Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : Covid-19 : « Il n’y a eu aucune collaboration mondiale sanitaire compassionnelle, mais une compétition malsaine »

Décembre 2020, par infosecusanté

Le Monde.fr : Covid-19 : « Il n’y a eu aucune collaboration mondiale sanitaire compassionnelle, mais une compétition malsaine »

TRIBUNE

Gilbert Deray

Néphrologue et pharmacologue

La découverte de vaccins en un temps record est un incontestable succès médico-scientifique, mais nos échecs économiques et sociétaux dans la lutte contre le virus sont évidents, souligne le médecin Gilbert Deray dans une tribune au « Monde ».

Publié le 07/12/2020

Tribune.

Le Covid-19 a révélé l’extraordinaire potentiel de l’intelligence scientifique collective et la pauvreté de l’intelligence morale. En un an, nous avons séquencé le virus et ses différents variants. Il n’aura fallu que deux semaines aux chercheurs chinois pour préciser la séquence ADN et la structure complète de ce virus, rendant ainsi possibles la recherche de traitements et la compréhension de ses mécanismes d’action. Deux ans avaient été nécessaires pour séquencer le virus VIH.

En un an, nous avons élucidé ses modes de pénétration et de multiplication dans la cellule. Etape cruciale, l’identification des récepteurs ACE2 et neuropiline, sur lesquels le virus se fixe, sera la source de découvertes de molécules qui permettront de bloquer son entrée dans les cellules.

En un an, nous avons précisé tous ses aspects cliniques. Ce virus est responsable d’une maladie complexe qui peut toucher tous les organes avec une fréquence très inhabituelle. Par exemple, ce coronavirus est responsable de thromboses (caillots) dans le cœur, les poumons ou le cerveau, de lésions sur la peau et d’atteintes du foie ou des reins. L’idée initiale d’un « virus respiratoire » est vite devenue obsolète. Cette compréhension a permis de nettement améliorer l’approche thérapeutique et de sauver des vies.

En un an, nous avons diminué d’un tiers sa mortalité avec les corticoïdes, les anticoagulants, l’apport massif précoce en oxygène pour retarder l’échéance de l’intubation et le mode de ventilation sur le ventre.

En un an, nous avons éliminé des traitements non efficaces – remdésivir, Kaletra, hydroxychloroquine – par des essais thérapeutiques réalisés dans des délais record, sans sacrifier à la méthodologie. L’histoire retiendra que le temps de la science n’est pas celui de l’urgence politique et sociétale, mais qu’elle sait s’adapter pour ramener à quelques mois ce qui, habituellement, demande des années.

Un immense succès médico-scientifique
En un an, nous avons ouvert des pistes thérapeutiques intéressantes pour 2021 : interféron, anticorps, ivermectine, bloqueur du récepteur ACE2 ou neuropiline… Nous pouvons espérer des traitements visant à bloquer la prolifération du virus ou ses conséquences, en particulier inflammatoires.

En un an, nous avons mis au point plusieurs vaccins efficaces et commencé un programme de vaccination qui va concerner des milliards de personnes. C’est le progrès thérapeutique majeur. Produire un vaccin efficace en un an sans sacrifier à la qualité des études, en particulier sur les effets secondaires, est une rupture scientifique et technologique rendue possible par trente ans de travaux dans ce domaine et des recherches et essais de vaccins ARN ou ADN (sans succès) sur l’homme pour la rage et Ebola.

Ces laboratoires ont réorienté dès janvier leurs travaux – déjà très avancés – vers la mise au point d’un vaccin contre le SARS-CoV-2. Un virus stable, des cibles antigéniques parfaitement identifiées (la protéine Spike) et, bien sûr, un peu de chance ont permis cet exploit. C’est clairement le signal d’une nouvelle approche de traitement des maladies par les messagers ARN.

