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Le Monde.fr : La réforme des retraites, premier dossier à haut risque pour le premier ministre

Juillet 2020, par infosecusanté

Le Monde.fr : La réforme des retraites, premier dossier à haut risque pour le premier ministre

L’exécutif veut avancer durant l’été mais la CFDT et le Medef sont contre un calendrier aussi rapide.

Par Cédric Pietralunga, Bertrand Bissuel et Raphaëlle Besse Desmoulières

Publié le 08/07/2020

A peine les nouveaux ministres nommés, Jean Castex passe aux travaux pratiques. Le chef du gouvernement doit recevoir en tête à tête, jeudi 9 et vendredi 10 juillet, les partenaires sociaux à Matignon. Les rendez-vous se dérouleront en présence d’Elisabeth Borne, qui vient d’être désignée ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion.

L’ordre du jour est « transverse », indique un collaborateur de M. Castex. Les conséquences économiques et sociales de la récession induite par l’épidémie de Covid-19 figureront au menu des échanges. Mais la réforme des retraites devrait constituer « un thème-clé de cette rencontre », selon Cyril Chabanier, le président de la CFTC. L’exécutif entend ne pas perdre de temps sur son projet, bien qu’il inspire une forte défiance dans une large partie de l’opinion et alors même qu’il a déclenché un long conflit social, fin 2019-début 2020.

Mercredi sur BFM-TV, M. Castex a annoncé qu’il réunirait ensuite syndicats et patronat « tous ensemble avant le 20 juillet », mais après sa déclaration de politique générale. « Tout cela se fait dans le dialogue et la main tendue. (…) Ma responsabilité, c’est de rouvrir le dialogue », a-t-il déclaré. Il a ajouté que « c’est acté : nous allons séparer ce qui est le futur régime universel », qui constitue un « travail de long terme où il faut sans doute rouvrir les concertations », de ce qui relève d’un sujet de « plus court terme », le financement du système actuel, « impacté fortement par la crise ».

Le 3 juillet, dans un entretien accordé à des quotidiens régionaux, Emmanuel Macron avait annoncé sa volonté de relancer ce chantier, suspendu au début du confinement, tout en y apportant des corrections par rapport aux plans initiaux : l’idée d’une concertation, engagée « dès l’été » sur le « volet des équilibres financiers », avait alors été évoquée par le chef de l’Etat. Une préoccupation liée à l’augmentation du déficit des régimes de pension, pris dans leur globalité : − 29,4 milliards d’euros en 2020, selon les projections diffusées à la mi-juin par le Conseil d’orientation des retraites, soit un solde négatif sept fois plus élevé que ce qui était attendu jusqu’à maintenant.

« Le président a donné comme priorité au premier ministre de reprendre la réforme des retraites, de reprendre contact avec Laurent Berger [le secrétaire général de la CFDT], confie un proche de M. Macron. L’idée est de conclure vite, de boucler la copie dès cet été. C’est au premier ministre de trouver les voies et les moyens pour le faire. » Pour Jean-Claude Mailly, l’ex-secrétaire général de FO, qui connaît bien M. Castex, le chef du gouvernement serait l’homme de la situation : « C’est un type réglo. Il croit au dialogue social – pour lui, ce n’est pas juste de la communication –, et il va essayer de voir si un compromis est possible. »

« Ça tient de l’improvisation »
La démarche ne suscite pas un fol enthousiasme chez les organisations de salariés mais aussi parmi les mouvements d’employeurs, à la veille de leur rencontre avec M. Castex. « On compte bien lui parler de sujets plus larges : l’urgence d’annoncer le plan de relance, l’emploi des jeunes, l’assurance-chômage, la suite du chômage partiel et, s’il reste du temps, les retraites, explique Geoffroy Roux de Bézieux, le numéro un du Medef. L’économie reste très fragile, ce n’est pas le moment de remettre ça sur la table. » « Nous ne sommes pas très demandeurs d’une reprise des hostilités dès maintenant, renchérit Eric Chevée, vice-président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME). Nous avons d’autres fers au feu. » Sous-entendu : il faut d’abord se focaliser sur le redémarrage de l’activité et le soutien aux entreprises.

Un responsable patronal se montre plus que dubitatif : « Reprendre maintenant cette réforme alors que la CFDT et le Medef ont dit qu’ils y étaient opposés, c’est délirant, d’autant plus que l’on nous explique que le dialogue social est le pilier de l’acte II du quinquennat. » Un avis partagé par un fin connaisseur de ces questions, pour qui vouloir assainir les comptes tout de suite, dans un contexte où personne n’est encore capable de faire des prévisions financières robustes pour 2021, « n’a aucun sens » : « Ils font n’importe quoi, tout ça tient de l’improvisation. »

Lors de la passation des pouvoirs avec Muriel Pénicaud, sa prédécesseure au ministère du travail, Mme Borne a confirmé, mardi, que la réforme des retraites entrerait dans ses attributions. Jusqu’à présent, ce chantier relevait du ministre des solidarités et de la santé, Olivier Véran, et de son secrétaire d’Etat, Laurent Pietraszewski. Cette redistribution des cartes « représente plutôt une bonne chose » car elle permet d’accentuer la réflexion sur les liens entre retraite, emploi et conditions de travail, d’après M. Chabanier : « Nous pourrons aller sur des problématiques telles que la prise en compte de la pénibilité, le cumul entre pension et revenu d’activité, l’aménagement des fins de carrière. » Une autre considération a également joué dans le fait de soustraire le dossier à M. Véran : sa charge de travail, entre le Ségur de la santé et la dépendance. « Vu ce qu’il a déjà à gérer, il ne s’est pas battu pour conserver ce qui est typiquement un bâton merdeux », assure un haut fonctionnaire, familier du sujet.

Reste enfin à connaître le sort qui sera réservé à M. Pietraszewski : son nom apparaîtra-t-il dans la liste des secrétaires d’Etat qui doivent être désignés incessamment ? Aux yeux de M. Chevée, la « logique » voudrait que Mme Borne soit épaulée. Mais « si ça va vite, il n’y a pas forcément besoin d’un secrétaire d’Etat », considère une source proche du dossier.

Cédric Pietralunga, Bertrand Bissuel et Raphaëlle Besse Desmoulières