Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde - Covid-19 : « L’enjeu porte sur le bon usage du masque »

Août 2020, par Info santé sécu social

Selon Jocelyn Raude, chercheur à l’Ecole des hautes études en santé publique, le débat public se focalise à tort sur les 3 % à 5 % de Français récalcitrants.

Propos recueillis par Faustine Vincent
Publié le 25 août 2020

Jocelyn Raude, chercheur en psychologie sociale à l’Ecole des hautes études en santé publique, est associé à plusieurs programmes de recherche nationaux et internationaux sur les comportements des Français face à l’épidémie de Covid-19. Il dévoile au Monde le portrait-robot des 3 % à 5 % d’antimasque et insiste sur la « marge de progression » liée aux mauvais usages.

Que nous apprennent vos enquêtes sur le profil des antimasque ?
Nous n’utilisons pas cette expression parce que cela préjuge que ces personnes y sont opposées, alors que leurs motivations peuvent être très différentes : certaines dénoncent le coût économique des masques, d’autres doutent de leur efficacité… Nous préférons parler de « non-utilisateurs ». Les données recueillies, notamment par Santé Publique France, permettent de dresser leur portrait-robot.

Tout d’abord, il s’agit d’une petite minorité : 3 % à 5 % de la population. Contrairement à ce qu’on entend beaucoup ces dernières semaines, ce ne sont pas forcément des jeunes, mais des personnes de tout âge, jusqu’à 65 ans. Au-delà, la plupart sont largement favorables aux masques.

Ce sont surtout des hommes (deux fois plus nombreux que les femmes) issus de catégories défavorisées (ceux qui ont un niveau de diplôme inférieur au bac sont deux fois plus nombreux). Ils sont également très défiants envers les institutions, pensent que la maladie n’est pas grave, ne se sentent pas vulnérables et sont fatalistes, avec la conviction qu’ils ne peuvent pas modifier le cours de l’épidémie. Ce portrait est cohérent, car il coïncide avec celui établi dans d’autres études de santé publique sur les problèmes de prévention.

Comment expliquez-vous que cette minorité suscite tant de crispations ?
C’est une singularité française. La généralisation de l’obligation du port du masque à l’extérieur – une mesure qui divise les experts scientifiques eux-mêmes − a entraîné ce raidissement. Mais je suis surpris que le débat public se focalise sur ces 3 % à 5 % de Français, alors que c’est un taux résiduel classique.

Il y a un risque politique à stigmatiser cette partie de la population, parce qu’elle peut se transformer en minorité active. On l’a vu avec la vaccination : jusque dans les années 2000, il y avait consensus, puis le débat s’est crispé lorsque des acteurs politiques se sont positionnés sur cette question.

Ma grande inquiétude, c’est que la question des masques devienne politique. Car, dès lors, les arguments ne sont plus scientifiques mais idéologiques, et la santé publique devient un symbole de la façon dont on soutient ou non le gouvernement en place.

La réaction des autorités vous semble-t-elle adéquate ?
J’ai bien peur que l’on fasse fausse route. On se focalise sur la non-utilisation du masque, qui reste très marginale, alors que l’enjeu porte sur les 95 % des Français qui mettent le masque, mais pas toujours de manière appropriée − ce qui diminue son efficacité. Avec ces utilisateurs, qui font preuve de civisme, il y a une vraie marge de progression pour qu’ils aient un bon usage de cet outil. Cela demande de la pédagogie, car porter le masque ne suffit pas.

Quels sont ces mauvais usages ?

Les enquêtes montrent qu’un tiers des utilisateurs l’enlèvent pour discuter ou téléphoner. Or, si vous êtes dans le bus ou le train, vous envoyez vos particules dans l’atmosphère. Nous avons également constaté qu’une part non négligeable de Français placent leur masque sous le nez, tandis que près des deux tiers déclarent le manipuler, que ce soit pour des raisons d’inconfort ou pour le réajuster, et moins de la moitié se désinfectent les mains avant de le poser.

Quel regard portez-vous sur la façon dont les Français se sont approprié cet objet ? « Depuis le début de l’épidémie, en mars, on est passé de 75 % de non-utilisation à 4 % fin juillet »

C’est le changement le plus massif et rapide qu’on ait observé ces cinquante dernières années sur des mesures de prévention publique, et pourtant personne ne le dit. Depuis le début de l’épidémie, en mars, on est passé de 75 % de non-utilisation (surtout parce que les masques n’étaient pas disponibles) à 4 % fin juillet. C’est impressionnant : en cinq mois, les Français se sont approprié le masque de façon massive. Pour imposer la ceinture de sécurité partout, il a fallu presque trente ans !

Depuis le début de l’épidémie, une grande majorité de Français jugent « très efficace » le port du masque, alors que le discours des pouvoirs publics sur le sujet a été quelque peu erratique. Preuve que les Français ont été coopératifs, les 3 % à 5 % de non-utilisateurs est un taux comparable à celui de Hongkong au plus fort de l’épidémie, où il était de 2 %, alors que les Chinois portent, eux, le masque depuis des décennies.

Comment expliquez-vous ce changement si rapide ?

Le moteur le plus puissant d’un changement de comportement, c’est la peur. Mais ce sentiment finit toujours par s’atténuer, avec le risque que la population se laisse gagner par la lassitude. Il faudra donc remplacer ce moteur émotionnel par autre chose. Sortir du registre du dénigrement en valorisant l’altruisme et la responsabilité de chacun peut être une bonne motivation.

Faustine Vincent