Le Covid-19 sera probablement vaincu ou contenu en 2021 grâce aux vaccins et à un changement de nos comportements, avec le maintien des gestes barrières, des masques et la triade tester-tracer-isoler. Le retour à une vie quasi normale et un rétablissement de nos économies sont possibles dans les prochains mois. Ce défi médical, le plus important de ce début du XXIe siècle pour les pays développés, est un immense succès médico-scientifique, malgré les décès dont beaucoup auraient pu être évités.

Aucune compassion
Mais le Covid-19 est aussi un échec dramatique, économique, politique et social. De nombreux pays ont fait le choix d’arrêter l’économie pour préserver des vies, mais le Covid a été utilisé dans le monde à des fins politiques, ce qui a entraîné des centaines de milliers de morts évitables. Ainsi, laisser le SARS-CoV-2 se répandre aux Etats-Unis et au Brésil – contre tous les avis des experts de ces pays – a entraîné une épidémie sans fin et des morts par dizaines de milliers, en particulier dans les milieux défavorisés. Trump et Bolsonaro, après avoir nié puis minimisé l’épidémie, ont finalement décidé que l’économie devait primer sur la vie. Nous avons heureusement fait un choix différent en Europe.

Le soft power médical a émergé de façon majeure et en partie pour le pire. Aucune compassion dans le « don » de traitements, juste une nouvelle monnaie d’échange, une sorte de « livecoin ». Narendra Modri a voulu, en avril, réserver la chloroquine – dont il est le premier producteur mondial – à ses administrés, mais a rapidement dû céder devant les menaces de représailles de Donald Trump. Le même président, plus tard, a envoyé au Brésil ses stocks de chloroquine devenus inutiles, au vu de l’inefficacité de ce médicament.

Le vaccin est devenu un moyen de pression commercial ou politique. L’oxygène se vend à prix d’or… La pandémie ne sera pas une source d’union politique. Il n’y a eu aucune collaboration mondiale sanitaire compassionnelle mais, au contraire, une compétition malsaine. L’Europe frileuse devra trouver le juste équilibre entre la réalité politique, sa force scientifique et la fraternité qu’elle a inscrite sur ses frontons.

Les pays pauvres délaissés

Les pauvres des pays riches ont payé le prix fort avec une forte surmortalité dans le « 93 », par exemple (134 % contre 93 % à Paris), et chez les Afro-Américains (70 % des décès pour 30 % de la population dans certains Etats). Solidarité mondiale, mais uniquement dans la pauvreté comme facteur de risque du SARS-CoV-2.

Les pays pauvres touchés par le Covid ont manqué de tout et ils n’ont quasiment pas été aidés. Aurait-il été si difficile de fournir de l’oxygène aux hôpitaux en péril d’Amérique latine ? Les pays pauvres peu touchés par le Covid ont vu s’effondrer les aides qu’ils reçoivent des pays riches. Les programmes financiers, alimentaires et sanitaires se sont taris avec le repli des pays donateurs, tétanisés par leur incapacité à contrôler la pandémie sur leur territoire. Le VIH, la tuberculose et les parasitoses ont explosé après des années de reflux timides liés à des politiques enfin (modérément) ambitieuses.

Nous avons magiquement trouvé des milliards de milliards de dollars pour soutenir nos économies et débloqué une aide d’urgence de… moins de 1 milliard de dollars (soit 823 millions d’euros) pour les 28 pays les plus pauvres de la planète [le FMI a débloqué une aide d’urgence d’un total estimé à 959 millions de dollars].

L’intelligence collective scientifique a fait, lors de cette crise sanitaire, preuve de puissance créatrice et ce XXIe siècle sera celui des Lumières à cet égard. L’intelligence collective morale qui n’a jamais existé aurait pu naître à l’aune de cette plaie commune mondiale. Il n’en sera rien.

Gilbert Deray est néphrologue et pharmacologue, professeur des universités et dirige le service de néphrologie de l’hôpital Pitié-Salpêtrière, à Paris

Gilbert Deray(Néphrologue et pharmacologue)