Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : « Non, les hôpitaux franciliens n’ont pas trié les patients Covid selon leur seul âge pour l’accès à la réanimation »

Août 2020, par infosecusanté

Le Monde.fr : « Non, les hôpitaux franciliens n’ont pas trié les patients Covid selon leur seul âge pour l’accès à la réanimation »

TRIBUNE
Le 04/08/2020

Deux articles du Monde, parus dans l’édition du 30 juillet – « Coronavirus : des personnes âgées écartées des hôpitaux pendant la crise sanitaire en France » et « Notre système de santé a bel et bien été débordé » (interview d’Eric Ciotti, rapporteur de la commission d’enquête parlementaire sur le Covid-19) –, suggèrent que des patients auraient été écartés des hôpitaux, et notamment des réanimations d’Ile-de-France, sur le seul fait de leur âge, avec pour conséquence directe une surmortalité par manque de soins.

Ces articles nous semblent appeler une réponse médicale. Ils émettent en effet des contrevérités, et surtout des simplifications qui sont dommageables à l’analyse de la réponse qui a été apportée par nos hôpitaux et par nos réanimations à une crise sanitaire sans précédent.

Plus grave, ils jettent le doute sur l’éthique médicale des médecins qui ont dû prendre en charge ces patients.

Principes éthiques
A aucun moment il n’a été décidé de faire un triage des patients en fonction de l’âge uniquement. Au contraire, il a été décidé très tôt, devant l’afflux de patients critiques, de réguler les entrées en réanimation comme les bonnes pratiques habituelles le préconisaient, dans le seul intérêt des patients.

La Société de réanimation de langue française (SRLF) et la Société française d’anesthésie et de réanimation (SFAR) travaillent depuis longtemps sur les critères éthiques des admissions en réanimation afin d’assurer toujours le meilleur soin, le plus approprié à un patient donné.

La note des collégiales de médecine intensive-réanimation et d’anesthésie-réanimation d’Ile-de-France, validée par les représentants des SAMU et urgentistes, qui a été publiée et reprise par l’agence régionale de santé (ARS) d’Ile-de-France dès le 19 mars, en est la preuve. Elle ne fait que reprendre ces travaux admis de toute la communauté. Il y est rappelé que ces bons principes éthiques s’appliquent aussi bien à des patients Covid que non Covid.

Nos concitoyens découvrent en effet à travers cette crise sanitaire qu’une partie importante du quotidien des réanimateurs est de savoir collégialement à qui les soins les plus lourds de réanimation vont bénéficier, en prenant en compte l’avis du patient lorsque c’est possible (directives anticipées) ou l’avis des proches (personnes de confiance). Et cela en miroir du vieillissement de la population et de l’avancée des techniques médicales de suppléance des défaillances d’organe.

Pathologies préexistantes
Cette position éthique pendant la pandémie a fait secondairement l’objet d’une publication dans un journal en langue anglaise [« Admission decisions to intensive care units in the context of the major Covid-19 outbreak : local guidance from the Covid-19 Paris-region area », Azoulay et al., Critical Care, 2020]. Par ailleurs, les projections nécessaires en lits de soins critiques basées sur les prévisions des épidémiologistes au pic de la vague n’ont jamais pris en compte dans les modèles un âge maximum d’admission qui aurait effectivement amené à censurer une partie de la population.

Parler d’âge de façon isolée n’a que peu de sens lorsque l’on parle de critères d’admission en réanimation. C’est ce qui est rappelé également dans la note des collégiales. Un élément majeur bien démontré dans la littérature médicale est la notion de comorbidités (quelles étaient les pathologies qui préexistaient et quelle en était la sévérité ?), d’échelle de fragilité clinique, allant d’une échelle de 1, où le patient est considéré comme très en forme et très autonome, à une échelle de 8 ou 9, où le patient est dépendant pour tous les gestes de la vie quotidienne ou proche de la fin de vie.

L’absence d’admission en réanimation n’a pas voulu dire abandon et absence de soins

Des études internationales sur un très grand nombre de patients, hors contexte de crise sanitaire, ont démontré que la mortalité en réanimation des patients âgés était largement médiée par leur échelle de fragilité [Guidet et al., Intensive Care Medicine, 2020] et que la mortalité de ces patients à un ou deux mois s’ils survivaient à la réanimation était également très élevée.

