Politique santé sécu social de l’exécutif

Le Monde.fr : Olivier Véran sur la crise due au coronavirus : « Nous mettons tout en œuvre pour éviter de devoir un jour reconfiner »

Juin 2020, par infosecusanté

Le Monde.fr : Olivier Véran sur la crise due au coronavirus : « Nous mettons tout en œuvre pour éviter de devoir un jour reconfiner »

Dans un entretien au « Monde », le ministre de la santé Olivier Véran détaille la stratégie mise en œuvre pour faire face à une éventuelle deuxième vague de l’épidémie de Covid-19.

Propos recueillis par Chloé Hecketsweiler, François Béguin et Cédric Pietralunga

Publié le 25/06/2020

Le ministre de la santé Olivier Véran annonce qu’un dépistage systématique de la population va être expérimenté, pour les personnes volontaires, dans des zones à risques. Près d’1,3 million d’habitants sont concernés en Ile-de-France. Il indique également qu’« a minima » 12 000 lits de réanimation seront mobilisables dans les hôpitaux en cas de nouvelle vague.

La France en a-t-elle fini avec l’épidémie de Covid-19 ?
Non. Le pic de mars-avril est derrière nous mais nous n’en avons pas terminé avec le virus. Il faut éviter les grands rassemblements et les comportements à risque.

Les rassemblements sans gestes barrières ni masques observés le 21 juin lors de la Fête de la musique vous inquiètent-ils ?
Cela ne me surprend pas parce que ça a été très dur pour les Français pendant plusieurs mois, avec le confinement, la perte d’activité sociale, la perte d’activité économique et la perte de repères dans les cercles amicaux, familiaux. De nombreuses familles ont été frappées par la maladie, parfois par des décès. Il y a un besoin de résilience collective. Les gens ont envie de tourner la page. J’entends cette envie mais cela doit être assorti de comportements individuels et collectifs qui ne prêtent pas le flanc au retour de l’épidémie. J’appelle à une vigilance collective.

Dans une note publiée lundi, le conseil scientifique estime qu’une forte recrudescence de la pandémie est « extrêmement probable » à l’automne. Est-ce également le scénario retenu par le gouvernement ?
Aujourd’hui, des experts disent qu’il n’y aura plus de vague épidémique. D’autres, plus nombreux, considèrent qu’il y a un risque non négligeable d’une deuxième vague. Certains la voient à l’automne, d’autres dans un ou deux ans, voire en 2024. D’autres considèrent que le virus va peut-être circuler à bas bruit pendant des années, mais sans faire de nouvelles vagues. Nous devons préparer le pays à toutes ces hypothèses.

Quelle est votre stratégie pour faire face à une éventuelle deuxième vague ?
D’abord nous traquons le virus en continuant d’effectuer des tests. Cette semaine encore, environ 250 000 tests ont été réalisés, environ 99 % d’entre eux sont négatifs, ce qui montre qu’on cherche large. Nous organisons des dépistages systématiques, des « barnums », dans les communes où le virus circule même de façon minime. Chacun peut s’y présenter et bénéficier de ce dépistage. On peut réaliser parfois 400 ou 500 tests dans une journée. Cela nous permet de chercher les signaux faibles. Des opérations de dépistage ciblées sont également menées, comme par exemple celles en cours dans les abattoirs.

Peut-on aller au-delà et tester encore plus largement ?
Nous lançons dans certains territoires une campagne de très grande ampleur qui s’adresse à tous les habitants. Près de 1,3 million de personnes vivant dans trente communes d’Ile-de-France vont ainsi recevoir des « bons » de l’Assurance maladie leur proposant d’aller faire un test virologique dans n’importe quel laboratoire public ou privé, même s’ils n’ont pas de symptômes. L’objectif est d’identifier les éventuels clusters dormants, c’est-à-dire des foyers invisibles de personnes asymptomatiques. Il s’agit également de regarder s’il y a des différences entre les territoires sur la circulation et l’impact du virus.

