dans quelles proportions ?), le nombre de personnes positives est globalement en forte diminution en France : le « taux de positivité est actuellement un petit peu supérieur à 2 % » au niveau national, selon Jérôme Salomon. « Ici, en Alsace, c’est un peu plus, 3 à 4 % », précise Lionel Barrand.

Tout se passe comme si régnait un peu partout une certaine peur de se réjouir trop vite, et d’entraîner le relâchement des précautions prises par la population. Pour certains, trois semaines de recul après le déconfinement vaudront mieux que deux. « Quelle part nous échappe ? Le risque est partout, sans être particulièrement fort », s’inquiétait dimanche dans Le Journal du dimanche l’épidémiologiste Daniel Lévy-Bruhl, responsable de l’unité des infections respiratoires de Santé publique France.

Un des écueils pourrait être de ne pas tester les bonnes personnes, et de laisser en quelque sorte à l’épidémie des réserves cachées : ou bien de nouveaux clusters, qui pourraient mettre du temps à se développer, ou bien des personnes passant sous les radars, à côté du système, « éloignées du système de santé », comme l’évoquait Jérôme Salomon mardi dernier dans son point presse.

Le dépistage ouvert à tous pourrait donc s’orienter de fait vers des publics plus ciblés. Du côté des clusters, les « premiers cas […] remontent le plus souvent avant la levée du confinement », indique Santé publique France – autrement dit, il est urgent d’attendre avant de tirer des conclusions. L’organisme en a compté 46 à la date du 19 mai, concernant « notamment des établissements sociaux d’hébergement et d’insertion (28 %), des entreprises (19 %) et des établissements de santé (17 %) ». Il s’agit notamment des abattoirs.
En Nouvelle-Aquitaine, il existe ce lundi, selon le directeur de l’ARS, « 33 clusters toujours actifs ». En Bourgogne-Franche-Comté, l’ARS indique avoir reçu, « depuis le 11 mai, 97 signalements » de foyers infectieux : « 42 sont d’ores et déjà clôturés. » Parmi les 55 restants, dont 40 concernent des établissements de santé ou médico-sociaux et 3 des écoles, aucun n’est toutefois jugé « préoccupant ».

Pour le directeur général de la santé, qui s’exprime au niveau national, la distanciation sociale produit ses effets et « on a l’impression qu’il y a moins de cas contacts par cas positif ».

À destination des personnes qui ont moins accès au système de soins, l’ARS d’Île-de-France a entrepris de déployer un « poste mobile de diagnostic et de dépistage gratuit ». Doté d’une capacité de 150 tests, le dispositif, installé vendredi à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), a fait le plein, semblant répondre à une forte attente de la population. La même opération sera reconduite mardi sur le parvis de la gare Garges-Sarcelles (Val-d’Oise).