Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Mediapart : Tests Covid-19 : un dépistage massif impossible et décrié

Août 2020, par infosecusanté

Mediapart : Tests Covid-19 : un dépistage massif impossible et décrié

7 AOÛT 2020 PAR ROUGUYATA SALL

Depuis que les tests PCR sont accessibles sans ordonnance, des files d’attente se sont formées devant certains laboratoires. Pour les biologistes médicaux, le dépistage massif nuit au repérage des clusters. Ils appellent à une nouvelle doctrine, tout comme le conseil scientifique.

1,3 million. C’est le nombre de Franciliens qui ont reçu un bon pour un test PCR Covid-19 en juillet. Depuis, les habitants des 32 villes d’Île-de-France concernées se sont rués dans les laboratoires d’analyse médicale. On retrouve les mêmes images que devant les centres de dépistage en Mayenne, le département avec le taux d’incidence le plus élevé en métropole, où l’agence régionale de santé (ARS) a décidé de tester les 300 000 habitants de plus de 10 ans.

Ces tests PCR permettent de détecter la présence du SARS-CoV-2. Dès la mi-mars, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommandait de « tester, tester, tester » massivement pour casser les chaînes de transmission du nouveau coronavirus. Mais, à l’époque, la France faisait face à une pénurie de réactifs et le dépistage massif n’était pas à l’ordre du jour. Quatre mois plus tard, les tests PCR sont accessibles à tous, sans ordonnance et pris en charge par la Sécurité sociale.

S’il n’y a pas de difficultés sur la grande majorité du territoire, l’Île-de-France est bien en tension. D’autant plus qu’un résultat négatif est devenu obligatoire pour s’envoler vers certains pays. « On a eu une explosion des demandes de PCR pour des voyages, pas pour des raisons médicales destinées à bloquer le virus sur notre territoire », précise Lionel Barrand, président du Syndicat des jeunes biologistes médicaux. « Le grain de sable dans l’engrenage, c’est aussi un appel massif à dépistage dans des villes entières, sans concertation avec les laboratoires », s’insurge-t-il.

Des gens attendent de se faire tester gratuitement à la plage de Petit Nice, à La Teste-de-Buch, dans le Sud-Ouest, le 24 juillet 2020. © Philippe Lopez/AFP
Des gens attendent de se faire tester gratuitement à la plage de Petit Nice, à La Teste-de-Buch, dans le Sud-Ouest, le 24 juillet 2020. © Philippe Lopez/AFP
Lionel Barrand juge cet afflux contre-productif. Lui plaide pour un dépistage ciblé, pour les personnes symptomatiques, les cas contacts d’une personne testée positive et pour celles qui reviennent d’un pays à risque. « Si on ne cible pas, ça veut dire qu’il faudrait que 70 millions de patients se fassent dépister toutes les semaines, ce qui est évidemment impossible et une aberration médicale. » Sans oublier qu’un test peut être négatif un jour et positif le lendemain, il faudrait donc tester et retester.

Pour l’ARS d’Île-de-France, « les situations de tension observées dans certains laboratoires de la région ne sont pas particulièrement dues aux bons envoyés ». Pour preuve, « des situations de tension s’observent dans des communes qui n’ont pas été ciblées par cette mesure ». L’agence nous indique, par ailleurs, que les campagnes de dépistage sont bien ciblées, « sur les communes et les quartiers qui ont à la fois plus de risque d’accélération des contaminations et un moindre accès aux soins et aux tests ».

Certains laboratoires franciliens sont saturés. Kim Nguyen, associé au laboratoire Biosmose, qui compte une quinzaine de sites, rapporte des standards téléphoniques qui n’arrêtent pas de sonner, des équipes au bord du burn-out, des réactifs qui viennent à manquer. « On s’adapte, on essaie de ne plus être dépendants d’un automate mais d’avoir un panel de réactifs. » Ils envoient aussi leurs prélèvements dans d’autres laboratoires, « mais ça augmente les délais pour les résultats ».

En amont, ils tentent de prioriser les cas suspects et les cas contacts. « On n’arrive pas à trier les gens. On essaie au standard, on leur demande s’ils ont des symptômes, mais c’est difficile par téléphone, d’autant plus que ceux qui veulent absolument un test peuvent mentir. »

La prise de rendez-vous est devenue très compliquée. « À Paris, il faut un central téléphonique », exige François Blanchecotte, président du Syndicat national des biologistes. « C’est ce qu’on a fait dans les Hauts-de-France avec les étudiants en médecine, il y a un numéro unique avec des dizaines de standards », pour être orienté vers un laboratoire le plus rapidement possible.

Ce sera chose faite d’ici quelques jours, nous précise l’ARS d’Île-de-France, qui prévoit « une plate-forme téléphonique qui garantira aux médecins de trouver un rendez-vous rapide pour leurs patients symptomatiques ou cas contacts, de manière à ce que ces patients soient testés sans délais ». Un observatoire régional des difficultés d’accès aux tests est également sur la table.