Quel est le profil des communes retenues ?
Ce sont des territoires à proximité de clusters identifiés où l’on constate avec des opérations de « barnum » qu’il y a du réservoir viral, avec des personnes asymptomatiques, qui peuvent transmettre le virus sans le savoir. On est pour l’instant au stade de l’expérimentation pour regarder si cela correspond à un souhait des Français. Cette expérimentation pourra ensuite être étendue à d’autres régions

Le système de santé serait-il en mesure d’encaisser une deuxième vague ?
C’est l’un des autres volets de notre stratégie. Nous avons acquis de nombreux respirateurs, nous consolidons un stock national de médicaments de réanimation et d’ici à la fin de l’été, nous aurons plus de médicaments en stock que ce que nous avons utilisé au cours de la première vague. Lors de la première vague, nous avons été capables de passer de 5 000 à près de 9 000 lits de réanimation. Au total, nous avons accueilli 17 000 patients en réanimation au cours de la première vague. Aujourd’hui, il n’y a plus que 12 % des lits occupés par des malades Covid et il y a une mise au repos des équipes et une réduction du nombre de lits. Pour la suite et afin de parer à toutes les éventualités dans le cas d’une deuxième vague à l’automne, nous avons décidé d’être en mesure d’armer a minima 12 000 lits de réanimation dans les hôpitaux et d’admettre 30 000 malades en réanimation.

L’Allemagne a été contrainte de confiner à nouveau deux cantons, soit 600 000 habitants, à la suite de l’identification de deux clusters importants. C’est un scénario envisagé en Guyane. Faut-il s’habituer à vivre avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête ?
Nous mettons tout en œuvre pour éviter de devoir un jour reconfiner un territoire. C’est la dernière des solutions que nous envisageons. Mais si la situation sanitaire le nécessite dans certains territoires nous n’hésiterons pas. S’agissant d’un reconfinement complet, en sortant de l’état d’urgence sanitaire en juillet, nous perdons, et nous assumons, les moyens législatifs d’organiser une reconfinement complet au profit de mesures plus ciblées. Et si nous devions avoir malgré tout des décisions difficiles à prendre, il faudrait à nouveau décréter l’état d’urgence sanitaire.

Vous ne l’excluez pas complètement ?
Il n’y a pas d’exemple à ce stade de pays qui aurait procédé à un nouveau confinement généralisé. Il peut y avoir des limitations, des restrictions de circulation dans des lieux, ce qu’on constate en Allemagne, avec des fermetures de certains bâtiments et de réduction de l’accès à certains services dans une période que j’espère la plus courte possible pour les Allemands.

L’ancien directeur général de la santé Wiliam Dab a assuré devant la commission d’enquête parlementaire qu’on aurait dû avoir un confinement ciblé plutôt que généralisé du pays, qu’il n’y a « aucun doute là-dessus ». Est-ce que vous avez des regrets ?
Non, je ne crois pas plus aux commentaires a posteriori qu’aux prévisions a priori. Je leur accorde à peu près la même valeur, celle de la sincérité d’un expert qui s’exprime sur une situation avec les éléments dont il dispose.

La France, avec d’autres pays, a effectué une précommande pour 400 millions de
vaccins. Est-ce là la porte de sortie à la crise ?
On est au cœur des incertitudes sur lesquelles je suis néanmoins obligé de fonder mes décisions. Un laboratoire – très sérieux, très connu – nous dit avoir la possibilité de trouver un vaccin peut-être dès l’automne. Je n’ai pas le vaccin sous les yeux, ils ne l’ont pas sous les yeux, mais ils font des études avancées et nous disent qu’ils y croient. Nous devons garantir, que le premier vaccin qui sera efficace et qui sera disponible, nous puissions en faire bénéficier les Français.

Dans six mois ou dans huit mois, ils me diront peut-être : « Mais pourquoi avez-vous commandé des vaccins alors qu’ils ne marchent pas ? » ou bien « Pourquoi en avez-vous acheté alors que les experts avaient bien dit qu’il n’y aurait pas de deuxième vague ? ». Mais nous sommes obligés d’anticiper la situation dans laquelle on en aurait besoin.

