Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - Vaccin : « Je construis la plus grande usine du monde pour produire un milliard de doses »

Juin 2020, par Info santé sécu social

Par Sébastien Farcis — 28 juin 2020

Adar Poonawalla, PDG de la société SII, s’engage à approvisionner en priorité l’Inde et les pays pauvres.

Adar Poonawalla est le président-directeur général de Serum Institute of India, premier producteur de vaccins au monde. Une société fondée en 1966 par son père. Elle est toujours détenue par la famille et n’est pas cotée en Bourse.

Pourquoi commencer à produire le vaccin développé par Oxford, alors que leurs essais cliniques ne sont pas terminés ?
D’abord, les scientifiques d’Oxford estiment qu’il y a de 70 % à 80 % de chances que ce vaccin fonctionne, car ils ont utilisé la même technologie pour le vaccin contre Ebola. Nous prenons donc le risque de produire ces doses pour avoir un important stock prêt au plus vite. Mais il est vrai que si les essais cliniques échouent, cela représentera une grande perte financière. C’est quelque chose que j’ai accepté et que je peux faire car je n’ai pas de comptes à rendre à des actionnaires ni à des banques. Pour les vaccins, il faut savoir s’engager, surtout en temps de crise. Sans cela, nous retardons la production d’un an, ce qui serait dramatique.

Quelles quantités pensez-vous produire ?
AstraZeneca veut que nous produisions un milliard de doses en un an et nous espérons pouvoir le faire. Nous venons de commencer à réaliser de toutes petites quantités. Il faut les augmenter sans perdre la qualité, ce qui représente un processus délicat. Nous commencerons la production réelle entre juillet et août et tablons sur 50 millions de doses par mois à partir d’août ou septembre.

A qui seront destinés ces vaccins ?
L’accord que j’ai avec AstraZeneca est pour fournir l’Inde et les pays du Gavi [organisation qui fournit les pays les plus pauvres en vaccins, ndlr]. Mon engagement va aux pays les plus pauvres et à mon pays, l’Inde, et c’est à eux que je destinerai ma production en priorité. Si les Etats-Uns me demandent de faire un vaccin, je le ferai, mais je ne mettrai pas en danger l’approvisionnement de mon propre pays et des pays du Gavi pour cela.

Cette production affecte-t-elle celle des autres vaccins traditionnels ?
Oui. Je construis la plus grande usine du monde pour la production d’un milliard de vaccins contre le Covid-19, mais elle mettra trois ans à sortir de terre. En attendant, j’ai sacrifié mes deux usines pour cette production. En temps normal, nous produisons 1,5 milliard de doses par an d’autres vaccins, contre la pneumonie, la rougeole, le BCG, etc. Je vais continuer à les produire, mais décaler un peu l’approvisionnement et peut-être externaliser cette production auprès d’autres sociétés, ce qui me coûtera de l’argent. Je ne veux pas perturber la production de ces autres vaccins, car ils sont encore plus importants que celui du Covid-19. Ils protègent des enfants contre des maladies encore plus dangereuses.

Vous développez également votre propre vaccin contre le Covid-19…
En effet, il utilisera le virus de la rougeole comme vecteur [pour injecter une protéine de Covid-19, ndlr], mais nous prenons notre temps. Certains vaccins développés aujourd’hui pourraient ne plus fonctionner dans un an ou deux, car le virus continue à muter. Nous, nous essayons de développer un vaccin qui offre la protection la plus large contre toutes ses variantes. Il devrait donc être prêt dans deux ans.

Quand nous aurons ce vaccin, nous ne déposerons pas de brevet. Nous ne croyons pas au fait de breveter un produit qui a un tel impact sur l’humanité. Le tarif sera aussi très abordable. Certains pays l’auront à un prix réduit, et d’autres qui peuvent se le permettre paieront entre 20 % et 30 % de plus.