Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : Crise sanitaire : à l’Assemblée nationale, l’heure des explications a sonné

Juin 2020, par infosecusanté

Le Monde.fr : Crise sanitaire : à l’Assemblée nationale, l’heure des explications a sonné

La commission d’enquête parlementaire, qui commence ses travaux mardi au Palais-Bourbon, tentera d’établir et d’analyser d’éventuelles défaillances de la réponse française à la pandémie de Covid-19.

Par Chloé Hecketsweiler et Solenn de Royer

Publié le 16/06/2020

L’heure des explications. La commission d’enquête parlementaire sur la gestion de la crise sanitaire commence ses travaux mardi 16 juin, à l’Assemblée nationale. Composée d’une trentaine de députés de toutes les sensibilités politiques, elle a six mois pour faire la lumière sur « l’impact, la gestion et les conséquences » de l’épidémie de Covid-19, qui a fait près de 30 000 morts en France en trois mois.

La question des masques, des tests, des capacités hospitalières, tout comme la situation dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) – qui ont comptabilisé 10 000 morts – seront passées au tamis des députés, qui tenteront d’établir et d’analyser d’éventuelles défaillances dans la réponse française à la crise.

« Si nous sommes confrontés à la même situation demain, nous devrons être mieux armés, mieux préparés », explique le rapporteur de la commission, le député (Les Républicains, LR) des Alpes-Maritimes Eric Ciotti, qui ne croit pas que « l’impréparation » de la France soit « simplement liée aux circonstances ».

Au sein de la majorité, on redoute que cet exercice d’audit et de contrôle, inhérent au rôle du Parlement, s’apparente à un procès politique et à une traque des responsables, alors que 84 plaintes ont déjà été déposées à l’encontre de membres du gouvernement, devant la Cour de justice de la République notamment.

Porter le fer dans la plaie
« Une commission d’enquête parlementaire n’est ni un tribunal ni un feuilleton télévisé », met en garde sa présidente (La République en marche, ex-PS), Brigitte Bourguignon, qui précise que les députés ne devront pas « se substituer à la justice », encore moins « chercher les coupables pour les punir ». « Notre objectif n’est pas de juger, mais de comprendre, pour corriger (les erreurs) et en tirer des leçons », ajoute la députée du Pas-de-Calais, qui préside également la commission des affaires sociales à l’Assemblée nationale.

S’ils assurent, à l’instar d’Eric Ciotti, que la commission ne sera « ni un tribunal judiciaire ni un tribunal populaire », les députés LR – ils occupent des postes-clés dans le dispositif – ont l’intention de porter le fer dans la plaie.

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« Notre objectif, c’est la vérité, la transparence et la responsabilité », détaille le vice-président de la commission, Damien Abad (Ain). Le chef de file des députés LR ne veut pas que les débats – ils sont organisés dans la salle Lamartine, au 101, rue de l’Université, une annexe de l’Assemblée – soient l’occasion d’un « exercice d’autosatisfaction généralisé » de la part des responsables. « On a un besoin de compréhension », appuie le député PS des Landes Boris Vallaud, également vice-président de la commission. « On ne peut pas se contenter du satisfecit que s’est délivré Macron à la télévision dimanche soir ou du “j’assume” répété par [le premier ministre] Edouard Philippe depuis le début de la crise », poursuit-il.

Tous ont en tête le fiasco de la commission d’enquête sur l’affaire Benalla, qui avait implosé en juillet 2018, après la démission du corapporteur, le député (LR) de l’Yonne Guillaume Larrivé, sur fond de divergences entre l’opposition et la majorité sur la liste des auditions à mener. « Notre anti-modèle », dit Damien Abad. « L’Assemblée ne peut pas se permettre un deuxième naufrage », veut croire le député (LR) de la Haute-Marne François Cornut-Gentille.

Accélération du calendrier
Il y a deux ans, la commission d’enquête du Sénat, qui menait ses travaux en parallèle de sa jumelle à l’Assemblée, avait brusquement pris la lumière après l’échec de cette dernière et ses auditions, présidées par le sénateur (LR) de la Manche Philippe Bas, avaient été suivies par des millions de téléspectateurs. Cette fois-ci, l’Assemblée nationale a bien l’intention de ne pas se faire voler la vedette, d’où l’accélération du calendrier, qui permet aux députés de démarrer leurs auditions deux semaines avant les sénateurs, fin juin. « Il y a une petite rivalité entre les commissions d’enquête de l’Assemblée et du Sénat », observe un parlementaire.