Plusieurs médicaments de réanimation ont manqué dans les hôpitaux pendant la vague épidémique. Aujourd’hui, encore pour le propofol, les stocks sont très bas et des opérations sont retardées. Quand le retour à la normale est-il prévu dans les blocs opératoires ?
L’activité retrouvera progressivement son rythme normal au cours de l’été, et elle s’est déjà très fortement améliorée. Nous avons choisi de refaire un stock national de médicaments à destination des réanimations au cas où il y aurait une deuxième vague, plutôt que de les utiliser au fil de l’eau. C’est là aussi une décision qui vise à assurer la protection des Français. Tous les pays du monde se sont retrouvés à court de médicaments. Mais il y a encore une surconsommation mondiale inimaginable : le Brésil, les Etats-Unis, la Russie, en consomment massivement. Ils sont priorisés par les laboratoires parce que là-bas, il y a des vies en jeu à chaque minute.

Cela dit, il n’est plus possible que les pays européens soient totalement dépendants de quelques pays d’Asie pour pouvoir disposer des matières premières indispensables à la fabrication des médicaments, voire des médicaments tout court. C’est économiquement intéressant, jusqu’au jour, où ça ne l’est plus. Je crois que tout le monde l’a bien compris.

Avec quatorze personnes averties en trois semaines, l’application StopCovid est finalement très peu utilisée. Tout ça pour ça ?
StopCovid est un outil de surveillance épidémiologique qui fait sens. Il le fera peut-être encore davantage s’il devait avoir une augmentation de la circulation du virus.

Les personnels soignants ont été très sollicités. Pour eux, le « Ségur de la Santé » ne va pas assez vite. Ils ne voient toujours rien venir. Il y a une impatience et une exaspération. Que leur répondez-vous ?
L’impatience des soignants à l’égard du « Ségur » et de la reconnaissance de la Nation est très forte, je la partage, je suis au moins aussi impatient qu’eux. J’ai donné un cap, cinq semaines pour pouvoir faire avec eux le diagnostic de la situation et négocier. L’objectif n’est pas que d’augmenter, il est aussi de transformer. Cinq semaines, c’est très court. Mais nous le ferons. Qui dit négociation, dit un peu d’échanges et de saines pressions de part et d’autre, c’est tout à fait normal et je ne m’en offusque pas. J’ai la volonté que d’ici à quinze jours nous ayons abouti, par anticipation de quelques jours à l’objectif du 14 juillet que nous nous étions fixés.

La dernière partie du quinquennat s’annonce plus redistributive. Etes-vous à l’aise avec cette idée ? Quid des déficits ?
Le pays n’a pas hésité une seconde à protéger les emplois par des mesures massives de chômage partiel, par des dédommagements des travailleurs indépendants, des commerçants, par la prise en charge à 100 % de soins pour lesquels cela pouvait s’avérer utile. La protection sociale française a joué un rôle d’amortisseur comme nulle part ailleurs. Je n’ai aucune difficulté à ce qu’on pose la question de la distribution, de la redistribution, de l’accompagnement social. Mais je n’ai aucune difficulté non plus à dire qu’il faut que nous soyons capables collectivement de réfléchir aux moyens de payer cette dette qui ne doit pas peser sur les générations futures, à dire qu’elle oblige à un effort de la nation. Il y a toujours eu des règles du jeu, un équilibre à trouver.

Certains plaident pour créer un grand ministère social dans le prochain gouvernement, en rattachant les affaires sociales, dont vous avez aujourd’hui la responsabilité, au travail. Qu’en pensez-vous ?
Je suis ministre des solidarités et j’y tiens. Il faut faire vivre politiquement les politiques de solidarité d’ici à la fin du mandat. Je ménage du temps, de l’énergie, de la motivation pour travailler les politiques de solidarité et faire des propositions ambitieuses pour les affaires sociales de notre pays. Je porte la création d’une cinquième branche de la Sécurité sociale pour la perte d’autonomie. Mon défi, c’est d’être capable de faire en même temps le « Ségur », de gérer la crise du Covid et d’avoir une attention pour les personnes en perte d’autonomie. Les idées ne manquent pas, les projets ne manquent pas et on sera prêt. La question des plus précaires me préoccupe beaucoup. Je ne me sens pas débordé. La solidarité est très corrélée à la santé et au social. Mais je m’en remets à l’arbitrage du président et du premier ministre.