Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - Vaccin contre le Covid-19 : l’espoir faiblit, les craintes grandissent

Septembre 2020, par Info santé sécu social

17 SEPTEMBRE 2020 PAR ROZENN LE SAINT

La promesse d’un vaccin qui parviendrait à stopper net la pandémie s’éloigne. La rapidité inhabituelle du développement des futurs sérums suscite aussi des craintes quant aux effets indésirables potentiels. Une plus grande transparence sur les essais cliniques et une évaluation plus aboutie sont espérées.

On l’attend comme le Messie. Mais qu’espère-t-on au juste du vaccin contre le Covid-19 ? Depuis le début de la pandémie, en l’absence de traitement efficace, l’arrivée d’un vaccin semble représenter le seul espoir d’atteindre la fameuse immunité collective capable de casser la chaîne des contaminations et donc de juguler l’épidémie. Or, pour l’arrêter net, deux critères comptent, étroitement liés : l’efficacité du sérum et la couverture vaccinale, c’est-à-dire le nombre de personnes qui reçoivent l’injection.

De fait, « pour stopper une épidémie en cours, l’efficacité du vaccin doit être d’au moins 60 % lorsque la couverture est de 100 % et d’au moins 80 % lorsque la couverture tombe à 75 % », selon une étude publiée dans l’American Journal of Preventive Medicine en juillet 2020. Et encore, « ses auteurs partent du principe que cette vaccination se ferait en un seul jour. Sauf que vacciner en si peu de temps autant de monde est impossible. Les doses arriveront au fur et à mesure, et il faudra prioriser les personnes à vacciner », rappelle Daniel Floret, vice-président de la commission des vaccinations de la Haute Autorité de la santé (HAS).

Il revient aux polices sanitaires, les agences du médicament, d’autoriser ou non la vente des produits de santé : aux États-Unis, la Food and Drug Administration (FDA) et, en Europe, l’European Medicines Agency (EMA). Alors, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) leur conseille pour critère d’acceptation des futurs vaccins « une efficacité d’au moins 50 %, de préférence supérieure ». Du côté de l’EMA, cela se fera, indique l’agence, « au cas par cas, sur la base de toutes les données disponibles sur l’innocuité et l’efficacité du vaccin. Par conséquent, il n’est pas possible de quantifier spécifiquement à l’avance le niveau minimal d’efficacité pour qu’un vaccin soit considéré comme acceptable pour approbation ». La FDA, elle, a opté pour ce seuil plancher de 50 %.

Avec ce taux, cela signifie que même vacciné, on a une chance sur deux d’être quand même contaminé par le Covid-19. C’est à peu près le même résultat obtenu par les vaccins contre les grippes saisonnières. À défaut d’arrêter l’épidémie, cela permet de ralentir la circulation du virus.

Pour répondre à l’urgence de la pandémie, la plupart des laboratoires se sont alignés sur le protocole d’essais cliniques de l’« opération vitesse de l’éclair » (« operation warp speed »), telle que l’a baptisée Donald Trump. Son but ? Obtenir le plus rapidement possible un vaccin, surtout pas en dix ans, comme habituellement. Ce protocole ne donne pas de date butoir pour tirer les premières conclusions des expérimentations de phase 3, la plus importante, celle sur les humains à large échelle(1).

Pour aller plus vite, les firmes réalisent un premier bilan afin de mesurer l’efficacité quand 150 cas d’infection dans cette cohorte d’au moins 30 000 cobayes sont détectés, sachant que, parmi eux, 15 000 ont réellement reçu une injection de vaccin, un chiffre estimé « raisonnable » par Daniel Floret. Ainsi, l’efficacité est déterminée lorsqu’on sait combien, parmi ces 150, avaient reçu le vaccin et combien le placebo.

« D’où l’importance de réaliser ces essais cliniques dans les pays où le virus circule fortement, pour gagner encore du temps. Si on faisait ces tests en France actuellement, cela prendrait des mois ou des années », précise Marie-Paule Kieny, présidente du comité vaccin Covid-19 chargé de conseiller le gouvernement français.

Avec des taux d’efficacité autour de 50 %, est-il possible de compenser en vaccinant massivement ? En particulier en France, pays champion du monde de la méfiance vis-à-vis du vaccin contre le Covid-19 ? Même s’il faut se méfier des sondages, vu leur fragilité, une enquête Ipsos donne un ordre d’idée : quatre Français sur dix ne souhaiteraient pas recevoir d’injection si un sérum contre le coronavirus était trouvé(2), une proportion en hausse par rapport à la période du confinement.

