Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - Recherche contre le Covid-19 : la place de Bill Gates et des VIP interroge

Juillet 2020, par Info santé sécu social

28 JUILLET 2020 PAR ROZENN LE SAINT

Bill Gates est devenu un financeur incontournable des instances de décision des politiques mondiales de santé. Dans son sillage et dans un autre registre, des mégaconcerts caritatifs visent à récolter des fonds pour financer traitements et vaccins contre le Covid-19. Mais l’industrie pharmaceutique est la première bénéficiaire de ces actions solidaires.

Bill Gates, ancien patron de Microsoft devenu philanthrope, notamment dans le secteur de la santé, aurait créé le virus en laboratoire pour commercialiser un vaccin, contrôler la population à l’aide de puces électroniques intégrées dans le sérum, et même organiser un génocide sanitaire… D’où viennent ces folles rumeurs complotistes qui ont fait leur nid pendant la crise du Covid-19 ?

Une vidéo les a particulièrement alimentées. La conférence TED donnée par Bill Gates en 2015, mettant en garde contre le manque de préparation face au « plus grand risque de catastrophe mondiale », celui d’« un virus hautement contagieux », a été vue plus de 36 millions de fois. Il aurait donc fait en sorte que sa prophétie s’autoréalise…

Ce qui est vrai, c’est que le milliardaire est devenu un financeur incontournable des instances de décision des politiques mondiales de santé depuis la création de la fondation Bill & Melinda Gates en 2000. Avec le gel annoncé par Donald Trump des financements des États-Unis qui contribuaient à hauteur de 15 % du budget de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), contre 12 % pour la fondation Gates, celle-ci devient la principale donatrice devant tous les autres États.

Le troisième contributeur de l’OMS est le Gavi, l’Alliance pour les vaccins (lire aussi « Dans le contexte du Covid-19, la toute-puissance de l’industrie pharmaceutique »). Or la fondation Gates représente elle-même, devant les États-Unis, la principale source de financement de cette organisation publique-privée : elle apporte près de 20 % des contributions, contre près de 12 % pour les États-Unis et 5,5 % pour la France, par exemple.

La fondation de Bill Gates, deuxième plus grande fortune mondiale selon le magazine Forbes, fait aussi partie des principales sources de financement de la Coalition for Epidemic Preparedness Innovations (CEPI), le troisième et dernier décideur incontournable de la politique vaccinale mondiale. Car les Gates sont de fervents défenseurs de la vaccination. Les programmes œuvrant à développer cette solution préventive sont donc largement abreuvés par leurs dollars.

C’est simple, la fondation Gates est partout dans le secteur de la santé. Une incroyable source de données, celle du groupe de réflexion Policy Cures Research, recense les efforts financiers en R&D contre le Covid-19. Mais à y regarder de plus près, même les tableaux et graphiques interactifs sont signés Microsoft ! Le « groupe de réflexion indépendant reçoit des fonds de la fondation Bill & Melinda Gates, entre autres sources », précise Policy Cures Research à Mediapart.

En tout, la fondation Gates communique sur son engagement à hauteur de 350 millions de dollars pour soutenir les initiatives destinées à lutter contre le coronavirus. Mais pourquoi le milliardaire investit-il autant dans un secteur qui, à première vue, n’a pas grand-chose à voir avec celui de la tech’ ? Aurait-il un intérêt à obtenir un pouvoir décisionnel au sein des organisations mondiales aux manettes ?

« L’avenir de la santé se trouve dans l’intelligence artificielle avec l’émergence d’outils de diagnostic. Microsoft aura un temps d’avance pour se positionner sur ces marchés. Deux mondes qui paraissent éloignés a priori sont en train de se rapprocher », souligne Pauline Londeix, cofondatrice de l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament.

Par exemple, en France, le Health Data Hub, la plateforme devant centraliser l’intégralité de nos données de santé grâce à l’intelligence artificielle, dont le déploiement a été accéléré au nom de l’état d’urgence sanitaire, est hébergé par Microsoft (lire aussi « Health Data Hub : le méga fichier qui veut rentabiliser nos données de santé »).