Par ailleurs, l’opposition a vivement critiqué le projet gouvernemental de créer sa propre commission, avec des « experts indépendants », pour « tirer les leçons de la gestion de crise », selon les mots de Matignon. Elle redoute que l’exécutif cherche à étouffer le diagnostic, en le noyant sous les paroles d’experts, et y voit un « mépris » du Parlement. Au sommet de l’Etat, on évoque un nécessaire « exercice de retour d’expérience ». « Ce n’est pas une commission d’enquête, tente-t-on de relativiser dans l’entourage du premier ministre. L’objectif de cette mission est d’identifier les leviers d’amélioration, de sorte que nous soyons le mieux armés possible à l’avenir. » La mise en place de cette commission est « imminente », dit-on à l’Elysée, qui a la haute main sur le dispositif.

De son côté, la commission d’enquête de l’Assemblée nationale dispose de prérogatives d’investigation et d’un champ élargi par rapport à la première mission parlementaire, qui, dans un rapport rendu début juin, a pointé des « faiblesses » et un « manque d’anticipation » de la France face à la pandémie, sans critiquer pour autant la gestion du gouvernement.

Pendant six mois, les députés entendront hauts fonctionnaires, politiques et scientifiques. Ils mèneront aussi des inspections sur le terrain, notamment dans des hôpitaux d’Ile-de-France ou du Grand-Est, où l’épidémie a été particulièrement féroce.

Jérôme Salomon, « un personnage-clé »
Mardi, le premier à être auditionné devait être l’actuel directeur général de la santé, Jérôme Salomon. Passé par le cabinet de l’ancienne ministre de la santé Marisol Touraine, avant d’être le conseiller officieux d’Emmanuel Macron pendant la campagne présidentielle de 2017, il connaît les insuffisances du système de santé français, soumis à des coupes budgétaires drastiques depuis des années. « Un personnage-clé de la gestion de cette crise », observe Eric Ciotti.

Bras armé du ministère de la santé dans la gestion de l’épidémie, M. Salomon est par ailleurs devenu une figure familière des Français, à travers ses points de presse quotidiens. Chaque soir, depuis le 21 janvier, ils l’ont entendu égrener les morts et les hospitalisations en réanimation, mais aussi justifier les décisions prises par l’exécutif, notamment au sujet de l’utilisation limitée des tests et des masques. Légitimant ces choix par « ce qu’en disent les scientifiques », ne s’est-il pas en réalité contenté de gérer la pénurie ?

Cette question, au cœur de l’enquête des parlementaires, Jérôme Salomon l’a éludée une première fois lors de son audition par la mission d’information, le 23 avril. Au sujet des masques, il a ainsi insisté sur le fait qu’« il existe des débats scientifiques sur l’efficacité du port du masque au quotidien par la population » et « une différence culturelle importante entre les pays européens et les pays asiatiques ».

Il a aussi expliqué que le masque était le plus souvent mal porté, donnant « un sentiment de fausse sécurité ». Au sujet des tests virologiques, il soulignait surtout leur manque de fiabilité. « Le problème tient à l’existence possible d’asymptomatiques : avec les tests PCR, vous pouvez être négatif un jour et positif le lendemain », avançait-il alors devant les parlementaires.

Les responsables politiques auditionnés après les municipales
Pas de quoi convaincre les médecins. « On nous a demandé de soigner des malades, sans masques, sans blouses, sans charlottes. Comment a-t-on pu se retrouver dans cette situation ? », s’interroge Jacques Battistoni, le président du syndicat MG France, qui représente les généralistes, estimant qu’il y a « eu un problème de vérité sur l’état des stocks ». « On voit bien qu’il y a eu une dilution des responsabilités entre les ministres successifs, et, j’ai bien peur, de la négligence aussi. »

Les médecins ne décolèrent pas non plus au sujet des tests. « Nous nous sommes retrouvés à faire des diagnostics sur la base de scanners. Comment la France a-t-elle pu prendre un tel retard ? », s’emporte Jean-Paul Ortiz, président du CSMF, un autre syndicat de généralistes.

Pour Eric Caumes, chef du service des maladies infectieuses à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, l’audition mardi du directeur général de la santé n’apportera « rien de nouveau » ; « Il avait déjà tout dit en 2016 ! », estime le médecin, en se référant à une note rédigée par Jérôme Salomon, alors conseiller du candidat En marche ! Emmanuel Macron. « La France n’est pas prête. (…) Il faut se préparer à faire face aux situations (…) inconnues jusqu’à aujourd’hui, voire impensables », écrivait-il alors.

Après M. Salomon, les députés entendront le président du conseil scientifique, Jean-François Delfraissy, jeudi, ainsi que le très médiatique et controversé professeur marseillais Didier Raoult, la semaine prochaine.

Les responsables politiques seront auditionnés après les municipales, pour ne pas troubler le jeu électoral. L’ancienne ministre de la santé et candidate (LRM) à Paris, Agnès Buzyn, sera entendue le 30 juin. Elle sera suivie par les anciens ministres Marisol Touraine, Xavier Bertrand et Roselyne Bachelot. L’actuel ministre de la santé, Olivier Véran, et le premier ministre, Edouard Philippe, devraient l’être aussi. Tous témoigneront sous serment.