Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - Contre le Covid-19, aucun espoir de traitements avant plusieurs mois

Octobre 2020, par Info santé sécu social

22 OCTOBRE 2020 PAR ROZENN LE SAINT

Une étude coordonnée par l’OMS a douché les espoirs suscités par l’hydroxychloroquine ou le remdesivir. Seuls les corticoïdes aident, un peu, les patients les plus durement atteints. Mediapart passe en revue les déceptions passées et les nouveaux espoirs, à confirmer.

À écouter Donald Trump, la plupart des candidats-traitements du Covid-19 seraient « miraculeux ». En réalité, aucun des antiviraux, ces boucliers à virus, n’arrivent aujourd’hui à bloquer significativement l’entrée du SARS-CoV-2 dans le corps ni la survenue de symptômes sévères.

Publiés le 15 octobre, les résultats préliminaires de l’étude Solidarity coordonnée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) montrent que les quatre antiviraux testés, dont l’hydroxychloroquine et le remdesivir, ont « peu ou pas d’effet sur les patients hospitalisés pour le Covid-19 ».

Le gouvernement français répète certes depuis des mois qu’il faut apprendre à « vivre avec le virus » en l’absence de vaccin et de traitement. Mais jusqu’à quand ? Le virus circule fortement, quelques cas de réinfections ont été confirmés dans le monde, et l’efficacité des vaccins Covid-19 tant attendus n’est pas garantie. Trouver une solution curative serait l’autre porte de sortie. Pour l’heure, elle reste fermée même s’il lui arrive de s’entrouvrir momentanément à chaque annonce de résultats prometteurs… toujours à confirmer.

De nouveaux médicaments ciblant le virus sont à l’étude. Mais « il faudra des mois, voire des années pour que leur efficacité et leur absence de toxicité soient prouvées, au moins six mois, prévoit Valérie Pourcher, infectiologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris (voir en Boîte noire). Nous, soignants, nous nous sommes faits à l’idée qu’un remède miracle n’allait pas nous sauver dans l’immédiat. Le tapage au sujet des vaccins ou des traitements vise peut-être à faire tenir les gens… En réalité, on va devoir apprendre à vivre avec le virus, oui, et pour longtemps. »

Les décisions prises par l’exécutif depuis mars (confinement, couvre-feu, etc.) sont ainsi contraintes par la nécessité de préserver les capacités des hôpitaux à accueillir les patients Covid-19, établissements pas prêts de désemplir tant qu’aucun médicament n’empêchera la survenue de cas graves et l’affluence aux urgences. Or quand on dresse le panorama des différents traitements testés, utilisables avant ou pendant l’hospitalisation, les bonnes nouvelles sont rares.

1. Les corticoïdes : petite avancée, pour les patients graves uniquement

En fait, il n’y en a qu’une, et encore. Les médecins parviennent un peu mieux à combattre la « tempête inflammatoire », complication principale du Covid-19 qui altère la respiration et le fonctionnement du cœur. Pour les patients gravement atteints, le standard de soin est le suivant : premièrement, les soignants les placent sous oxygène, qui améliore le fonctionnement de tous les organes ; deuxièmement, ils leur administrent des anticoagulants pour fluidifier le sang et leur éviter des caillots qui pourraient provoquer des complications graves comme des phlébites ou des embolies pulmonaires ; troisièmement, ils leur donnent des anti-inflammatoires puissants bien connus, des corticoïdes, qui limitent l’aggravation de l’état de santé en aidant à affronter cette attaque des organes vitaux.

Pour les formes sévères de la maladie, l’OMS recommande, depuis le 2 septembre, la dexaméthasone (un médicament « générique » produit par plusieurs laboratoires, qui ne coûte presque rien et ne rapporte presque rien à ces derniers). Elle fait partie de la famille des corticoïdes donc, la seule ayant prouvé qu’elle diminuait la mortalité des malades du Covid-19, mais uniquement les plus gravement touchés.

La dexaméthasone réduit de 35 % la mortalité à 28 jours des patients en réanimation, sous respirateur artificiel, et de 23 % chez ceux simplement placés sous oxygène, selon l’étude Recovery publiée le 17 juillet dans le New England Journal of Medicine.

En revanche, « la dexaméthasone n’est pas recommandée pour les patients atteints de grippe car le système immunitaire se défend moins bien, ce qui peut entraîner la survenue d’un diabète ou autres infections », explique l’infectiologue Valérie Pourcher. D’où l’importance de ne pas se tromper de diagnostic entre le Covid-19 et la grippe qui va faire son apparition cet automne : les symptômes sont assez proches.

Pour aider à les différencier, le 21 octobre, la Haute Autorité de la santé (HAS) a recommandé pour les adultes hospitalisés ou arrivant aux urgences, notamment, la pratique de tests combinés PCR (par un prélèvement réalisé avec un grand écouvillon) permettant de détecter simultanément le Covid-19 et d’autres virus respiratoires comme la grippe.

