Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - En Chine, un vaccin contre le Covid-19 testé sur des militaires

Juillet 2020, par Info santé sécu social

Par Tatiana Serova — 3 juillet 2020 àFP

Pékin a autorisé fin juin la distribution aux soldats chinois d’un vaccin expérimental contre le coronavirus. Toujours en phase d’essai, ce médicament pose des questions éthiques, notamment sur le principe de consentement.

Un « grand bond en avant » pour la recherche sur le Covid-19 ? Difficile à dire pour l’heure. Le vaccin dénommé « Ad5-nCOV », mis au point par l’Académie des sciences médicales militaires et la compagnie pharmaceutique CanSino Bio, est en passe d’être utilisé dans les rangs des militaires chinois. Près de deux millions d’individus sont potentiellement concernés.
Fondée en Chine en 2009, la société CanSino Bio, spécialisée dans la production de vaccins, avait déjà fait ses preuves en en élaborant un contre Ebola. Selon les derniers chiffres de l’Organisation mondiale de la santé, son nouveau vaccin est à ce jour l’un des candidats le plus avancés parmi les 18 en phase de tests qui se bousculent dans la course contre le Covid-19. La firme chinoise collabore par ailleurs avec le Conseil national de recherches du Canada (CNRC), qui teste le même vaccin sur des patients volontaires canadiens.

Effets secondaires
Dans un communiqué de presse du 29 juin, CanSino Bio s’est réjouie des résultats encourageants des essais cliniques menés depuis mi-mars. Ils ont montré, à l’issue de la deuxième phase (sur trois) « un bon niveau de sécurité et de réponse immunitaire », assure la firme.
Contactée pour plus de précisions, l’entreprise explique à Libération ne pas pouvoir communiquer davantage sur ces essais avant que le vaccin ne fasse l’objet d’une « autorisation officielle ». Le chaînon manquant pour qu’il soit distribué plus largement à la population serait « l’accord du département logistique » de la Commission militaire centrale.
Les effets secondaires de ce possible vaccin suscitent par ailleurs des interrogations. Le 13 juin dernier, la compagnie relevait, dans la revue scientifique The Lancet, de la fièvre ou de la fatigue chez les patients suite à l’inoculation. Des symptômes potentiellement handicapants pour des activités militaires. Si les autorités chinoises ont donné leur accord à cette campagne de tests sur leurs soldats, on ignore si la participation de ces derniers est optionnelle ou obligatoire.

Flou du consentement
Cette communication minimaliste autour du consentement ne manque pas d’inquiéter Yaqiu Wang, chercheuse sur la Chine au sein de l’ONG Human Rights Watch. « Nous sommes préoccupés par le manque de transparence de la part du gouvernement chinois, explique-t-elle. Les autorités assurent par exemple qu’aucun cas de Covid-19 n’a été détecté dans les rangs de l’armée, mais les soldats sont fermement contrôlés » dans leurs mouvements.
L’absence supposée de consentement des militaires soumis aux tests constituerait-elle une entorse aux droits de l’homme ? Dans le code de Nuremberg de 1947, le texte régissant l’expérimentation médicale sur des humains, l’article 1 stipule que tout sujet aux tests « doit être placé en situation d’exercer un libre pouvoir de choix, sans intervention de quelque élément de force ». Des conditions forcément incertaines pour les militaires qui, par essence, obéissent aux ordres.
Second pilier des tests médicaux sur humains : l’information. Là encore, elle semble floue, telle que définie par la déclaration d’Helsinki, adoptée par l’Association médicale mondiale en 1964 et énonçant les principes éthiques de recherche médicale. D’après celle-ci, le sujet de recherche doit être « correctement informé des objectifs, […] des risques potentiels de la recherche, des désagréments qu’elle peut engendrer ». Ces principes n’ont cependant pas de force contraignante. Rien ne garantit donc leur application par la Chine.

Les militaires, cobayes réguliers
Si ce vaccin « réservé » aux soldats peut sembler surprenant, il ne s’agit pourtant pas d’un cas à part. Pendant la guerre du Golfe en 1991, l’armée française a administré à un millier de ses militaires le médicament Modafinil, destiné à lutter contre le sommeil, alors qu’il n’était pas encore disponible sur le marché.
Un scénario similaire s’était déroulé sur la base de Edgewood Arsenal (Etats-Unis), où à partir de 1955, plus de 7 000 militaires ont absorbé différents médicaments à des fins de tests, entre autres du LSD à des fins médicales. Israël a aussi été adepte de ce genre de pratiques, testant un vaccin contre des gaz innervants sur ses recrues en 1971. Principale différence avec le cas chinois : la discrétion de ces opérations, qui n’ont été révélées que des années plus tard.
Autre distinction : face à l’urgence d’endiguer une pandémie qui a déjà fait plus de 520 000 morts à travers le monde, l’accélération des processus médicaux, en Chine comme ailleurs, semble se justifier. Si la Chine devait être la première à mettre au point un vaccin, le président Xi Jinping a promis en mai, lors d’une réunion de l’OMS, d’en faire un « bien public mondial ».

Tatiana Serova