Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - A Nancy, la vaccination coûte que coûte pour sortir « du tunnel »

Janvier 2021, par Info santé sécu social

20 JANVIER 2021 PAR MATHILDE GOANEC

Poussée avec beaucoup d’ardeur par les acteurs politiques et sanitaires locaux, la vaccination semble depuis Nancy être le seul horizon pour ce territoire durement éprouvé par le Covid-19. La circulation du virus ne faiblit pas, alertent les médecins.

Sous les arbres blanchis par la neige de la place Alliance de Nancy (Meurthe-et-Moselle), Jean-Christophe Berche fait le compte de ses proches dont la vie a été chamboulée par le Covid-19. Et la liste est longue. Son demi-frère, âgé de 50 ans, a contracté la maladie il y a six semaines, et se retrouve depuis placé en coma artificiel, à l’hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière. La situation est « terrible, terrible, pour toute la famille… », glisse Jean-Christophe, tout en tirant sur sa cigarette par-dessus son masque.

L’homme souhaite aussi parler de sa fille, qui, à 24 ans, a entamé en septembre 2020 sa première année en tant que titulaire de l’éducation nationale à Toulouse. « Elle jonglait entre cinq niveaux, différentes écoles, des protocoles Covid qui ne cessaient de changer, ça s’est fini par trois semaines d’arrêt pour asthénie sévère [une intense fatigue, souvent d’ordre psychique – ndlr], raconte son père. Le ministre de l’éducation nationale a cassé ma petite. » Dans son propre travail, l’ambiance n’est guère folichonne, selon ce fonctionnaire des finances publiques, qui s’indigne des six masques en tissu distribués aux agents, en tout et pour tout.

Sa colère porte enfin sur les mesures restrictives qui se sont multipliées depuis le début de l’épidémie. Le premier confinement, Jean-Christophe l’a vécu seul, dans vingt mètres carrés, alors qu’il se trouvait en Île-de-France pour une formation. « La notion d’enfermement des étudiants aujourd’hui, je la comprends tout à fait, ça rend fou. » De retour dans sa région depuis l’été, il a vécu la deuxième vague, le retour des attestations et le couvre-feu à 18 heures dans toute la Meurthe-et-Moselle comme la goutte de trop. « Les gens massés sur le trottoir pour l’apéro, ça concerne peut-être quelques quartiers parisiens, mais je peux vous dire qu’à Nancy, ça fait longtemps que la vie sociale c’est fini, grommelle-t-il. Mais par contre, pour aller voir mes parents à 20 kilomètres de Nancy, et notamment mon père atteint de la maladie d’Alzheimer, c’est la grosse galère. »

L’arrivée de la vaccination, dans un tel contexte, ressemble fort à la loupiote qui brille au bout du tunnel. Jean-Christophe et ses trois frères ont convaincu leurs parents de se faire vacciner. « Malgré les incertitudes, si on fait les pour et les contre, il n’y a pas d’autre solution. » Syndiqué chez Solidaires, militant local du NPA (Nouveau Parti anticapitaliste), Jean-Christophe a « pas mal bougé là-dessus », et fait confiance aux « camarades médecins, aux soignants » de son parti. « Mais au boulot, et même dans les milieux militants, la méfiance vis-à-vis de la parole publique est devenue tellement forte qu’on accepte facilement les explications venues d’ailleurs, même les plus farfelues », constate Jean-Christophe. Ce sont souvent les mêmes qui, néanmoins, « vont finalement convaincre leurs proches âgés de se faire vacciner ».

À quelques kilomètres de là, dans la ville de Pont-à-Mousson, même espoir. Celui que le vaccin enraye la spirale infernale dans laquelle Xavier Bertelle se retrouve. En juin, l’homme, un temps très impliqué dans les « gilets jaunes » de Meurthe-et-Moselle après une brève carrière politique, rachète un bar avec son fils de 20 ans. Deux lycées tout proches pour faire tourner baby-foot et billard en journée, le soir de la musique afin de faire vivre le lieu, le plan est parfait, il manque juste un coup de peinture. « Je n’aurais jamais pensé que la seconde vague serait si forte, et qu’on en serait encore là, sept mois après ». Les portes du Bar B’arts sont depuis juin restées obstinément closes.