2. Les vieux médicaments vraiment enterrés ?

Piocher dans les bibliothèques de traitements existants pour les tester contre le Covid-19 et tenter de recycler d’anciens médicaments ayant déjà fait leurs preuves contre d’autres maladies est un vieux réflexe scientifique, d’autant plus en situation d’urgence sanitaire. Trouver un tout nouveau médicament peut prendre des mois, des années, voire une dizaine d’années.

« Pour les firmes pharmaceutiques, c’est tout bénéfice de repositionner des traitements déjà homologués qui ont déjà passé toute une batterie de tests de toxicité. Cela peut permettre de prolonger le brevet sur le médicament qui leur offre de nouveau un monopole et cela étend le marché à une nouvelle indication sans demander beaucoup de temps ni d’investissements », analyse Nathalie Coutinet, enseignante chercheuse à l’université Paris-XIII et coautrice de Économie du médicament (La Découverte, 2018).

Tester tous ces vieux médicaments contre les coronavirus aurait d’ailleurs été utile bien avant l’arrivée du Covid-19. « Nous avons perdu vingt ans pour trouver des traitements efficaces contre les coronavirus, faute de financements de projets de recherches en ce sens. Car chaque traitement que l’on cherche peut servir à l’avenir », dénonce Bruno Canard, virologue et directeur de recherche CNRS (Aix-Marseille) dont la tribune avait été largement relayée début mars.

Près de huit mois plus tard, aucun repositionnement d’antiviral n’a finalement prouvé son efficacité. C’est la conclusion des expérimentations coordonnées par l’OMS publiées le 15 octobre, pour quatre d’entre eux : premièrement, les interférons ; deuxièmement, l’association d’anti-VIH lopinavir-ritonavir, le Kaletra d’AbbVie ; troisièmement, le remdesivir ; et quatrièmement, l’hydroxychloroquine.

Le décevant remdesivir

Produit par le laboratoire américain Gilead, le remdesivir avait pourtant obtenu une autorisation de mise sur le marché conditionnelle de l’European Medicines Agency (EMA), c’était le seul. Mais aujourd’hui, son manque d’efficacité à diminuer la mortalité est acté.

« Dans la pratique clinique au quotidien, le remdesivir ne nous donnait pas l’impression que c’était un traitement miracle. En revanche, il a un vrai impact sur la charge virale en début de maladie selon une autre étude menée par les chercheurs du NIAID. Cela signifie que moins de virus se propage dans l’organisme, donc il crée moins de pathologies. Il pourrait rester intéressant de le donner aux patients qui viennent d’être testés positifs », soutient Karine Lacombe, cheffe du service des maladies infectieuses à l’hôpital Saint-Antoine de Paris (voir ses liens d’intérêts dans notre Boîte noire).

Sauf que « le remdesivir a deux défauts : une forte toxicité sur les reins et son mode d’administration, des injections en intraveineuse. Cela signifie que ça n’est pas possible de traiter les patients à domicile, il faut qu’ils soient déjà à l’hôpital », explique Bruno Canard. Gilead ne s’avoue toujours pas vaincu et affirme à Mediapart étudier « la possibilité d’administrer le remdesivir par d’autres voies ». La « voie nasale » serait envisagée, selon Karine Lacombe. La méthode demande encore à être testée puis, le cas échéant, approuvée.

« C’est sûr qu’en réanimation, ça ne sert plus à rien de donner un antiviral, ce n’est plus le virus qui mène le jeu mais l’inflammation. Le remdesivir, c’est du pipeau depuis le début ! », raille Didier Raoult, directeur de l’IHU Méditerranée infection (lire aussi la Boîte noire). Il évoque les intérêts financiers de Gilead, avec un traitement vendu environ 2 000 euros en Europe, quand l’hydroxychloroquine, qu’il plébiscite, coûte seulement 5,19 euros la boîte de trente comprimés.

La polémique hydroxychloroquine
L’étude de l’OMS a donc annoncé des résultats à mettre K.-O. les deux médicaments « en concurrence », jugeant l’hydroxychloroquine aussi inefficace que le remdesivir. « Les cellules pulmonaires s’avèrent peu sensibles à l’hydroxychloroquine alors que pour le paludisme, elle fonctionne très bien sur les cellules cibles. C’était un pari, mais ça ne s’avère pas efficace », tranche le spécialiste des coronavirus marseillais Bruno Canard.

Mais Didier Raoult conteste le protocole des grandes études internationales qui concluent sur l’inefficacité de l’hydroxychloroquine : celle de l’OMS, ou encore l’étude britannique Recovery, dont les conclusions détaillées ont été publiées le 8 octobre dans le New England Journal of Medicine. Ce sont des études randomisées, soit le standard international en matière de recherche médicale, qui comparent deux groupes de patients dits « homogènes » (âge comparable, état de santé, etc.) : le placebo est donné au premier groupe, le médicament testé au second.

