Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - A Marseille, l’hôpital guette et s’inquiète

Août 2020, par Info santé sécu social

Par Samantha Rouchard, à Marseille — 23 août 2020

Depuis le 14 août, Marseille est passée en « zone active de circulation du virus ». Les cas de contamination augmentent ces dernières semaines (9 % des personnes testées sont positives), majoritairement chez les 20-40 ans. Selon les chiffres publiés par l’Agence régionale de santé (ARS), 1 137 personnes ont été testées positives au 18 août en région Paca (1). Mais contrairement au printemps, cela ne s’est pas traduit par des hospitalisations en nombre. Est-ce lié à une classe d’âge le plus souvent asymptomatique, une prise en charge plus précoce ou à un virus qui serait devenu moins virulent ?

Tsunami
Du côté de l’ARS on reste prudent car, en quelques jours, les tendances ont déjà évolué. « Ce qui se dessine ces jours-ci, c’est un débord des contaminations sur la classe d’âge des 40-60, et des plus de 80 ans, une augmentation des consultations de ville pour motif Covid et plus d’hospitalisations en service dédié et en réanimation », explique Sébastien Debeaumont, directeur général adjoint de l’ARS Paca. Et si dans les médias, le Pr Didier Raoult se veut rassurant, considérant que l’inquiétude actuelle autour du Covid « n’est pas justifiée », dans les services de réanimation marseillais où le personnel soignant a vécu la première vague comme un tsunami, on reste mesuré. « On remarque une réelle augmentation de population Covid qui passe par les urgences. Et là où on comptait quatre patients en réanimation hier, on est à six au moment où je vous parle. Ce qui inquiète, c’est que le nombre d’hospitalisés - même s’il reste bas - a quand même doublé en dix jours », note le Pr Laurent Papazian, médecin et chef du service de réanimation de l’hôpital Nord. « Il est trop tôt pour affirmer quoi que ce soit. Et il faut faire attention à ce qui est dit au grand public, notamment dans une ville comme Marseille où les gestes barrières sont très peu appliqués », poursuit-il. En avril, son service était rempli bien au-delà de ses capacités, avec en plus une unité Covid dédiée, soit au total une soixantaine de lits occupés. En tout, dans les Bouches-du-Rhône, 204 personnes étaient hospitalisées en raison du coronavirus à la date du 18 août, indique l’ARS.

Organisation
A l’hôpital de la Timone, « on se prépare à recevoir la deuxième vague qui commence à pointer le bout de son nez », prévient le Dr Julien Carvelli, médecin en réanimation. Le service enregistre sur les quinze derniers jours une dizaine de malades Covid pris en charge sur seize lits disponibles, dont la typologie reste la même qu’en avril : 50-70 ans avec des facteurs à risque. Lors de la première vague, le taux de mortalité des malades Covid en réanimation était de 20 % à Marseille. « Sur les patients reçus actuellement dans le service, aucun décès n’est à déplorer, on enregistre aussi des sorties, poursuit-il. On a l’impression que la maladie n’est pas tout à fait la même que pendant la première vague, les patients semblent moins sévèrement atteints, et on part sur des séjours d’une semaine contre trois auparavant. Mais est-ce que ça va rester stable ? On ne le sait pas », note son collègue le Dr Jérémy Bourenne.

Pour les deux médecins, des incertitudes persistent. Depuis début juillet, ils enregistrent une recrudescence de patients non Covid mais à pathologies lourdes au sein du service, et ils se demandent comment, en termes d’organisation, de personnel et de matériel, il sera possible de les faire cohabiter avec des patients touchés par le coronavirus… Pour eux, le point positif, c’est qu’aujourd’hui ils connaissent mieux la maladie dans sa forme grave.

Une mutation et beaucoup d’interrogations
Les deux semaines qui arrivent vont être déterminantes. Les médecins marseillais ont déjà les yeux rivés sur la rentrée. Pour le Pr Papazian, si la deuxième vague devait ressembler à la première, il ne donne pas cher du personnel soignant qui a à peine eu le temps de se remettre. « Psychologiquement et physiquement, on n’est pas du tout dans les mêmes dispositions qu’au mois de mars, souligne-t-il. On sent l’épuisement, l’absentéisme et la lassitude. » Et de prévenir : « Si on devait "repartir", ça ne serait probablement pas avec les mêmes forces. »

Samantha Rouchard à Marseille