Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - Les enjeux d’une rentrée scolaire sous Covid

Août 2020, par Info santé sécu social

30 AOÛT 2020 PAR CAROLINE COQ-CHODORGE

Comme la plupart des pays européens, la France fait le choix de rouvrir pleinement ses écoles. Pour la santé des enfants, la déscolarisation est bien plus dangereuse que le coronavirus. Mais les écoles peuvent-elles accélérer sa circulation ? Les adultes qui y travaillent sont-ils surexposés ?

Entre le principe de précaution face au virus et l’impératif de scolarisation des enfants, le gouvernement a choisi. Certes, le port du masque est imposé à tous les enseignants et à tous les enfants à partir du collège. Mais la distance physique, levée au mois de juin, n’est pas réinstaurée, alors que 21 départements sont classés en zone rouge. Le brassage des enfants doit être évité mais n’est pas proscrit. Les enfants vont donc rentrer, à 20, 25, parfois 30 ou 35 par classe, au coude à coude, au moins dans un premier temps.

Lors de sa conférence de rentrée mercredi dernier, le ministre de l’éducation, Jean-Michel Blanquer, s’est même agacé des trop nombreuses questions sur la situation sanitaire : il ne veut pas voir la pandémie de coronavirus « écraser » les autres sujets. Pour les syndicats, au contraire, « le ministre ne prend pas la mesure de la situation » (notre article ici). Mais la réouverture des écoles à effectifs pleins, au moins dans un premier temps, ne fait pas débat.
La France fait ainsi un choix de santé publique : la priorité est donnée au retour des enfants à l’école, à leur éducation et à leur socialisation. Ce choix est largement partagé en Europe, où 80 % des pays ont fermé leurs écoles au cours du printemps. Le constat est unanime : la déscolarisation a creusé les inégalités sociales et les médecins ont constaté une hausse des problèmes de santé de mentale et des faits de violence domestique contre les enfants, selon le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies.

Dans ses dernières propositions publiées le 26 août, la Société française de pédiatrie insiste : « Les bénéfices éducatifs et sociaux apportés par l’école sont très supérieurs aux risques d’une éventuelle contamination Covid-19 de l’enfant en milieu scolaire. »

L’inquiétude soulevée par une petite hausse des très rares syndromes de Kawazaki chez les enfants, au pic de l’épidémie, est désormais levée. Toutes les études convergent. Selon le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies, moins de 5 % des cas de Covid-19 concernent des enfants (de moins de 18 ans). Une des explications est que la plupart des enfants ne développent pas de symptômes : le coronavirus passe chez eux inaperçu.

Parmi les enfants diagnostiqués, la part des formes graves exigeant une hospitalisation est très faible, de quelques pour-cent, augmentant très légèrement avec l’âge. En France, le taux de létalité chez les moins de 20 ans est de 0,001 %, selon une selon une étude française parue dans la revue Science. Moins d’un enfant infecté sur 100 000 meurt du coronavirus, un risque comparable à ceux pris dans la vie quotidienne.

La santé des enfants n’est donc pas en question. Le risque est ailleurs, à la fois collectif et individuel. Au niveau collectif, peut-on craindre une accélération de la circulation du virus avec la réouverture des écoles ? Et individuellement, les adultes qui travaillent dans les écoles se surexposent-ils au coronavirus ?

Les études sur la circulation du nouveau coronavirus dans un contexte scolaire sont encore en nombre limité. Mais un faisceau d’hypothèses converge : plus les enfants sont jeunes et moins ils sont susceptibles de contracter et de transmettre le virus.

« Les enquêtes épidémiologiques dans les écoles suggèrent que les transmissions d’enfant à enfant sont rares […], en particulier dans les écoles maternelles et primaires », selon le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies. Autrement dit, ce sont bien souvent les adultes qui transmettent le virus aux enfants, en particulier aux plus jeunes.

