Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - « Le masque à l’école va mettre les enfants face à des difficultés d’interprétation »

Août 2020, par Info santé sécu social

INTERVIEW
Par Johan Maviert — 26 août 2020

De la maternelle au lycée, les enseignants devront porter le masque en permanence. Ce qui pourrait compromettre l’apprentissage du langage pour les plus jeunes élèves.

Le flou avait plané jusqu’à ce mercredi concernant le port du masque pour les enseignants en école maternelle. Jean-Michel Blanquer a finalement expliqué qu’il sera – comme prévu – obligatoire pour les élèves de plus de 11 ans, mais aussi pour tous les professeurs « lorsque les règles de distanciation ne peuvent être respectées dans les espaces clos ». De la maternelle au lycée, donc. Une communication masquée entre profs et élèves qui pourrait compromettre l’apprentissage du langage pour les enfants en bas âge.

Etat des lieux avec Sylvie Plane, professeure émérite en sciences du langage à l’université de la Sorbonne.

Quels risques représente le port du masque pour l’apprentissage de la parole chez les élèves de maternelle et d’élémentaire ?
La communication se fait par un message verbal, mais aussi par toute une série de signes qui donnent des instructions pour interpréter ce message. Ces indications sont données par les mimiques faciales, l’attitude, l’intonation. Dans le cas où l’enseignant porte un masque, cette gestuelle, pourtant indispensable, est impossible. Les intonations sont elles aussi plus ou moins uniformisées ; les sons plus difficiles à différencier. Entre les sons « a » et « un », il est parfois malaisé de faire la différence. Là, ça sera encore plus difficile. Il y aura des risques que des enfants discriminent mal les sons. Le message devient donc plus difficile à comprendre. C’est un peu comme les messages téléphoniques : il manque une partie des informations que notre corps donne en direct. Ça va mettre les enfants face à des difficultés d’interprétation.

Des études ont-elles été menées concernant l’impact du masque sur l’apprentissage du langage ?
Pas à ma connaissance. Le cas ne s’était pas posé avant. En revanche, il y a des études sur les signaux corporels. On sait que les enfants captent des informations de cette façon, ce qui accompagne l’apprentissage du langage. En revanche, il n’y a pas d’étude sur ce qu’il se passe quand les signaux sont amoindris. C’est une situation nouvelle et nous n’avons pas de précédent pour faire des comparaisons. Ce n’est pas dramatique si ça dure quelques mois. Mais il ne faudrait pas que la situation dure trop longtemps. Il y a un dosage à faire entre la sécurité des enfants et de leur entourage, et de bonnes conditions d’apprentissages.

La tâche des enseignants va-t-elle se révéler plus délicate ?
Ils vont devoir davantage accentuer les sons, être encore plus clairs dans leur diction que d’habitude. La relation entre élèves et enseignant va se compliquer. Avec des petits effrayés qui doivent voir le visage du maître pour être rassuré, les professeurs des écoles vont devoir se surpasser. On l’expérimente tous : si on croise quelqu’un que l’on connaît dans la rue et qu’il porte un masque, on risque de ne pas le reconnaître.

Les difficultés seront-elles différentes selon les niveaux ?

L’apprentissage du langage se fait pendant les trois premières années de la vie. Comprendre que des bruits permettent aux humains de communiquer entre eux est un travail cognitif extraordinaire. Les enfants interprètent les signes vocaux en s’aidant du contexte et des informations transmises par les mimiques faciales. Pour les tout-petits, en particulier en petite section de maternelle, si l’adulte de référence porte un masque opaque, ça va devenir très compliqué. Ils apprennent beaucoup en écoutant et en faisant des essais. Pour les élèves de CP qui doivent travailler sur les sons, ils risquent de rencontrer des difficultés lors de leur apprentissage de la correspondance entre ce qui est dit et ce que l’on entend. Certains sons sont proches et demandent à être finement différenciés. Ça ne veut pas dire qu’on ne pourra pas communiquer. Mais il faudra une plus grande attention de la part des enfants. En revanche, pour des élèves de cours moyens (CM1 et CM2), ça ne va pas changer grand-chose. Ils savent parler et lire. Ils ont surtout à apprendre à bien maîtriser la langue qu’ils parlent.

Y aurait-il un risque de voir des difficultés s’installer sur le long terme ?
Je ne le pense pas. Il y a des pays, comme le Japon, où le port du masque est extrêmement courant. Pourtant, je n’ai pas entendu qu’il y avait des troubles du langage particulièrement répandus. La raison principale, c’est qu’une grande partie des apprentissages linguistiques se font dans les familles, où les parents ne portent pas le masque avec leurs enfants.

Selon vous, existerait-il une solution envisageable, tels les masques transparents en plastique ?
Je pense qu’il n’existe aucune bonne solution. Quant au masque transparent, sur le plan sanitaire, je ne sais pas si c’est une bonne idée, mais ça permettrait aux enfants de voir le visage de leur enseignant. Reste à voir comment les tout-petits réagiront à cela. En tout cas, ils commencent à avoir l’habitude de voir des gens masqués.

Johan Maviert