Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - Et maintenant, ne pas rater l’étape du vaccin

Novembre 2020, par Info santé sécu social

Par Christian Lehmann, médecin et écrivain — 23 novembre 2020 à 18:16

Christian Lehmann est médecin et écrivain. Pour « Libération », il tient la chronique d’une société suspendue à l’évolution du coronavirus.

A peine un puis deux vaccins contre le Covid-19 étaient-ils annoncés que la question de son acceptabilité pour le grand public était posée. Un sondage Odoxa annonçait que 15% des Français refusaient tout vaccin quel qu’il soit, et que seuls 50% d’entre eux envisageaient de se faire vacciner si le vaccin était prochainement largement déployé sur le territoire. Il n’en fallut pas plus pour faire ressurgir le spectre de l’obligation vaccinale, même au sein de partis (EE-LV) laissant souvent la part belle aux vaccinosceptiques et aux tenants des « médecines alternatives ». Sur France Info, une députée LREM martelait qu’il était urgent d’adopter une position claire et ferme à l’égard de la population. Gérard Larcher, le président du Sénat, s’y déclarait favorable.

Alors que la défiance vaccinale bat son plein et que le documenteur Hold-up engrange des millions de vues, accréditant la thèse d’un vaste complot d’élites mondialisées pour asservir la population mondiale en lui injectant des nanoparticules afin de mieux capter Pascal Praud aux Kerguelen, agiter la menace de l’obligation rappelle que comme le disait l’humoriste américain H.L. Mencken : « Pour chaque problème complexe, il existe une solution simple, évidente, et fausse. »

Affirmation orwellienne
Le 1er janvier 2018, Agnès Buzyn se félicitait de l’entrée en vigueur de l’obligation vaccinale pour onze vaccins de la petite enfance, au terme d’une concertation citoyenne initiée deux ans plus tôt par Marisol Touraine dans le but de « rétablir la confiance des Français dans la vaccination ». Jurys citoyens et auditions s’étaient succédé sous la houlette du professeur Alain Fischer, qui rendait son verdict définitif en décembre 2016 : « Dans le contexte actuel de perte de confiance et de baisse de la couverture vaccinale, il apparaît nécessaire de réaffirmer le bien-fondé de la vaccination. » Le ministère de la Santé s’était emparé de ces conclusions, avait peaufiné une loi subordonnant l’admission en crèche ou à l’école à la réalisation des onze vaccins. Ni Marisol Touraine ni Agnès Buzyn, nouvelle ministre de la Santé, ne s’arrêtèrent sur un fâcheux détail : le jury citoyen ne s’était pas prononcé en faveur de l’obligation, et le jury de professionnels avait pris position… en faveur de sa levée, y compris pour les trois vaccins déjà obligatoires antérieurement. Comme souvent, le gouvernement s’était appuyé au final sur une expertise scientifique obéissant à la commande politique. Et nous payons aujourd’hui, à moyen terme, le succès dont s’enorgueillissait alors la ministre. Car en regardant simplement les chiffres elle pouvait crier victoire. Les pourcentages d’enfants vaccinés dans les clous s’amélioraient. Mais cela s’était fait au prix d’une défiance envers les vaccins, et envers les médecins, considérés comme simple courroie de transmission de l’Etat. Il n’était d’ailleurs pas anodin qu’au travers du Collège national des généralistes enseignants, les généralistes, qui vaccinent la majeure partie de la population, aient à l’époque déploré ce choix politique orienté.

Car à rebours de l’affirmation orwellienne de la ministre : « De l’obligation naîtra la confiance », l’obligation allait engendrer chez nombre de parents une inquiétude, une frustration, voire même une culpabilité, alors que jusque-là, par le dialogue, par l’explication, la conviction, les médecins obtenaient des taux de couverture vaccinale oscillant selon les vaccins de 85 à 95%, et ce malgré de très fréquentes ruptures d’approvisionnement dans les années précédentes… Ruptures qui avaient justement amené des parents à saisir le Conseil d’Etat car les seuls vaccins obligatoires jusque-là, DTPolio, étaient indisponibles depuis des mois. Dans l’incapacité de faire pression sur les laboratoires pour assurer leur fabrication et leur commercialisation effective, Marisol Touraine, puis Agnès Buzyn, avaient donc choisi une « solution » radicale : rendre l’ensemble des vaccins obligatoires… pour masquer la défaillance de l’Etat. J’écrivais à l’époque ceci : « Au-delà même des vaccins, qu’il aurait fallu examiner au cas par cas et de manière totalement indépendante, cette obligation vaccinale creusera encore le fossé entre le public et la science, ouvrant une voie royale aux complotistes les plus délirants. » Nous y sommes…

Chez Hanouna
Après avoir expliqué et réexpliqué à une population décontenancée par les affirmations infondées de quelques charlatans qu’il n’existait aucune preuve fiable de l’efficacité de l’hydroxychloroquine contre le Sars-CoV-2, et qu’en l’absence d’étude correctement conduite, se fier aux déclarations empiriques d’un mandarin narcissique était une erreur scientifique, certains prennent aujourd’hui de haut la même population lorsqu’elle fait preuve de pragmatisme. A l’heure actuelle, 60% des Français interrogés s’opposent à l’obligation vaccinale, dans la mesure où pour 49% d’entre eux, les annonces d’une efficacité vaccinale à 90 ou 95% sont trop récentes et fragiles pour en conclure quoi que ce soit. Nous ne connaissons encore ni le vaccin qui sera proposé, ni sa tolérance, ni son efficacité, ni ses conditions de conservation et d’administration. Comme pour toute nouvelle thérapeutique, on peut à la fois se réjouir d’un espoir de maîtriser cette pandémie, et rester prudent. Cela rend certes l’action politique très délicate, et on se souvient du fiasco vaccinal H1N1 en 2009. Roselyne Bachelot avait commandé des vaccins en multidose et de fait exclu les médecins de ville de la vaccination. Mise en place tardivement, à un moment où l’évolution des données scientifiques révélait qu’une part non négligeable de la population avait déjà été exposée au virus avec des formes asymptomatiques, et alors que le passage du virus dans les territoires français de l’hémisphère sud avait déjà démontré la relative faiblesse du risque réel (à la différence de la situation actuelle), la campagne vaccinale fut un échec.

Plutôt que de remuer le spectre de l’obligation, il serait urgent d’instituer des politiques d’éducation à la santé, de mettre en place, comme le préconise le Conseil scientifique depuis des mois, un comité citoyen, afin de ne pas rater l’étape du vaccin après avoir raté le premier déconfinement et subi le deuxième confinement. Dans ce contexte, l’annonce que le gouvernement pourrait s’appuyer sur des influenceurs pour motiver les jeunes à se vacciner laisse perplexe, comme la prestation de Gabriel Attal chez Hanouna, sans masque, au milieu d’un public muni de mangeoires à oiseaux en plastique. Il est urgent de traiter la population en adultes, en somme. Envers et contre les complotistes.

Christian Lehmann médecin et écrivain