Si la patrie de Pasteur a l’habitude d’être en tête du classement mondial de la défiance vaccinale, la proportion est encore plus importante que l’habituel tiers de la population de l’Hexagone qui ne croit pas que les vaccins, en général, soient sûrs(3).

Moins de la moitié de la population à risques a accepté de recevoir une injection pour se protéger de la grippe saisonnière en 2019. La large campagne de vaccination contre la grippe H1N1 a permis de vacciner à peine 8 % de la population française, même si le contexte n’est pas comparable, tant la France avait échappé à cette pandémie et, à l’inverse, a été frappée par le Covid-19.

L’actuelle crise sanitaire a entraîné de nouvelles obligations sans précédent en France, de l’interdiction de sortir pendant le confinement au port du masque dans l’espace public. Pourrait-on à présent envisager l’obligation d’être vacciné ? Si le ministère de la santé indique à Mediapart que « la question de l’obligation est prématurée », les experts doutent qu’elle soit adoptée. Ce serait une première concernant les adultes, hors professionnels de santé et autres exceptions.

Par ailleurs, « compte tenu de la défiance grandissante vis-à-vis des futurs vaccins contre le Covid-19, cela pourrait même être contre-productif. Cela doit être la solution de dernier recours », estime Jeremy Ward, sociologue et membre du projet d’enquête Coconel, pour coronavirus et confinement.

Le plan B des producteurs de vaccins

Il faut se rendre à l’évidence. « Il n’est pas certain que les vaccins permettent de réduire la transmission du virus et donc de limiter la pandémie, même si ce serait l’idéal, admet Daniel Floret, de la commission des vaccinations de la HAS. En revanche, il est possible qu’ils parviennent à prévenir les formes graves de Covid-19 et la mortalité. »

Car si le premier objectif de stopper l’épidémie ne peut être atteint, comme cela semble se profiler, les firmes pharmaceutiques mettront en avant un deuxième intérêt du vaccin : diminuer la sévérité de l’infection quand les personnes sont atteintes par le Covid-19. Le vaccin ferait alors surtout office de traitement préventif finalement, dans l’espoir qu’en cas d’infection, il réduise l’aggravation des lésions pulmonaires, par exemple.

Et quand l’agence accordera ou refusera le précieux sésame, ou si elle le retire finalement après avoir autorisé la vente, elle affirme qu’elle publiera des données cliniques à l’appui de la demande du producteur du vaccin sur son site dédié.

En attendant, le manque de transparence qui caractérise la période de recherche est dénoncé par les défenseurs de l’accès aux médicaments. « L’industrie pharmaceutique est dans une telle position de force que même si les vaccins sont seulement des sortes de traitements de pré-exposition qui permettent de limiter l’infection, les États continuent d’en précommander. Ils la financent à coups de gros chèques en blanc », dénonce Pauline Londeix, cofondatrice de l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament. « Pour l’instant, les États ne savent pas vraiment ce qu’ils achètent. Ils paient pour une promesse », appuie Yannis Natsis, qui représente l’ONG European Public Health Alliance (Epha).

Marie-Paule Kieny, directrice de recherche à l’Inserm, appelle aussi à davantage de transparence. Elle indique quand même : « À la demande du comité vaccin que je préside, les firmes présentent de façon volontaire leurs dossiers précliniques et cliniques afin de nous permettre de préparer des avis scientifiques pour le gouvernement français. »

Car la stratégie vaccinale dépend du fameux but atteint par l’injection. Si c’est de casser ou de réduire l’épidémie, le plan A, une campagne massive de vaccination, est à privilégier. À commencer par les professionnels de santé, qui peuvent facilement transmettre le virus. Si c’est de limiter la casse en cas d’infections, on recourrait au plan B, les personnes vulnérables pourraient être prioritaires : en l’occurrence, celles âgées de plus de 65 ans et présentant des signes de comorbidités comme le diabète ou l’obésité. Elles risquent davantage de développer une forme grave de la maladie.

