Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - Covid-19 : « Il y a trop d’essais cliniques, trop de dispersion des moyens »

Juin 2020, par Info santé sécu social

Par Nathalie Raulin — 4 juin 2020 à 19:55

L’infectiologue Yazdan Yazdanpanah, patron du consortium de recherche REACTing qui chapeaute l’essai clinique Discovery, déplore l’absence de coordination de la recherche en France et en Europe.

Lundi 25 mai : l’Organisation mondiale de la santé (OMS) décide de suspendre les essais cliniques en cours sur l’hydroxychloroquine (HCQ) après une étude observationnelle parue dans la revue médicale de référence The Lancet qui conclut à des effets délétères de la molécule défendue par le Pr Raoult. Le ministère de la Santé français l’imite aussitôt. Mercredi, soit dix jours plus tard, alors que des doutes apparaissent sur le sérieux de l’étude du Lancet, et que la revue elle-même publie une mise en garde sur l’étude en question, l’autorité sanitaire mondiale comme le ministère de la Santé font machine arrière toute… Pour l’infectiologue Yazdan Yazdanpanah, patron du consortium de recherche REACTing qui chapeaute l’essai clinique Discovery, l’absence de coordination de la recherche en France et en Europe freine l’obtention de résultats sur l’efficacité des molécules testées, y compris l’hydroxychloroquine.

Que pensez-vous de ce « stop and go » ?
Ce n’est pas vraiment une machine arrière. C’était une « suspension temporaire » durant laquelle les comités scientifiques indépendants des essais cliniques regardaient les données recueillies dans le cadre de ces essais pour ensuite reprendre ou pas l’essai. Dans son communiqué initial, l’OMS invoque un faisceau d’arguments pour interrompre temporairement les essais sur l’HCQ, et pas seulement l’étude du Lancet. Toute une série d’études observationnelles en France, en Chine, aux Etats-Unis parues dans les revues médicales de référence faisaient déjà état d’une absence d’effets de l’HCQ. Celle du Lancet allait un peu plus loin puisqu’elle signalait une hausse de la mortalité des patients sous chloroquine et hydroxychloroquine. Comme elle portait sur 95 000 patients, ce qui est énorme, cela ne pouvait qu’interpeller les autorités. Quand il y a un risque possible de dégradation de la santé des malades, il est nécessaire de regarder les choses de près. C’est une question de responsabilité. On peut difficilement reprocher aux autorités d’avoir appliqué le principe de précaution. L’actuelle polémique sur l’hydroxychloroquine fausse le débat.

Néanmoins cette décision n’était-elle pas un désaveu pour les deux grands essais cliniques en cours sous l’égide de l’OMS, Discovery et Solidarity, qui disposent tous deux d’un bras consacré à l’HCQ ?
Non. Le 14 mai, le comité scientifique indépendant (DSMB) chargé d’analyser les données des différents bras de Discovery n’a lancé aucune alerte, ni sur l’HCQ ni sur les antiviraux (remdesivir, lopinavir) également en cours de test. Il enjoignait seulement à poursuivre les recherches. Message qu’il a d’ailleurs réitéré à l’issue de sa réunion du 3 juin, sans plus de commentaires. Discovery a inclus jusqu’à présent 750 patients, Français en presque totalité. Discovery fait partie de Solidarity qui en compte 3 500 un peu partout dans le monde.

Depuis le 25 mai, le DSMB de Solidarity a analysé les données de mortalité disponibles dans cette étude et sur la base de cette analyse a décidé de reprendre les inclusions temporairement suspendues, dans le bras hydroxychloroquine. Les Anglais n’ont, eux, pas suspendu leur essai Recovery…
C’est exact. Le bras HCQ de leur essai clinique Recovery, qui inclut aujourd’hui plus de 10 000 patients, n’a pas été interrompu. Les Anglais ont en revanche examiné de près les données pour vérifier qu’il n’y avait pas de danger pour les malades. Quand toutes les données sont centralisées au niveau d’un pays, le contrôle est plus facile.

Vous auriez été partisan de suivre l’exemple anglais ?
C’est compliqué. A titre personnel, je considère que les études observationnelles, comme celle du Lancet, n’apportent pas un niveau de preuve suffisant pour valider ou invalider un traitement. Seul un essai clinique rigoureux le permet. En revanche, il faut toujours être vigilant lorsqu’il y a des alertes concernant la sécurité des patients.

Depuis le début de l’épidémie de Covid, près de 60 essais cliniques ont été lancés en France. Un record en Europe. Mais pour l’heure aucun n’a abouti…

Les autres pays ne font pas mieux que nous ! On ne trouve pas un traitement de manière automatique. Face à l’urgence, on a choisi de tester des médicaments repositionnés dont on sait qu’a priori, leur efficacité ne sera pas optimale. Une des raisons pour lesquelles on ne trouve pas un traitement efficace est que les traitements évalués ne sont pas associés à une grande efficacité.

Ceci dit, nous avons eu aussi un problème de coordination. Il y a trop d’essais, trop de dispersion des moyens. A l’avenir, il faudrait faire en sorte que les gens préoccupés par un même sujet travaillent ensemble… C’est vrai en France, c’est aussi vrai à l’échelle européenne. On le voit avec Discovery, qui à l’origine devait inclure 3 200 patients européens et qui ne compte finalement que 750 patients français… On peut invoquer les problèmes de réglementation et de financement. Mais il y a aussi un problème de coordination. Les Anglais, notamment, ont un système plus top do – pyramidal. Il nous faudrait trouver un juste milieu entre la dispersion totale et le contrôle tatillon. La crise met en général en exergue les problèmes qui existent déjà.

Vous y travaillez ?
Oui. Les moments de crise sont des moments de réflexion. Après 2009 et l’épidémie de H1N1, on a mis en place REACTing pour coordonner la recherche clinique. Ça a bien marché au début. Mais REACTing n’a pas les moyens de son ambition. L’épidémie de Covid va au moins permettre de construire un réseau de recherche clinique européen.

N’avez-vous pas le sentiment d’un immense gâchis ?

Je ne dirais pas ça. Face à une maladie nouvelle, il est toujours compliqué de trouver un traitement. Cela donne un sentiment d’échec. Malades, médecins, chercheurs et politiques, nous avons besoin d’espoir. On peut et on doit s’améliorer. Malheureusement, ce ne sera pas notre dernière crise.

Nathalie Raulin