Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - Entre riches et pauvres, la fracture vaccinale

Décembre 2020, par Info santé sécu social

Par François-Xavier Gomez — 29 décembre 2020

Les Etats développés ont accaparé la grande majorité des doses de vaccins contre le Covid-19 au bénéfice de leurs ressortissants. Pour plus de la moitié de la population mondiale, il faudra attendre.

Au début du mois de novembre, dans l’euphorie des premières annonces sur l’arrivée des vaccins anti-Covid-19 sur le marché, Oxfam refroidissait l’ambiance dans un communiqué : « Le vaccin sera efficace à 0 % pour les personnes qui n’auront pas les moyens d’y accéder ou de se le permettre. »

Dans les semaines suivantes, plusieurs organisations (Oxfam, Amnesty International…), réunies sous la bannière People’s Vaccine Alliance (Alliance pour un vaccin universel), lançaient une campagne pour dénoncer l’accaparement par les pays développés des vaccins avant même qu’ils ne soient produits, laissant la portion congrue à plus de la moitié de l’humanité. « Le Canada arrive en tête avec suffisamment de doses pour vacciner chacun de ses citoyens cinq fois. Les pays riches, qui représentent 14 % de la population mondiale, ont réservé 53 % des vaccins les plus prometteurs jusqu’à présent », estimait l’Alliance le 9 décembre.

A l’opposé, 67 pays à revenus faibles et intermédiaires « risquent d’être laissés pour compte. Parmi eux, cinq recensent à eux seuls près de 1,5 million de cas déclarés : le Kenya, la Birmanie, le Nigeria, le Pakistan et l’Ukraine », ajoutait l’Alliance.

Lorsque l’épidémie de Covid-19 a pris l’ampleur d’une pandémie, à la fin de l’hiver dernier, les bonnes paroles étaient de mise. La crise planétaire devait être réglée par des mesures globales. L’Organisation mondiale de la santé (OMS), soutenue notamment par la France, lance alors la plateforme Act A, un « accélérateur d’outils » contre la pandémie. Ces outils sont les traitements, les tests et bien sûr, les vaccins. L’une des initiatives d’Act A est la plateforme Covax qui vise à partager les vaccins, dès qu’ils seront opérationnels, avec 92 pays à revenus limités, ou surendettés (lire interview ci-contre).

Mais les Etats-Unis ont très vite joué leur partition en solo. Après les rodomontades de Donald Trump qui a commencé par minimiser la gravité de la crise, le pays annonce un financement massif de la recherche. Pour son seul bénéfice, puisqu’il abandonne toute perspective de coopération internationale en annonçant son retrait de l’OMS, dont Washington est le principal contributeur.

Raisons éthiques et argument pratique
Dans une logique libérale, les vaccins comme le reste des médicaments sont soumis à la loi de l’offre et de la demande. Mais les recherches sont dans de nombreux pays soutenues par de l’argent public. Les membres de la People’s Vaccine Alliance soulignent que si le laboratoire américain Pfizer, le premier à annoncer que son vaccin était proche de la mise sur le marché, dépend peu des financements publics, son partenaire, l’allemand BioNTech, est largement subventionné par le ministère allemand de la Recherche. C’est le cas aussi de Sanofi, multinationale de droit français. Et de toute façon, les bénéfices des laboratoires proviennent pour une large part des remboursements par l’assurance maladie, financée pays par pays par l’ensemble des actifs.

Aux raisons éthiques - l’indécence de voir une crise sanitaire qui tue des millions de personnes se transformer en tiroir-caisse pour les labos et leurs actionnaires - s’ajoute un argument pratique : les laboratoires ne sont pas en mesure de produire assez de vaccins pour tous ceux qui en ont besoin. Selon la revue Nature, « les laboratoires qui ont déjà rapporté des résultats prometteurs d’essais de phase III contre le Covid-19 estiment qu’à eux seuls, ils peuvent administrer des doses suffisantes pour plus d’un tiers de la population mondiale d’ici à la fin de 2021 ». Un tiers de la population en 2021, mais le reste ? Pendant que les riches s’extrairont de la crise et remettront en route leurs économies, les pauvres risquent de rester au point mort et de s’enfoncer dans la pauvreté.

La proposition des associations humanitaires est simple : pour sortir tout le monde au plus vite de l’urgence, il faut multiplier les capacités de production. Comment ? En renonçant au monopole des brevets et en permettant aux laboratoires du monde entier de produire les vaccins localement. Comme un médicament générique, mais sans attendre que le brevet tombe, après des années d’exploitation, dans le domaine public.

Autre avantage du partage immédiat des savoirs : la baisse des prix des doses, jusqu’à présent laissée à la seule volonté des géants du secteur pharmaceutique. Dès le mois d’avril, alors que le monde scientifique se lançait dans la course au vaccin, une tribune des responsables de l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament appelait dans les colonnes de Libération à une intervention du gouvernement français dans la filière du médicament et posait déjà la question de l’inégalité d’accès à la santé des pays du Sud.

Défiance générale envers les institutions
La proposition de l’Alliance des ONG ne concerne que les vaccins du Covid-19, suivant le principe qu’à une crise inédite depuis des décennies, doivent correspondre des solutions elles aussi inédites. Les futures recherches ne sont pas concernées et l’appartenance des vaccins et des médicaments à venir à la loi de l’offre et de la demande n’est pas remise en cause.

Pour faire avancer cette initiative, la pression citoyenne est un élément clé. D’où la présentation d’une initiative citoyenne européenne, procédure qui permet aux habitants de l’Union de demander à la Commission de légiférer sur un dossier dès qu’un million d’entre eux le demande. Lancée le 30 novembre, la pétition n’a recueilli en un mois que 17 000 signatures, dont près de la moitié en France. Le délai pour parvenir au million de noms est certes de quatorze mois, mais force est de constater que le bilan provisoire est dérisoire. Comme si ce levier était lui aussi victime de la défiance générale envers les institutions, que la crise sanitaire a encore renforcée.

Dimanche, plusieurs résidents de l’Ehpad de Champmaillot, à Dijon, ont reçu une dose du vaccin contre le Covid-19.« A l’heure actuelle, la France n’est pas prête à accepter la vaccination massive »

Un couvre-feu avancé de deux heures est envisagé à compter du 2 janvier pour les territoires les plus touchés par l’épidémie de Covid-19, a annoncé mardi 29 décembre le ministre de la Santé Olivier Véran sur France 2.Covid-19 : un couvre-feu dès 18 heures envisagé dans les zones les plus touchées