C’est ce que suggèrent les deux études réalisées par l’Institut Pasteur au printemps à Crépy-en-Valois, dans l’Oise. L’Oise a été le premier département touché par l’épidémie, dès la fin du mois de février, et l’enquête épidémiologique a remonté la chaîne de contaminations jusqu’au lycée de la ville.

L’Institut Pasteur y a conduit une étude a posteriori (notre article ici) : début avril, des tests sérologiques ont été proposés au personnel et aux élèves du lycée, ainsi qu’à leur famille, pour déterminer s’ils ont rencontré le virus et développé des anticorps. Au sein du lycée, 40,9 % des personnes testées se sont révélées positives aux anticorps du coronavirus. Dans le détail, le personnel non enseignant est le plus touché (59,3 % sont positifs), devant les professeurs (43,4 %) et les élèves (38,3 %). Par ailleurs, les élèves ont peu contaminé leur famille : seules 10 % des personnes testées sont positives.

La deuxième étude concerne six écoles primaires de la ville, suivant la même méthodologie. Fin avril, 1 047 enfants et 51 professeurs ont accepté de réaliser des tests sérologiques. 8,8 % des enfants, 7,1 % des enseignants et 11,9 % des parents se sont révélés positifs. Pour les auteurs, il n’y a pas de preuve de transmission par les enfants à l’intérieur de l’école. La plus forte probabilité est donc qu’ils aient rencontré le virus dans le cadre familial : 61 % des parents des enfants positifs l’étaient aussi.

Il faut rappeler qu’en février et en mars, quand le virus a circulé dans ces établissements scolaires de l’Oise, il n’existait aucune mesure de protection des enfants comme des adultes.

Ce n’était pas le cas dans une colonie de vacances de l’État de Géorgie, aux États-Unis, où un très impressionnant cluster (foyer infectieux) s’est déclaré. Il a été décrit par le département de la santé américain. À la fin du mois de juin, 363 enfants âgés de 6 à 19 ans, 123 adultes encadrants et 138 stagiaires ont participé à un camp d’été de six jours. Tous avaient dû fournir un test PCR négatif avant de rejoindre le camp de vacances. Les adultes encadrants portaient un masque.

Mais les autres mesures de prévention n’étaient pas respectées. Les dortoirs accueillaient 15 personnes en moyenne et n’étaient pas aérés. La distance physique n’a pas été appliquée et tous les groupes se sont mélangés. Les jeunes ont beaucoup chanté.

Au 3e jour du camp, un adolescent a commencé à se sentir mal. Le 4e jour, un adulte a été testé positif et le camp de vacances a été fermé. En définitive, 44 % des personnes présentes pendant le camp d’été ont été testées positives au coronavirus, dont 51 % des 6-10 ans, 44 % des 11-17 ans et 33 % des 18-21 ans, sans doute partiellement protégés par le masque.

En France, un cluster s’est déclaré à la fin de l’année scolaire au sein de l’école primaire Anatole-France de Saint-Ouen, en Seine-Saint-Denis. Le protocole sanitaire était semblable à celui appliqué cette rentrée : le port du masque pour les adultes, un brassage entre groupes d’enfants limité, mais pas de distance physique dans des classes pleines. « Tout a été parfaitement respecté », assure le maire, Karim Bouamrane.

Le port du masque dès 6 ans ?
Le 6 juillet, deux premiers cas chez des enseignants ont été déclarés, très vite suivis par des cas parmi les élèves. 141 personnes ont été testées. Six adultes et 22 enfants se sont révélés positifs. En proportion, les adultes ont été beaucoup plus touchés : six cas positifs parmi 14 adultes testés, contre 22 parmi 127 enfants.

La circulation du virus était alors faible à Saint-Ouen : « On a réalisé un dépistage massif sur la ville. 2 800 tests ont été pratiqués, un seul est revenu positif », rapporte le maire de Saint-Ouen.