15 millions d’euros d’indemnisations pour les victimes des vaccins contre la grippe H1N1
Sauf que le vaccin est moins testé et donc moins éprouvé sur ces personnes à risques dans les premières étapes des expérimentations sur l’homme. « Dans un développement classique, le vaccin est majoritairement testé sur des personnes jeunes et en bonne santé, puis on étend au fur et à mesure les essais cliniques dans des études complémentaires pour avoir davantage de données sur l’efficacité et la sûreté en fonction de l’âge et des comorbidités », explique Els Torreele, ancienne directrice de la campagne d’accès aux médicaments de Médecins sans frontières.

Alors, explique la présidente du comité vaccin Covid-19, qui conseille le gouvernement, pour consolider les informations en possession des décideurs publics, « nous avons proposé de réaliser nos propres essais cliniques sur 150 personnes. Nous aimerions débuter en octobre, notamment chez les personnes âgées. Cela apporterait des compléments d’informations sur les données d’efficacité et la différence de réponse immune selon les personnes. Car quand on vieillit, on est moins apte à se défendre contre un nouveau virus : l’efficacité du vaccin peut donc être moindre. Mais les firmes s’inquiètent d’une telle expérimentation ».

Faut-il avoir peur des effets secondaires des vaccins contre le Covid-19 ?

Pour calculer la fameuse balance bénéfice/risque, le pendant de l’évaluation de l’efficacité, il faut aussi mesurer les effets secondaires. Faut-il craindre ces vaccins développés en un temps record, notamment pour les personnes vulnérables ? Quand les dossiers de demande d’autorisation sur le marché commenceront à lui parvenir, l’agence européenne des médicaments « s’attend à recevoir des données pour chaque vaccin provenant d’un large éventail de population, jusqu’à 30 000 adultes, dont certains aux signes de comorbidités préexistantes et des personnes âgées de plus de 65 ans, représentant idéalement un quart ou plus du nombre total de volontaires », fait savoir l’EMA.

Il est important de vérifier que le produit ne fait pas courir de risques pour la santé des plus vulnérables qui ne seraient pas apparus chez des sujets jeunes et en bonne santé lors des premiers tests. Or l’EMA envisage une procédure accélérée. Un suivi sera bien réalisé au long cours, mais il ne le sera qu’après la mise sur le marché du vaccin.

Les essais de phase 3 ont débuté, pour les premiers, en juillet. Selon Daniel Floret, vice-président de la commission des vaccinations de la HAS, « l’efficacité sera vite déterminée. En revanche, sur la tolérance, c’est plus délicat. Habituellement, les essais de phase 3 durent plusieurs années. Là, on aura un recul limité ». Pour Els Torreele, chercheuse en innovation médicale et biologiste de formation, « en général, les effets secondaires liés aux vaccins surviennent à court terme, dans les premiers jours ou semaines après l’injection. Mais ce serait quand même mieux d’avoir le recul d’un an pour la phase 3 avant la mise sur le marché ».

« Des discussions sont encore en cours pour ajouter des cohortes spéciales, comme des personnes âgées, entre les laboratoires et les autorités sanitaires réglementaires compétentes comme l’EMA », ajoute Daniel Floret. Il est encore temps, pour les pouvoirs publics et les agences des médicaments, d’exiger des expérimentations supplémentaires, notamment sur les personnes vulnérables, dans le but de détecter d’éventuels effets secondaires : c’est le but des expérimentations avant les mises sur le marché.

D’ailleurs, le géant pharmaceutique AstraZeneca a fait savoir qu’il suspendait ses essais cliniques sur le vaccin contre le Covid-19, à la suite de l’apparition d’un effet indésirable chez un volontaire, le 8 septembre. Il s’agit d’« une action de routine qui est requise dès qu’une maladie potentiellement inexpliquée apparaît dans l’un des essais, pendant l’enquête », selon le porte-parole de l’entreprise britannico-suédoise.

Quatre jours après, le laboratoire a annoncé la reprise de ses essais en Grande-Bretagne. La revue scientifique Nature note d’ailleurs l’absence de transparence sur les raisons de cette pause, puis de ce rapide réenclenchement.

Pour vendre ces vaccins produits en masse avant même d’en afficher l’efficacité, il faut s’assurer de l’adhésion de la population. Alors l’industrie pharmaceutique a trouvé une habile manière de répondre à la méfiance vis-à-vis de ces vaccins développés en accéléré et aux inquiétudes suscitées par les annonces précipitées de Donald Trump, sans le citer. Le président des États-Unis assure qu’un vaccin pourrait y être disponible avant « un jour très spécial ». En l’occurrence le 3 novembre, date des élections américaines.

