Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - Blanquer sous pression des enseignants pour alléger les classes au collège

Novembre 2020, par Info santé sécu social

Le protocole sanitaire « renforcé » annoncé cette semaine prévoit des demi-groupes uniquement au lycée.

Les images frappent les esprits. Toute la semaine, des enseignants et leurs syndicats ont diffusé des photos sur les réseaux sociaux, sous le mot-dièse #BalanceTonProtocole (ici ou là), montrant à quel point les consignes de distanciation sociale et de non-brassage des élèves dans les établissements scolaires relèvent de la science-fiction. Le pire reste la pause méridienne et les cantines bondées de jeunes, sans masques forcément, dans des salles peu ou pas aérées. De plus en plus, le ton rassurant du ministre sonne faux et l’improvisation semble régner en maître (lire l’article de Caroline Coq-Chodorge sur les données disponibles quant à la circulation du virus dans les classes).

Parce qu’il juge nécessaire de conserver les écoles ouvertes pour le bien des enfants, mais aussi pour permettre le travail des parents, le ministère a publié le 2 novembre, jour de rentrée, un nouveau protocole sanitaire « renforcé » de huit pages. Les établissements scolaires ont désormais pour consigne de procéder à une désinfection régulière et à une aération fréquente des locaux. C’est le grand retour des sens de circulation dans les couloirs et des récréations échelonnées.

Le ministre a ensuite cédé à la demande de plus en plus pressante des syndicats de basculer à moitié en distanciel, en divisant les classes en demi-groupes, au lycée du moins. Jusqu’alors, les rectorats empêchaient la mise en place de cet enseignement hybride et le ministre lui-même disait en début de semaine ne pas l’encourager. Mais les gestes barrières « sont à l’évidence plus difficiles à appliquer au lycée, où les déplacements des élèves sont plus nombreux et plus fréquents, et l’organisation de la restauration scolaire plus complexe », a dû reconnaître le ministre dans un courrier aux chefs d’établissement, alors que les organisations syndicales le pointent depuis des semaines. Tout est donc permis au lycée désormais, charge aux proviseurs de s’organiser, à condition de conserver au moins 50 % des enseignements pour chaque élève en présentiel.

Les épreuves du baccalauréat pour les classes de première et de terminale sont par ailleurs annulées, et les évaluations communes, les anciennes « E3C », disparaissent au profit du contrôle continu.

Mais ces aménagements n’étant prévus que dans les lycées, l’appel intersyndical à la « grève sanitaire » lancé pour mardi 10 novembre est maintenu, les enseignants des écoles et des collèges revendiquant davantage de protection encore.

Jean-Michel Blanquer exclut de mettre en place une telle organisation au collège, dans une « situation très différente de celle du lycée », a justifié le ministre sur RTL le 6 novembre. Au collège, il est « plus facile » de maintenir les élèves dans une seule classe, en l’absence d’enseignements de spécialité comme au lycée.

Pour Sophie Vénétitay, secrétaire générale adjointe du Snes-FSU (premier syndicat du secondaire), les annonces ministérielles sur le dédoublement « sont un premier pas à mettre au crédit de la mobilisation. Jean-Michel Blanquer a été obligé de céder un peu sur les lycées et de reconnaître en creux que le protocole n’est pas si renforcé, mais il reste du flou et les collèges ne sont pas du tout abordés ».

Sophie Vénétitay poursuit : « Et puis le contrôle continu en première et terminale n’est pas si évident en période de pandémie, avec du distanciel possible à certains endroits et pas à d’autres, ça va creuser les inégalités… Et maintenir des épreuves en mars, c’est encore trop tôt, encore plus vu l’incertitude des prochaines semaines. Il aurait mieux valu reporter en fin d’année, avec des programmes revus. »

Tout le monde s’accorde à dire que garder les établissements scolaires ouverts autant que possible relève de la nécessité impérieuse. Trop d’élèves, en zones défavorisées, ont souffert du confinement. « Mais on ne peut pas retourner l’air de rien nous entasser dans nos salles de classe et nos cantines alors que la deuxième vague est plus dure et plus meurtrière. »

Aude Paul, enseignante de français au lycée Louise-Michel de Bobigny et responsable syndicale au Sgen-CFDT, relève une distorsion énorme entre le discours officiel et la réalité du terrain. « On le vit mal car il s’agit d’une question de santé publique. On a l’habitude de composer avec des textes déconnectés de notre pratique. Au retour des vacances d’été, rien n’était vraiment prêt dans le lycée. L’entrée et la sortie ne sont pas distinctes. Des travaux prévus de longue date ont été engagés en parallèle. » L’annonce de la mise en place de groupes dans les lycées satisfait un peu Aude Paul et ses collègues, déterminés à obtenir de meilleures conditions d’enseignement, mais des problèmes demeurent.

1 200 élèves sont scolarisés dans ce lycée et les capacités de nettoyage sont réduites puisque seulement six agents peuvent le faire. « On en a perdu la moitié avec la fin des contrats aidés, les arrêts maladie. Quinze jours avant les vacances de la Toussaint, les élèves ont mangé avec des couverts en plastique à la cantine, faute de personnel pour faire la plonge. On n’ose imaginer dès alors comment la désinfection des points de contact a pu se faire… »

Sophie Vénétitay, du Snes-FSU, pointe elle aussi ces lacunes. « Sans moyens supplémentaires, ce protocole sanitaire correspond à une réalité parallèle de l’Éducation nationale, mais pas à nos établissements scolaires. »

La responsable syndicale, elle-même enseignante en lycée, rappelle aussi que le bâti des établissements français n’aide pas à endiguer les contaminations. « Pour l’aération, une bonne partie des fenêtres sont condamnées. Nous sommes en novembre. Si l’option est soit d’attraper le Covid, soit la grippe, ça ne nous convient pas. » Au lycée de Bobigny, et c’est une constante dans plusieurs établissements, les fenêtres ne s’ouvrent pas et la direction renvoie la balle à la région, responsable des lycées.