Si l’on regarde les données dans les réanimations de l’AP-HP, avec maintenant un recul suffisant, on voit que 341 patients admis en réanimation avaient un âge au moins égal à 75 ans, ils représentaient 10 % des admissions en réanimation avec une mortalité en réanimation proche de 50 %. Des pourcentages similaires sont rapportés pour l’Ile-de-France avec un volume plus important, de 890 patients.

Age médian de 63 ans
Nous ne disposons pas encore de l’échelle de fragilité de ces patients, mais des données complémentaires seront disponibles à l’automne grâce une étude internationale financée par la Fondation Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) pour la recherche sur un grand nombre de patients, notamment français. Elle permettra de rapporter le devenir à trois mois des patients âgés admis en réanimation pour pneumonie à Covid. Des données préliminaires publiées dans des revues internationales provenant d’autres pays (Italie, Pays-Bas, Etats-Unis) ont rapporté le même âge médian pour les patients admis en réanimation qu’en France ou en Ile-de-France, à savoir 63 ans environ.

Chacun comprendra alors, surtout nos concitoyens ayant eu directement à subir une hospitalisation en réanimation ou celle d’un de leurs proches, que l’éthique médicale conduit, dans toutes les situations, à apporter les soins les plus invasifs aux patients les moins fragiles et sans pathologies lourdes pouvant entraîner à court terme leur décès, quel que soit leur âge.

C’est la base de notre serment d’Hippocrate, qui dit : « Je dirigerai le régime des malades à leur avantage, suivant mes forces et mon jugement, et je m’abstiendrai de tout mal et de toute injustice. » Nous avons appris avec l’épidémie que le Covid-19 touchait beaucoup dans ses formes les plus graves les patients les plus âgés, les plus fragiles et les plus atteints de comorbidités, ceux qui malheureusement bénéficieront le moins de la réanimation. En dehors de tout contexte Covid, il faut rappeler que, pour les raisons évoquées auparavant, la proportion de patients admis en réanimation en provenance des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ephad) est très faible, de l’ordre de 1 %.

L’absence d’admission en réanimation n’a pas voulu dire abandon et absence de soins. Le système hospitalier a fait en sorte qu’un dépassement de tâches a été rendu possible. Les réanimations « classiques » ont continué à faire de la réanimation comme elles en avaient l’habitude, les unités de surveillance continue ont été transformées en réanimation pour augmenter le nombre de lits de réanimation et les services de médecine plus conventionnelle ont pu faire office d’unité de surveillance continue en prenant en charge des patients plus lourds qui ne justifiaient pas de la réanimation, parfois pour les raisons discutées plus haut.

Messages simplistes
Cela a été rendu possible grâce au renforcement des équipes soignantes, médecins comme infirmiers et aides-soignants, et grâce à l’achat ou prêt de matériel de surveillance et de délivrance d’oxygène. Dans ces services, des techniques de prise en charge comme la délivrance d’oxygène à haut débit sans avoir recours à un respirateur ou la mise des patients sur le ventre, techniques ayant prouvé leur utilité dans cette pandémie de Covid, ont été rendues possibles et ont sauvé des vies.

Ces patients ont pu également recevoir des corticoïdes, seul traitement à ce jour ayant vraiment fait la preuve de son efficacité. Ainsi, 4 099 patients de 75 ans au moins (soit 42 % des admissions) ont été admis dans ces services conventionnels à l’AP-HP et 11 131 pour toute l’Ile-de-France, pour une mortalité hospitalière d’environ 27 % dans les deux cas.

En conclusion, il faut se garder de messages simplistes qui ne visent finalement qu’à créer la polémique. Tout n’a sûrement pas été parfait, mais comment aurait-il pu en être autrement vu l’ampleur de la crise ?

Simplement, le temps de l’analyse ne peut être le temps médiatique ou de la polémique, et la communauté dans son ensemble serait bien inspirée de juger les faits et seulement les faits scientifiques lorsque des études médicales sérieuses auront été publiées. La préoccupation permanente de tout médecin, qu’il soit réanimateur ou pas, est d’éviter toute perte de chance pour le patient qu’il prend en charge ou qui lui est proposé.

Les signataires : Bertrand Guidet, chef de service de médecine intensive-réanimation, hôpital Saint-Antoine, Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) ; Eric Pautas, référent gériatrie du comité spécialisé Covid-19 de l’AP-HP ; Bruno Riou, directeur médical de crise, AP-HP ; Marc Samama, président de la collégiale d’anesthésie-réanimation d’Ile-de-France ; Antoine Vieillard-Baron, président de la collégiale de médecine intensive-réanimation d’Ile-de-France.