Alors le jour de l’annonce de la pause des essais cliniques d’AstraZeneca, neuf firmes bien positionnées dans cette compétition mondiale en ont profité pour annoncer leur signature d’un « engagement historique commun pour continuer à faire de la sécurité et du bien-être des personnes vaccinées la priorité absolue dans le développement des premiers vaccins Covid-19 ».

En tout, neuf entreprises pharmaceutiques sont entrées dans la phase 3 des essais cliniques. Avant cela, il y a les phases précliniques, les tests sur les animaux, puis la phase 1, menée sur un petit groupe de volontaires pour évaluer la toxicité du vaccin, et la phase 2 : le groupe de cobayes est élargi pour tester la tolérance, mais aussi pour obtenir des premiers résultats d’efficacité.

Faut-il s’inquiéter de cette contraction du temps de recherche ? En situation d’urgence, plutôt que de réaliser successivement les différentes étapes de la recherche, il est possible de télescoper les étapes de tests, en réalisant la phase 1 et, en parallèle, la phase 2, quitte à tout arrêter en cas de survenue d’un risque pour la santé, puis d’enchaîner dans la foulée avec la phase 3. Cela permet déjà de gagner des années.

« Cette méthodologie de recoupement des différentes phases a déjà été réalisée dans le cadre d’une pandémie comme Ebola », assure d’ailleurs Jean-Daniel Lelièvre, chef de service du service d’immunologie clinique et maladies infectieuses au CHU Henri-Mondor de Créteil. Il insiste aussi sur la modernisation de l’outil vaccinal et la réutilisation par des laboratoires de plateformes vaccinales déjà testées pour d’autres maladies en remplaçant le virus par celui du Covid-19, ce qui permet un gain de temps de recherche considérable.

Autre facteur facilitant, met en avant le chercheur, également membre de la commission des vaccinations de la HAS, « il n’existe pas de vaccin contre les précédents coronavirus comme le MERS-CoV et le SARS-CoV-1, mais c’est parce que la maladie s’est arrêtée avant qu’on le découvre, il n’y avait plus de cas pour le tester. Ces recherches antérieures permettent de mieux connaître les coronavirus, le Covid-19 n’est pas un tout nouveau virus ».

« Avec les phases 1 et 2, on commence à comprendre les effets indésirables fréquents qui peuvent survenir, comme la fièvre ou les douleurs au site d’injection par exemple. En revanche, on détecte les effets secondaires très rares quand on utilise réellement le vaccin après l’autorisation de mise sur le marché puisque des effets concernent parfois une personne sur 100 000. C’est le rôle de la pharmacovigilance de faire attention à la remontée de ces cas une fois le médicament mis sur le marché », estime quant à elle la virologue Marie-Paule Kieny. Une suspension de la vente du produit de santé par les agences sanitaires est toujours possible après coup.

« Comme chaque médicament, le risque de survenue d’effets secondaires liés au vaccin doit être évalué au regard du bénéfice apporté. Si la circulation du virus et la mortalité du Covid-19 diminuaient fortement, suite aux mesures de prévention mises en œuvre, on ne préconiserait pas forcément de vacciner une grande partie de la population. Ce serait différent si la nouvelle vague était très mortelle et/ou posait des obstacles majeurs au fonctionnement de la société », projette la virologue.

Aujourd’hui, son comité peut seulement prévoir différents scenarii, pour être en mesure d’éclairer au mieux les pouvoirs publics une fois la ligne d’arrivée franchie par les premiers candidats vaccins obtenant l’autorisation de mise sur le marché. Car ce sera encore la course.


(1) Destinée à mesurer l’efficacité du vaccin et ses risques pour la santé. Ils sont répartis en deux groupes pour comparer l’efficacité du candidat vaccin à un placebo.

(2) Selon une étude Ipsos publiée le 2 septembre par le Forum économique mondial, réalisée auprès de 20 000 personnes à travers le monde.

(3) Selon une étude mondiale réalisée par Gallup pour l’ONG Wellcome, publiée en 2019 et réalisée sur 140 000 personnes de plus de 15 ans, dans 144 pays.