Depuis le procès antitrust de Microsoft pour abus de position dominante achevé au début des années 2000, Bill Gates tente de se racheter une image de bienfaiteur de l’humanité. Pour autant, il n’a pas abandonné sa vision monopolistique des marchés. Alors, business de l’informatique et pharmaceutique, même combat ?

Oui, à en croire Pauline Londeix : « La défense de la propriété intellectuelle et les lois qui régissent les brevets favorisent les monopoles. Elles empêchent d’autres acteurs de copier ces produits, que cela soit des logiciels ou des médicaments dans le but de fabriquer des génériques à des tarifs moins élevés », compare-t-elle.

« La fondation Bill & Melinda Gates est une fondation privée à but non lucratif et tous ses capitaux sont utilisés à des fins caritatives. C’est une entité distincte de Microsoft », objecte quant à lui le service communication de la fondation. En mars, Microsoft a effectivement annoncé que Bill Gates quittait le conseil d’administration du groupe qu’il a fondé en 1975 avec Paul Allen pour consacrer plus de temps à la philanthropie. Bill Gates avait d’ores et déjà quitté la direction de Microsoft en 2008 pour s’impliquer davantage dans sa fondation.

Dans le cerveau de Bill Gates, la série documentaire hagiographique sur le milliardaire, distingue bien la vie du patron de Microsoft et celle de philanthrope. Elle se concentre essentiellement sur son action humanitaire. Celle-ci est présentée comme un nouveau chapitre de sa vie une fois celui de la tech’ totalement clos. Le documentaire évite ainsi de suggérer de possibles conflits d’intérêts. La série ne fait pas non plus preuve de recul sur le philanthro-capitalisme.

« Ce néologisme a précisément été créé lorsque le fondateur de Microsoft s’est engagé à léguer 95 % de sa fortune à de bonnes œuvres avant sa mort », explique Lionel Astruc dans son livre critique L’Art de la fausse générosité, la fondation Bill et Melinda Gates (Actes Sud, 2019). « La structure incitative [de la fondation Bill & Melinda Gates – ndlr] est axée sur les profits et favorise les intérêts commerciaux au détriment des préoccupations sanitaires publiques, et elle ne favorise pas la production de médicaments qui satisfassent les besoins de santé publique à un prix abordable sur le long terme », déplore également l’auteur.

Pour sa défense, la fondation Bill & Melinda Gates explique qu’elle « s’efforce de rendre les médicaments accessibles à tous. Tout produit de santé qui a bénéficié d’un financement de la part de la fondation pour son développement doit être mis à la disposition des pays en voie de développement à un prix abordable, à haut niveau de qualité, dans des volumes suffisants et dans les meilleurs délais ».

Ce qui est sûr, c’est que les organisations abreuvées par le couple de milliardaires comme le Gavi ou la CEPI défendent l’accès aux soins des plus pauvres, mais par un mécanisme de compensations financières qui ne remet pas en cause les prix élevés des traitements exigés à la source par les laboratoires pharmaceutiques. Et ce, car les firmes bénéficient d’une position de force du fait des lois de propriétés intellectuelles qui leur assurent un monopole le temps que court le brevet : pendant vingt ans, les industriels pharmaceutiques peuvent négocier des tarifs élevés pour leurs nouveaux traitements, jusqu’à l’arrivée de la concurrence des génériques, les copies des médicaments de marque.

Au-delà du cas Gates, le financement de la santé mondiale par les VIP est apparu au grand jour avec cette crise du Covid-19. Shakira, Justin Bieber, Christine and the Queens… Le 27 juin, Global Citizen, qui se présente comme un « mouvement de citoyens » visant à récolter des fonds pour favoriser l’accès à tous au vaccin contre le Covid-19, notamment, a organisé un mégaconcert caritatif, le « Global Goal : Unite for Our Future ».