Ce cluster est apparu après la fin de l’année scolaire, l’école n’a donc pas été fermée. Mais l’Agence régionale de santé d’Île-de-France explique sa manière de travailler pour décider, ou non, d’une fermeture de classe ou d’une école tout entière. « C’est au cas par cas. On considère qu’il y a un cluster à partir de trois cas diagnostiqués positifs dans un délai de sept jours. On commence par étudier la manière dont les enfants ou les adultes vivent. S’il y a un lien entre eux – par exemple un enseignant et deux élèves d’une même classe –, on décide de fermer une seule classe. Tous les membres de la classe sont placés en quarantaine et testés sept jours après. Mais si plusieurs cas surviennent sans lien évident entre eux, on est alors contraints de fermer toute l’école. »

De son côté, la Société française de pédiatrie invite dans ses dernières recommandations à « limiter l’absentéisme des enfants » : « Un dépistage de l’ensemble d’une classe ne se justifie que si un enseignant est Covid+ ou si deux enfants de la classe sont symptomatiques et Covid+. » « Une fermeture de classe ne se justifie que si au moins trois enfants sont infectés Covid+ dans la même classe », écrivent également les pédiatres.

Mais il existe des voix dissonantes parmi les médecins. Un collectif a fait paraître une tribune dans Le Parisien. Il réclame au gouvernement français quatre mesures supplémentaires : le port du masque dès l’école primaire et la distribution de masques gratuits à tous les élèves ; une aération plus systématique ; un allègement des classes dans les zones rouges, où alterneraient des cours en présentiel et des cours à distance ; un suivi rigoureux des cas positifs au niveau national.

L’Agence de santé publique anglaise (Public Health England) a publié, le 12 août, une importante étude sur la transmission du SARS-CoV-2 dans les établissements scolaires anglais à partir du 1er juin, date à laquelle ils ont rouvert progressivement, la plupart du temps partiellement. Jusqu’au 31 juillet, l’agence a recensé 198 cas dans un contexte scolaire, 70 chez des enfants et 128 chez des adultes.

Les Anglais constatent eux aussi que les cas de coronavirus ont touché bien plus souvent les adultes. Public Health England insiste donc sur les mesures de prévention à leur égard. Ils constatent surtout que les cas de coronavirus, peu fréquents juste après le confinement, ont ensuite augmenté. Pour eux, « il y a une forte corrélation entre l’apparition de clusters et l’incidence régionale du coronavirus ».

C’est aussi le principal message d’un éditorial paru dans le New England Journal of Medicine, coécrit par l’épidémiologiste américain Marc Lipsitch : la meilleure façon de protéger les écoles est de limiter la circulation du virus dans le reste de la société.

Or, la circulation du virus s’accélère en France, Santé publique France évoquant même une « progression exponentielle » du nombre de cas positifs la semaine dernière : 26 890 cas, en hausse de 54 % par rapport à la semaine précédente. La courbe des nouvelles hospitalisations, y compris en réanimation, longtemps à un niveau très faible, est désormais sur une légère pente ascendante.

L’île de la Réunion donne un avant-goût de la rentrée scolaire en métropole. Les écoles y sont rouvertes depuis le 17 août. Depuis, des classes ou des écoles ont été refermées, par dizaines, en raison de suspicions ou de cas avérés. À Saint-Denis, chef-lieu de l’île, 16 écoles étaient concernées par des fermetures de classes : deux écoles primaires et 13 collèges ou lycées. Un élément rassurant cependant : aucun cluster n’a jusqu’ici était repéré dans le contexte scolaire, tous les cas restant isolés.

La Réunion n’est pas un département classé en rouge par le gouvernement : l’incidence y est de 48,7 cas pour 100 000 habitants, quand elle s’envole à Paris ou dans les Bouches-du-Rhône, à 114 et 145 cas respectivement pour 100 000 habitants.

En de nombreux endroits du territoire, la rentrée scolaire en France n’aura rien de « normal », la méthode Coué de Jean-Michel Blanquer n’y changera rien.