À Marseille, Didier Raoult, lui, propose l’hydroxychloroquine associé à de l’azithromycine à tous les malades testés positifs au SARS-CoV-2, qu’ils aient ou non des symptômes, qu’ils soient hospitalisés ou non, et la méthodologie de ces études a été largement critiquée par la communauté scientifique. « Convaincre les Parisiens est le cadet de mes soucis ! s’exclame-t-il. À Marseille, nous avons traité 5 600 patients à l’hydroxychloroquine et nous avons seulement compté trente morts parmi eux. On ne peut pas cacher les morts ! Par ailleurs, dans les Ehpad, nous avons fait tomber la mortalité de 50 % chez les personnes traitées par hydroxychloroquine par rapport à celles qui n’en prenaient pas. »

Il s’avère cependant que l’hydroxychloroquine est le traitement utilisé dans le cadre du Covid-19 qui a provoqué le plus d’effets indésirables. En date du 29 septembre, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) en a répertorié 273 en tout, dont 222 graves, ainsi que sept décès.

C’est ce qui avait poussé les autorités françaises à interdire la prescription d’hydroxychloroquine dans le cadre du Covid-19, hors essai clinique, le 27 mai dernier. Interrogé sur la toxicité du médicament par Mediapart, Didier Raoult répond que « les boissons énergisantes comme le Red Bull provoquent aussi des troubles cardiaques et on ne fait pas des électrocardiogrammes à chaque fois que quelqu’un à risque cardiaque ouvre une canette ! ».

Qu’en dit aujourd’hui Philippe Froguel, l’un des premiers chercheurs à avoir évoqué, en France, des soupçons de fraude dans l’étude de The Lancet qui avait conclu à l’inefficacité de l’hydroxychloroquine, finalement dépubliée début juin ? « Si sur le plan scientifique, il est possible que l’hydroxychloroquine permette une faible diminution des symptômes, sur le plan médical, cela ne justifie pas de préconiser une prescription systématique compte tenu de ses effets secondaires », répond-il à Mediapart.


Deux médecins entretiennent plusieurs liens d’intérêts personnels avec des laboratoires impliqués dans la recherche de traitements Covid-19, en l’occurrence, Gilead, AbbVie et MSD.

– Gilead a dépensé pour Karine Lacombe 31 044 euros, MSD, 85 616 euros et AbbVie, 45 711 euros de 2000 à 2019, en rémunération de prestations comme de formations données à des professionnels de santé, en frais de transport, d’hébergement ou de repas. « J’ai toujours attendu les résultats d’efficacité des essais cliniques pour me prononcer puis je les rapporte. Je me penche sur les chiffres et j’explique, je suis libre de ma parole, je n’ai pas de raison de refuser de réaliser des formations sur des traitements développés par les laboratoires. Cela fait partie de mon travail de disséminer la connaissance, c’est important d’échanger, de donner notre avis », commente l’intéressée.

– Gilead a dépensé pour Valérie Pourcher 39 508 euros et MSD, 25 181 euros, de 2000 à 2019 pour la rémunération de prestations comme des conférences données lors de colloques, des frais de transport ou d’hébergement ; AbbVie a dépensé 8 319 euros pour elle en 2012-2013 et enfin, Roche, 1 578 euros entre 2000 et 2019. « Nos liens avec l’industrie ne modifient pas notre perception de la molécule, même quand on participe à des essais cliniques, seuls leurs résultats comptent », souligne-t-elle à Mediapart.

– MSD a dépensé pour Philippe Froguel 2 469 euros pour une intervention à l’occasion d’un congrès, ainsi que quelques frais de transport, d’hébergement et de repas en 2017 et 2018. Idem pour Eli Lilly, pour un montant de 1 662 euros en tout entre 2016 et 2019. « Je n’ai pas de mérite à avoir peu de liens d’intérêts avec l’industrie pharmaceutique, elle me contacte peu, je ne suis pas prescripteur », commente le chercheur.

– Yazdan Yazdanpanah a entretenu des liens d’intérêts avec Gilead, qui a dépensé pour lui 3 158 euros entre 2013 et 2016 en repas, hébergement, transport et inscriptions à des colloques. « Cela ne m’empêche pas de dire que je pense que le remdesivir ne fonctionne pas pour le Covid-19 », explique à Mediapart l’intéressé.

– Didier Raoult n’a pas de liens d’intérêts personnels avec l’industrie pharmaceutique. En revanche, sa fondation a reçu 909 077 euros provenant de laboratoires depuis 2012, dont 50 000 euros versés par Sanofi en 2015. « Les fondations ont été créées avec l’exigence d’avoir des partenaires industriels, avec l’argent de l’État et des partenaires privés. À l’époque, je voulais travailler avec Sanofi sur le repositionnement des vieilles molécules, cela a pris fin il y a cinq ans », répond Didier Raoult (lire aussi Pourquoi le passé de Didier Raoult joue contre lui).