Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Huff-post - Covid-19 : des vaccins à 95% efficaces, ce que ça veut dire... et surtout pas dire

Novembre 2020, par Info santé sécu social

Alors que les annonces par Moderna et Pfizer de résultats partiels ont donné de l’espoir au grand public, le point sur ce que ces chiffres signifient vraiment.
Par Matthieu Balu

”C’est fort. C’est très fort.” Les annonces, coup sur coup, des laboratoires Pfizer et Moderna sur les résultats de leurs vaccins à l’étude contre le Covid-19 impressionnent les spécialistes, à l’image de Bruno Pitard, chercheur du CNRS au Centre de cancérologie et d’immunologie Nantes-Angers.

Les chiffres annoncés, communiqués de presse enthousiastes à l’appui, ont en effet de quoi nous faire rêver d’un futur protégé des ravages du coronavirus. Le candidat BNT162b2, signé Pfizer et Biontech, aurait ainsi un taux d’efficacité de 95%. Quant au champion de Moderna, répondant au doux nom de mRNA-1273, il atteindrait les 94,5% sur la même échelle ! Mais attention à ce que traduisent réellement ces chiffres partiels, comme vous pouvez le découvrir dans la vidéo en tête de cet article.

Pour obtenir ces données, le protocole est toujours le même. Dans le cas de Pfizer, 43.538 personnes de 16 à 85 ans se sont portées volontaires pour être vaccinées. 38.955 ont déjà reçu une deuxième injection. Car pour ce vaccin, Pfizer estime que deux doses doivent être reçues pour qu’il soit pleinement efficace.

Sur ces cobayes, 170 personnes ont eu le Covid-19. Et sur ces 170 personnes, 90% ont reçu le placebo plutôt que le vaccin. En suivant exactement le même protocole, mais avec des résultats partiels cette fois, le candidat de Moderna a donc atteint les 94,5%. Des chiffres ”étonnamment bons” pour l’épidémiologiste américain Deepta Bhattacharya.

“Je pense que ce succès”, explique-t-il au HuffPost, a surtout ”à faire avec la nature du virus : un taux de mutation faible, donc une faible diversité génétique, et des possibilités multiples de le cibler pour les anticorps” : des faiblesses qui font ces bons résultats, qui se comparent favorablement à d’autres vaccins déjà depuis longtemps sur le marché (voir tableau ci-dessous).

À n’en pas douter donc, une excellente nouvelle. Mais attention à ne pas voir dans ces chiffres ce qu’il ne sont pas. Certes, le vaccin protège mais on ne sait pas dans quelle mesure, et pas non plus quel type de population. Impossible par exemple, avec ces résultats, de savoir combien de temps l’immunité durera : “Si l’efficacité du vaccin baisse rapidement dans le temps, une piqûre de rappel pourrait être une solution simple”, rassure ainsi Deepta Bhattacharya.

Mais ce n’est pas tout. On ne sait pas vraiment si données rapportées par Moderna et Pfizer concernent des malades uniquement symptomatiques. Si c’est le cas, il est possible que parmi les dizaines de milliers de personnes enrôlées dans l’essai et vaccinées, certains cobayes aient contracté le coronavirus, mais tout en passant entre les gouttes, car asymptomatiques. Auquel cas, le vaccin serait utile sur les populations à risque, pour limiter les formes graves. Par contre, il ne permettrait pas d’éradiquer la maladie grâce à l’immunité collective.

Besoin de communication

D’autres points sont encore à éclaircir, notamment l’action du vaccin sur les personnes âgées. Comme nous le rapportions plus tôt, les données manquent sur les catégories d’âges pour le vaccin Pfizer-Biontech ; côté Moderna certaines précisions rassurantes sont déjà disponibles, mais rien n’est encore définitif. Pourquoi tant de flous ? Parce que ces données sont partielles, un fait qu’une communication très (trop ?) enthousiaste tend à faire oublier.

“Ce sont des chiffres sérieux”, analyse Bruno Pitard, “mais il y a aussi un besoin de communiquer de la part de ces entreprises. Ce son des biotechs [entreprises de biotechnologie] qui ont besoin de s’affirmer, de montrer leur réussite.” Quitte à donner des résultats enthousiasmants avant que les essais soient terminés.

Le cas de Pfizer est indicatif de cette course à la réussite. Le laboratoire américain s’est donné comme objectif 164 patients atteints du Covid avant de donner ses résultats finaux. Mais la société a annoncé, dès le début de sa phase 3 clinique, qu’elle ferait quatre points d’étapes, ce qui lui a permis, début novembre, de communiquer sur ses excellents résultats préliminaires, avant d’annoncer ses résultats définitifs.

Finalement, le laboratoire américain n’aura pas eu besoin de faire autnat de rapports d’étape que prévu, grâce à la vigueur renouvelée de la pandémie à l’approche de l’hiver qui lui a fournit rapidement les cas exigées. Mais le plan initial, communiquer à quatre moments sur une étude clinique ? Du jamais vu, selon cet expert cité par le site Bloomberg. Mais même si l’objectif est rempli en avance pour Pfizer (et semble suivre le même chemin pour son concurrent), l’étude du vaccin et de ses effets est loin d’être complète.

Qu’il s’agisse de Pfizer, Moderna ou encore du russe Gamaleya qui, dans la foulée de ses concurrents, a annoncé un taux d’efficacité de 92%, aucun laboratoire n’a en effet achevé sa phase 3. Même lorsque le nombre de malades visés sera atteint, celle-ci est prévue pour continuer au moins jusqu’au printemps 2021, afin d’étudier notamment effets secondaires et durée de l’immunité. Cela n’empêchera pas l’ANSM, en charge dans l’hexagone de l’autorisation de mise sur le marché, de valider un traitement si elle le juge suffisamment sûr. Mais ce n’est aujourd’hui pas le cas.

C’est pourquoi rien ne dit que ces traitements préventifs aujourd’hui mis en lumière seront ceux qui nous soigneront demain. Le suédois Novavax, le Britannique AstraZeneca ou encore Sanofi, s’ils sont pour le moment plus discrets sur leurs résultats, communiquent sur les avantages à venir de leurs vaccins, notamment l’absence de chambre froide pour les conserver. D’ici la fin de l’année, ces acteurs ou leurs concurrents chinois pourraient à leur tour communiquer sur des essais réussis.

L’attention médiatique et boursière pourrait alors se porter sur les éléments nouveaux qu’apportent ces concurrents, comme la facilité de conservation, la facilité d’inoculation de vaccin, ou encore... son prix, qui s’annonce très élevé chez Pfizer et Moderna (plus de 30 euros par dose pour ce dernier). Ce seront alors d’autres chiffres qui feront la une.