C’est aussi pour ces raisons que les enseignants mobilisés au collège Didier-Daurat au Bourget, en Seine-Saint-Denis, ont fait valoir mardi 3 novembre leur droit de retrait, considérant que la santé et la sécurité de leurs élèves (comme les leurs) ne sont pas assurées. Sur les 56 enseignants, une quarantaine l’ont invoqué. Le directeur académique ayant répondu que leur droit de retrait n’était pas légitime, certains se sont mis en grève vendredi.

« Le ministre pense qu’on n’est pas capables de lire des études scientifiques »
Dans l’attente de l’examen de leur requête, les professeurs ont réfléchi et établi leur propre protocole sanitaire.

Pour la mise en place du nouveau protocole sanitaire, une marge a été laissée aux établissements jusqu’au lundi 9 novembre. Une enseignante du Bourget, qui a souhaité rester anonyme pour porter une parole collective, raconte : « Il n’y a rien eu, en dehors du gel hydroalcoolique à l’entrée de l’établissement et des masques pour tous. Ni arrivées échelonnées, ni possibilités d’ouvrir les fenêtres avec des petits battants pour aérer. Certaines d’entre elles sont même cassées. » Un autre enseignant complète : « Les salles du deuxième étage possèdent plusieurs fenêtres, on peut ouvrir, mais il fait 12 °C. Au rez-de-chaussée ou au premier étage, parfois aucune aération n’est possible. »

Cet établissement accueille 750 élèves, capacité assez proche de celle des lycées, avec 28 élèves en moyenne par classe. « Ma distanciation est illusoire, dit-il. 800 personnes se croisent chaque jour entre personnels et élèves, voilà notre problématique. » Les enseignants mobilisés ne décolèrent pas du choix « incompréhensible » de Jean-Michel Blanquer de maintenir, au collège, des classes en groupes entiers.

Ils aimeraient diviser leurs classes en deux et conserver une poignée d’élèves, les plus fragiles. « Le groupe 1 viendrait tous les jours le matin, le groupe 2 tous les jours l’après-midi, et la semaine suivante on inverse. On leur donne du travail imprimé à faire chez eux. C’est le compromis le plus acceptable », décrit l’un des enseignants mobilisés.

L’un des talons d’Achille du dispositif reste les cantines scolaires. Pour Sophie Vénétitay, contrairement aux affirmations ministérielles, rien n’a vraiment été prévu, alors que l’alerte a été lancée depuis des mois par les organisations syndicales. « Là encore, il aurait fallu diviser par deux le nombre d’élèves qui déjeunent, les répartir dans deux salles, quitte à distribuer des repas froids. » Là encore, dans certains quartiers défavorisés, les enseignants plaident pour maintenir les cantines ouvertes puisqu’il s’agit parfois de l’unique repas des élèves de familles pauvres. Mais pas dans n’importe quelles conditions.

Les enseignants du collège Didier-Daurat s’inquiètent également pour la santé des assistants d’éducation qui surveillent les deux services de la cantine : ici aussi l’aération est insuffisante.

Le ministre a par ailleurs précisé que les élèves « plus jeunes » posent « moins de problèmes de contamination », car les collèges sont « en général » moins peuplés que les lycées. Sans étayer davantage ces affirmations.

Un enseignant du collège Didier-Daurat est stupéfait : « On a du mal à comprendre pourquoi Blanquer accepte la division au lycée et pourquoi ça nous est refusé purement et simplement. Je ne vois pas de différence entre un élève de troisième et un de seconde. Le ministre nous infantilise et croit que nous ne sommes pas capables de lire des études scientifiques. »

Dans sa note du 26 octobre, le Conseil scientifique considère que les collégiens et lycéens sont aussi contagieux les uns que les autres : « Les adolescents de 12 à 18 ans semblent avoir la même susceptibilité au virus et la même contagiosité vers leur entourage que les adultes. »

Le ministre a en tout cas estimé cette semaine, sur RTL, que les chiffres des contaminations d’élèves et d’enseignants sont « maîtrisés ». Mais les personnels ont de plus en plus de mal à faire confiance à leur ministre, depuis l’affaire des masques Dim en particulier. Alors que des masques lavables de cette marque ont été distribués aux agents à la rentrée de septembre, le journal Reporterre a révélé qu’ils étaient traités au zéolite d’argent et de cuivre, un agent biocide. Ce dernier est bien autorisé par la réglementation européenne mais sa toxicité est pointée du doigt dans plusieurs études. Le 20 octobre, après cette révélation, des notes internes dans les ministères ont invité à ne plus porter les masques, en application du « principe de précaution », selon Le Parisien.

« Pendant six semaines, les collègues ont porté ces masques et on réalise qu’en réalité, il n’y a pas de vérification ni suffisamment de contrôles », s’agace Sophie Vénétitay, du Snes-FSU. Le ministère a fini par suspendre leur distribution.