En attendant, les laboratoires s’organisent, avec l’ouverture de plages sans rendez-vous, des laboratoires entièrement dédiés aux prélèvements PCR, de 7 heures à 20 heures. Mais il faut parfois attendre plusieurs jours pour obtenir ses résultats. Dans son dernier avis, rendu au gouvernement le 27 juillet, le conseil scientifique évoque aussi cette « difficulté émergente à l’accès au “testing”, non pas par un défaut de capacité de tests, mais du fait de difficultés d’organisation, d’un manque d’attractivité et d’un nombre de centres de prélèvements insuffisant, entraînant parfois des délais incompatibles avec une prise en charge adaptée et rapide ».

Pour les scientifiques qui éclairent le gouvernement, « il est indispensable de préciser les stratégies de mise en œuvre pratique et d’utilisation des tests en profitant de la période estivale de plus faible circulation du virus précédant la très probable seconde vague épidémique ». En clair, les autorités de santé doivent « définir, clarifier et présenter une nouvelle doctrine ».

Pendant ce temps, le virus continue de circuler. Le nombre de nouveaux cas est au plus haut depuis la fin mai, en augmentation pour la septième semaine consécutive – 8 203 cas positifs. Et plus les délais s’allongent, plus l’investigation des cas contacts est laborieuse.

En Île-de-France, seul le Val-d’Oise était classé « en vulnérabilité modérée » la semaine dernière, avec un taux d’incidence de 20 cas pour 100 000 habitants. Paris, la Seine-Saint-Denis, les Hauts-de-Seine et le Val-de-Marne ont désormais rejoint cette catégorie. De fait, les taux d’incidence y ont fortement augmenté, passant de 17,5 à 30,5 cas pour 100 000 habitants à Paris en une semaine.

Le SARS-CoV-2 continue de circuler à un niveau encore plus élevé en outre-mer – 154 pour 100 000 en Guyane. En métropole, la Mayenne est le département avec le taux le plus élevé (47,8 cas pour 100 000). Cela dure depuis plusieurs semaines, c’est ce qui a déclenché une campagne de dépistage massif, mi-juillet.

« D’emblée, on a été un certain nombre, dont les médecins généralistes, à s’opposer à cette mesure, rappelle Luc Duquesnel, médecin généraliste en Mayenne et président de la branche généralistes de la Confédération des syndicats médicaux français. On pensait qu’on n’était pas en capacité de le réaliser, ce qui s’est avéré exact puisqu’il n’y a même pas un tiers de la population qui a été testée. »

Comme en Île-de-France, on a pu voir des files d’attente devant les laboratoires et les centres de dépistage. « On a été complètement embolisés, si bien que, dans nos cabinets, pour un patient symptomatique suspect Covid, les délais pour un rendez-vous allaient parfois jusqu’à cinq jours. J’ai eu le cas d’une patiente suspecte testée le dimanche 26 juillet, on n’avait toujours pas les résultats à J + 8 », déplore le généraliste.

Pour lui aussi, il faut prioriser l’accès au test. D’autant plus que l’ARS a fermé les huit centres Covid régulés par les généralistes le 10 juillet ! « Tout patient symptomatique doit être dépisté dans la journée et avoir les résultats le lendemain, et là on ne se fera pas distancer par le virus, comme c’est le cas depuis plus d’un mois. »

Pour casser les chaînes de transmission les plus actives, Luc Duquesnel préconise, d’autre part, de « tester et retester » près des clusters, comme « au début, avec des drives près des abattoirs », mais le faire aussi dans les foyers de jeunes travailleurs ou les établissements accueillant des personnes handicapées, où la distanciation est plus difficile à maintenir.

Et le médecin de rappeler qu’avec toutes ces personnes à tester – et, par conséquent, les délais qui augmentent – les délégués de l’Assurance maladie chargés de l’investigation des cas contacts ont été complètement débordés.

Quid des personnes asymptomatiques – un cas positif sur deux en France – que le dépistage massif permet donc de repérer ? « Si on les a trouvées, c’est peut-être parce qu’on est venu à leur rencontre, sur des centres de loisirs ou des événements festifs sur le bord de mer, nuance François Blanchecotte. Il faut peut-être aujourd’hui avoir non pas une stratégie de dépistage à grande échelle, […] mais peut-être aller là où le risque est le plus grand », suggère le président du Syndicat national des biologistes.

D’après le dernier point épidémiologique de Santé publique France, 580 000 tests ont été effectués la semaine dernière. C’est deux fois plus que les 250 000 à la levée du confinement, mais moins que les 700 000 escomptés dans la stratégie du « tester-tracer-isoler » de l’exécutif.

« On franchira la barre des 700 000, mais l’objectif, ce n’est pas le nombre de tests absolu. La vraie question, c’est : est-ce qu’on trouve des positifs ? estime François Blanchecotte. Est-ce qu’il ne vaut pas mieux s’intéresser aux lieux de contamination, parce que c’est là qu’on va trouver des cas positifs ? »

La semaine dernière, le taux de positivité national restait faible (1,6 %), loin des 3 % de la semaine précédant le déconfinement. « On peut se demander à quoi ça sert de faire 1 000 tests pour détecter un ou deux cas positifs, questionne Kim Nguyen. Tester tout le monde pour dépister le portage asymptomatique, ça a un sens médical si et seulement si la capacité suit. Sinon, on risque d’étouffer, on se rend aveugle et on n’arrive pas à voir l’émergence de clusters, qui démarrent à bas bruit. »

Depuis le 9 mai, 609 clusters – hors Ehpad et milieu familial restreint – ont été signalés, dont 91 rien que la semaine dernière.