Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : Hydroxychloroquine : « The Lancet » met en garde contre une étude publiée dans ses colonnes

Juin 2020, par infosecusanté

Le Monde.fr : Hydroxychloroquine : « The Lancet » met en garde contre une étude publiée dans ses colonnes

La revue médicale britannique a émis une « expression of concern » sur un article qui avait conduit l’OMS a suspendre provisoirement un essai clinique et la France à mettre fin à l’utilisation à l’hôpital de cette molécule contre le Covid-19.

Par Hervé Morin

Publié le 03/06/2020

La revue médicale britannique The Lancet a émis, mardi 2 juin, une mise en garde (« expression of concern ») vis-à-vis d’une étude publiée dans ses colonnes le 22 mai. L’étude en question, s’appuyant sur 96 000 dossiers médicaux électroniques de patients hospitalisés pour Covid-19 suggérait que ceux traités avec de la chloroquine ou de l’hydroxychloroquine, combinées ou non à des antibiotiques comme l’azithromycine, présentaient un taux de mortalité supérieur et plus d’arythmies cardiaques.

« D’importantes questions scientifiques ont été soulevées concernant les données rapportées dans l’article de Mandeep Mehra et al, annonce le Lancet dans un communiqué. Bien qu’un audit indépendant sur la provenance et la validité des données ait été commandé par les auteurs non affiliés à Surgisphere [la société américaine qui les avait collectées] et soit en cours, avec des résultats attendus très prochainement, nous publions une expression d’inquiétude pour alerter les lecteurs sur le fait que de sérieuses questions scientifiques ont été portées à notre attention. Nous mettrons cet avis à jour dès que nous aurons de plus amples informations. »

Cet article avait conduit l’Organisation mondiale de la santé (OMS), trois jours après sa publication, à suspendre provisoirement l’inclusion de patients traités à l’hydroxychloroquine dans son essai clinique International Solidarity – le temps d’analyser les données pour y trouver un éventuel signal de la toxicité de la molécule. Un tel signal n’ayant pas été observé dans l’essai britannique Recovery, celui-ci a poursuivi le recrutement de patients.

En France, la publication de l’étude du Lancet avait conduit le ministre de la santé Olivier Véran à saisir pour avis le Haut Conseil de santé publique (HCSP). Celui-ci avait été défavorable à l’utilisation en contexte hospitalier de l’hydroxychloroquine, s’appuyant aussi sur d’autres études et remontées de pharmacovigilance faisant état de graves effets indésirables cardiaques. Cet avis avait été suivi d’un décret mettant fin à la dérogation permettant l’utilisation de l’hydroxychloroquine hors autorisation de mise sur le marché dans le cadre du Covid-19.

« LancetGate »
Les seize essais cliniques comportant de l’hydroxychloroquine autorisés par l’Agence de sécurité du médicament (ANSM), ont également suspendu l’inclusion de patients dans les groupes recevant de l’hydroxychloroquine – ceux déjà recrutés poursuivant leur traitement. Le comité de sécurité du plus ambitieux d’entre eux, Discovery, lancé par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), devait se réunir mercredi 3 juin pour analyser les données.

L’« expression of concern » du Lancet répond à de très nombreuses critiques suscitées par l’étude conduite par Mandeep Mehra (Harvard Medical School) et ses trois collègues. En France, Didier Raoult l’avait ainsi qualifiée de « foireuse » avant de pointer plusieurs incohérences dans les données.

De fait, la revue britannique avait déjà dû publier un erratum reconnaissant une erreur de codage sur des morts du Covid-19 indûment attribués à l’Australie et la publication erronée d’un tableau de données. Mais ce correctif ne répondait qu’à une partie des critiques rassemblées dans une lettre ouverte signée par 120 chercheurs, qui réclamaient notamment de pouvoir accéder aux données brutes afin de les réanalyser et même de vérifier leur réalité, mise en doute par certains observateurs.

La société Surgisphere, basée dans l’Illinois, aux Etats-Unis, qui affirme avoir collecté plus de 96 000 dossiers médicaux « auprès de 671 hôpitaux sur six continents », et son fondateur, le chirurgien Sapan Desai, concentraient les points d’interrogations – au point d’avoir fait naître le hashtag « LancetGate » sur Twitter. De nombreux épidémiologistes doutent de la capacité d’une si petite structure à entretenir des relations avec un aussi grand nombre d’hôpitaux de par le monde, et à avoir reçu les autorisations nécessaires pour aspirer leurs données – sans obtenir le consentement des malades, ce qui est un motif supplémentaire de préoccupation.

« Pieds nickelés »
Le CV de Sapan Desai et des ses collaborateurs ont été passés au peigne fin sur les réseaux sociaux. La revue The Scientist note que le chirurgien ferait l’objet de poursuites judiciaires pour mauvaises pratiques médicales dans l’Illinois – « poursuites infondées » a répondu à ce journal son chargé de communication. Les récompenses institutionnelles dont s’enorgueillit le chercheur sont elles aussi mises en doute.

En réponse à ces critiques, Surgisphere a indiqué avoir sollicité un audit académique indépendant pour réanalyser ses données, qu’elle ne serait pas autorisée à rendre publiques pour des raisons légales.

Dans une nouvelle vidéo mise en ligne le 2 juin par son institut, Didier Raoult, principal promoteur en France du traitement couplant hydroxychloroquine et azithromycine, qualifie de « pieds nickelés » les auteurs de l’étude, mais il n’est pas plus tendre avec les relecteurs qui l’ont analysée avant publication – et avec ceux qui n’auraient pas immédiatement perçu son inanité une fois publiée.

L’épidémiologiste Andrew Gelman (Université de Columbia) rappelle dans un post de blog au ton dévastateur, qu’en 2015 un commentaire publié dans The Lancet soulignait que « peut-être la moitié de ce qui est publié dans la littérature scientifique est simplement faux ». Un texte signé de l’actuel rédacteur en chef de la revue médicale, Richard Horton. Ironie supplémentaire, deux ans plus tôt, Sapan Desai avait lui-même cosigné un article intitulé « Combattre la fraude dans la recherche médicale ». Il y a quelques jours, il vantait sur Twitter la rigueur de l’équipe rédactionnelle du Lancet.

Enjeu crucial
La revue médicale sera-t-elle in fine contrainte à rétracter l’article incriminé - c’est-à-dire à décréter que ses résultats sont nuls et non avenus et à admettre que son travail de sélection et de validation des résultats scientifiques a été défaillant ? C’est ce que beaucoup d’observateurs réclament.

L’enjeu est crucial pour cet acteur de premier plan qui évolue dans un secteur éditorial extrêmement dynamique et concurrentiel. Il s’était passé douze ans entre la publication d’un article frauduleux d’Andrew Wakefield faisant un lien entre vaccination et autisme et sa rétractation par ce même journal. Une tâche sur sa réputation qu’une rétractation cette fois plus diligente pourrait éviter de raviver