Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - Port du masque à l’extérieur : le gouvernement punit les zones rouges

Août 2020, par Info santé sécu social

28 AOÛT 2020 PAR CAROLINE COQ-CHODORGE

Le premier ministre a annoncé la généralisation du port du masque dans l’espace public à Paris, après Marseille ou Nice. Dans les lieux peu fréquentés, le risque de transmission est pourtant infime. En imposant de manière autoritaire des mesures injustifiées, le gouvernement risque de voir grossir les réfractaires à sa politique de santé publique.

Chaque fois, c’est avec le masque que le gouvernement trébuche. Une première fois en n’anticipant pas le besoin en masques, alors qu’une pandémie d’un nouveau virus respiratoire prenait corps en Chine. Une deuxième fois, au plus fort de l’épidémie en France, en assurant la population de son inutilité dans la vie quotidienne.

Aujourd’hui en l’imposant uniformément dans l’espace public des zones urbaines, lorsque le virus circule activement, contre tout bon sens et toute évidence scientifique.

Il faut « vivre avec le virus », n’a cessé de répéter cette semaine le premier ministre Jean Castex. Il a en réalité soufflé le chaud puis le froid, usant d’une vieille ficelle d’instituteur tentant d’imprimer son autorité à une classe indisciplinée. Mardi, il était volontariste et rassurant sur France Inter, insistant sur sa priorité numéro un, la relance de l’économie, invitant même la population à se détendre, en allant au théâtre ou au cinéma.

Mercredi, le ministre de l’éducation nationale a, lui, promis aux Français une rentrée scolaire « normale » .

Mais, jeudi, lors de sa conférence de presse de rentrée, le premier ministre a fait tomber le couperet sur Paris et sa petite couronne : après Marseille et Nice, le masque y devient obligatoire à l’extérieur, sous peine d’une amende de 135 euros.

La mesure a été prise dans la plus grande confusion. Au cours de la conférence de presse, Jean Castex a d’abord évoqué une « réflexion » avant de présenter la décision comme acquise.

Dans Paris et les trois départements de la petite couronne (Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne, Hauts-de-Seine), les préfets ont fait ensuite très vite paraître un communiqué commun : le port du masque devient obligatoire « dans la totalité de l’espace public » pour tous les piétons, mais aussi les cyclistes, les usagers de scooter ou de trottinette.

La mairie de Paris s’est émue de la mesure pour les cyclistes et les joggeurs. La préfecture de police a rétropédalé ce vendredi matin : les cyclistes et les joggeurs peuvent se démasquer, parce qu’ils pratiquent une activité physique.

Le gouvernement fait une fois encore la démonstration de sa conception verticale de l’exercice du pouvoir : il décide, les préfets appliquent.

La situation sanitaire est sans conteste redevenue périlleuse en France. Le gouvernement vient de classer 21 départements en zone rouge, suivant un ensemble de critères, allant du taux de tests positifs au nombre de cas pour 100 000 habitants. Sans surprise, les zones urbaines prédominent : en premier lieu, la région parisienne et les Bouches-du-Rhône. L’incidence est de 114 cas pour 100 000 habitants à Paris, 145 pour 100 000 dans les Bouches-du-Rhône et au-delà à Marseille.

Malgré l’augmentation forte du nombre de tests réalisés – plus de 700 000 la semaine dernière –, la part de tests positifs dépasse désormais 7 % à Paris et dans sa petite couronne, 9 % dans les Bouches-du-Rhône. Au début de l’été, ce taux avoisinait 1 %.

Le nombre de personnes hospitalisées pour un Covid-19 a désormais cessé de baisser : il était autour de 4 500 au niveau national, dont 350 en réanimation. La dynamique du virus est connue : il infuse presque silencieusement dans la population, avant d’atteindre et de frapper les plus fragiles.

Il ne faut donc pas attendre un afflux de cas graves à l’hôpital pour contenir l’épidémie, car elle pourrait redevenir incontrôlable et nous imposer de nouvelles mesures liberticides dont personne ne veut.

Mais les mesures contraignantes qui sont aujourd’hui prises doivent être impérativement comprises, et concertées. Or il n’y a aucune justification scientifique au port du masque systématique à l’extérieur.

En France, le Conseil scientifique ne s’est pas prononcé en faveur d’une telle mesure, pas plus que le Haut Conseil de la santé publique. L’Organisation mondiale de la santé conseille le port du masque lorsque le virus circule activement « spécialement dans les lieux où la distance sociale ne peut pas être respectée ». Elle donne comme exemples les transports publics, les bureaux, les magasins, mais aussi les lieux très fréquentés à l’extérieur.

Une étude vient d’être opportunément publiée le 25 août dans le British medical journal (BMJ) par des médecins et des chercheurs anglais. Elle confirme ce que chacun peut comprendre intuitivement : le port du masque s’impose dans les lieux clos, ou à l’extérieur lorsqu’une distance d’un à deux mètres ne peut pas être respectée. C’était d’ailleurs le sens des décisions des municipalités confrontées au virus cet été, qui ont imposé le masque sur les marchés ou dans les rues très fréquentées.

L’étude du BMJ s’appuie sur la compréhension de la production des gouttelettes et d’aérosols. Sans masque, si une personne éternue ou tousse très fortement, elles peuvent se répandre jusqu’à 1 à 2 mètres, voire jusqu’à 8 mètres. Mais à l’extérieur, ou dans un lieu très ventilé, gouttelettes et aérosols se diluent bien plus rapidement qu’à l’intérieur, réduisant fortement le risque de transmission.

Les médecins s’appuient aussi sur les descriptions de contaminations collectives par le Covid-19. Elles sont nombreuses dans les abattoirs, où le personnel travaille dans un lieu clos, de manière rapprochée, dans une atmosphère bruyante, qui les contraint à parler très fort. Des contaminations ont également été fréquemment décrites dans des salles de fitness, des centres d’appels téléphoniques, des églises ou au sein de chorales.

Le fait de parler, et plus encore de chanter, de parler fort ou d’exhaler dans l’effort est donc un facteur aggravant de transmission, expliquent les auteurs. Ils mettent au passage en garde les joggeurs, en leur conseillant de maintenir leurs distances.

Dans une véritable démarche de santé publique, ces chercheurs ont établi ce tableau très simple à lire, qui est aujourd’hui largement partagé dans le monde, via les réseaux sociaux.

Ils estiment que le risque de transmission est faible sans masque, à l’extérieur, dans des endroits peu fréquentés où les contacts sont courts et silencieux. Même dans les grandes métropoles, ces endroits sont nombreux.

Le message paraît simple à passer. Une fois encore, le gouvernement français ne fait pas le choix de la confiance, à l’image de la gestion du confinement, quand il a été le seul grand pays démocratique à imposer des autorisations de sortie à sa population.

Le storytelling du gouvernement sur la rentrée « normale » ne fait pas illusion : elle est anxiogène, presque étouffante, en particulier pour les urbains, qui sont les plus menacés par le virus. Le port du masque généralisé en extérieur ruine les quelques moments de respiration qu’ils peuvent trouver : le jogging ou la marche en plein air, le vélo pour échapper aux transports en commun, la sortie au parc.

Une frange de la population rejette aujourd’hui le masque, vécu comme un musellement. En prenant de telles mesures aussi irrationnelles qu’inutilement contraignantes, il risque de voir le nombre des réfractaires grossir, ce qui pourrait ruiner au final les efforts collectifs accomplis par la population depuis le printemps, au nom de la santé publique.