En avril déjà, son festival de bienfaisance virtuel en partenariat avec l’OMS pour rendre hommage aux soignants avait rassemblé Lady Gaga, Alanis Morissette, Elton John, Paul McCartney, Stevie Wonder… En tout, la campagne a permis de récolter 6,9 milliards de dollars promis « pour fournir un accès équitable aux tests, traitements et vaccins Covid-19 ». L’industrie pharmaceutique, qui commercialise ces produits essentiels, est donc la première bénéficiaire de ces actions solidaires soutenues par des stars.

« Nous avons besoin de tout le monde à bord. Je viens de recevoir un message qui indique que Madonna a annoncé une contribution de 1 million d’euros pour aider à lutter mondialement contre le coronavirus. Cela montre que la réponse mondiale doit également inclure la société civile et la communauté mondiale des citoyens. Pour cette raison, nous unissons nos forces aux ONG. Nous travaillerons avec Global Citizen et d’autres partenaires », avait conclu dans son discours, le 4 mai, Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne.

De quoi inquiéter Jaume Vidal, conseiller politique à Health Action International, ONG qui milite pour l’accès aux traitements à tous : « Depuis la crise sanitaire, Global Citizen a pris un impressionnant niveau de visibilité et a obtenu des rencontres fréquentes avec les dirigeants de la Commission européenne. Nous craignons que la question de l’accès aux soins, qui est sociale et politique, soit privatisée et que ce type d’organisations favorise l’acceptation par l’opinion publique de la nécessité absolue de donner aveuglément à l’industrie pharmaceutique alors que cela gonfle encore plus les bénéfices des “Big pharma”. »

Les personnalités investies, vectrices de ces messages sous-jacents, savent-elles elles-mêmes ce qu’est vraiment Global Citizen ? Derrière les paillettes, qui se cache derrière cette organisation qui occupe à présent un rôle de premier plan dans le financement de solutions à la crise sanitaire et de lobbying auprès de la Commission européenne et de l’OMS ?

Le « mouvement de citoyens » est surtout un rassemblement des plus grandes fortunes mondiales. Parmi ses partenaires financiers principaux, un regroupement éclectique d’entreprises directement intéressées par le marché de la santé comme les laboratoires pharmaceutiques Johnson & Johnson ou Reckitt Benckiser, mais aussi des industriels comme P&G (Pampers, Ariel, Mr Propre, Gillette, dispositifs médicaux de diagnostic, médicaments), Weight Watchers, des banques, des acteurs de l’événementiel comme des géants de l’informatique, des télécommunications, de l’audiovisuel ou de la communication (Havas, Universal Music, etc.), des multinationales de produits de beauté…

« Ce qui est inquiétant, c’est que Global Citizen n’a pas d’expérience dans le mouvement de l’accès aux médicaments dont les poids lourds semblent avoir été laissés de côté. Habituellement, les ONG plaident pour un accès universel et équitable aux vaccins en demandant une exemption du système de brevet. Avec Johnson & Johnson parmi les décideurs chez Global Citizen, les prises de position sont forcément différentes », analyse Bryn Gay, spécialiste des politiques d’accès aux traitements du think tank Treatment Action Group. Et de rappeler les difficultés à obtenir des baisses de prix des traitements antituberculeux auprès du numéro un mondial de la pharmaceutique Johnson & Johnson et sa condamnation pour sa responsabilité dans la crise des opioïdes aux États-Unis.

« L’industrie pharmaceutique a tout intérêt à s’associer à Global Citizen dans l’optique de détourner l’attention de ses pratiques de tarification et d’évasion fiscale, alors que ses impôts auraient pu permettre de financer la R&D du Covid-19 », poursuit l’expert. Les pratiques fiscales de Johnson & Johnson, Abbott, MSD et Pfizer auraient par exemple privé les États-Unis de 2,3 milliards de dollars d’impôts entre 2013 et 2015, selon l’ONG Oxfam, ce dont les quatre mastodontes pharmaceutiques se défendent.

Parmi ceux qui siègent au conseil d’administration de Global Citizen, une dirigeante de Johnson & Johnson, donc, des patrons de fonds d’investissements… Et, bien sûr, un représentant de la fondation Bill & Melinda Gates. Ces cinq dernières années, la fondation du couple Gates, toujours elle, a versé près de 32 millions d’euros à ce « mouvement de citoyens ».