Chaque mois qui passe, c’est mille euros de loyer qui partent en fumée, et zéro dans les caisses. « Ce qui me rend fou, c’est de ne pas avoir de date de réouverture », lance Xavier. D’ici à deux mois, la situation financière sera réellement intenable pour le patron de l’établissement, qui entendait aussi avec ce projet assurer un avenir à son fils, sans emploi depuis deux ans.

Autour de lui, assure Xavier Bertelle, même les réticents commencent à changer d’avis sur le vaccin : « Il reste quelques ultras complotistes qui ne seront jamais d’accord, mais beaucoup ont compris que c’était notre seule porte de sortie. » Chaque jour perdu dans la campagne vaccinale le fait donc sortir de ses gonds. « Ma mère a 82 ans, j’ai essayé de lui prendre un rendez-vous, il n’y a rien avant trois semaines. À ce rythme-là, nous n’en sortirons jamais. »

Sur le plan épidémique, la situation est « insuffisamment basse » dans la région, euphémise le professeur Francis Rabaud, épidémiologiste, que l’on interroge à la volée dans les couloirs du centre hospitalier universitaire, au sud de Nancy. Le ministre de la santé Olivier Véran arrive deux heures plus tard pour visiter le dispositif vaccinal mis en place dans la ville, c’est le branle-bas de combat pour l’accueillir, sans compter les médias nationaux qui bombardent d’invitations le médecin nancéen afin de comprendre ce qui se joue dans le Grand Est.

« Nous sommes à environ 250 cas pour 100 000 habitants, le virus circule toujours et continue de mettre l’hôpital sous pression, constate Francis Rabaud. On garde un haut niveau de déprogrammation pour le reste de l’activité de chirurgie. Le Covid mange aussi nos effectifs en médecine générale. » À l’hôpital, depuis le 15 décembre, le nombre de patients Covid oscille entre 150 et 180, et entre 35 et 45 personnes se trouvent toujours en réanimation, pour un service qui compte d’ordinaire 66 lits, un chiffre porté à 100 depuis l’arrivée du virus.

Le couvre-feu à partir de 18 heures, en vigueur dès le 2 janvier dans le département, a permis de ralentir un peu la montée des cas, mais « est-ce que c’est suffisant ? », s’interroge le médecin. « Il faudra peut-être faire plus, et vite, car une fois que la baignoire est pleine, c’est difficile de la vider. » Sur la même ligne, le maire socialiste de Nancy Mathieu Klein réclame depuis fin décembre des mesures plus sévères pour contenir l’épidémie (c’est également l’avis du Haut Conseil scientifique), quitte à déplaire à sa population.

« Le choix de l’instauration du couvre-feu par le gouvernement ne m’a pas valu un concert de louanges évidemment, cette décision n’enchante personne, concède l’élu. Mais je continue de penser qu’il faut faire plus, en premier lieu pour soulager un hôpital qui depuis mars dernier n’a jamais repris son souffle. » Olivier Véran, interrogé à l’issue de sa visite express à Nancy mardi, n’a pas souhaité trancher, s’en remettant au nouveau conseil de défense sanitaire prévu jeudi 21 janvier.

Les neuf centres de vaccination de la métropole pris d’assaut
Sur la vaccination, c’est la même logique, explique Mathieu Klein, qui se défend de toute « posture politicienne » ou de coup de pression sur le gouvernement, alors que la ville de Nancy a fait les gros titres en démarrant quelques jours avant tout le monde sa campagne de vaccination. Dès le 13 janvier, plusieurs centres ont ouvert pour vacciner les plus de 75 ans et des personnels de santé, des centres gérés en direct par le centre hospitalier ou montés par des équipes de soignants libéraux.

« Mon but n’était pas de lancer des polémiques inutiles, ni de prendre quiconque de court, insiste l’élu socialiste. Mais je n’ai vraiment pas compris, alors que nous avions les doses disponibles, que la logistique localement était prête et les gens motivés, pourquoi nous devions encore attendre une semaine pour élargir la vaccination au plus grand nombre possible. » Avant de remporter les élections municipales, Mathieu Klein présidait le conseil départemental. Il a vécu le début de l’épidémie, notamment dans les Ehpad, « très violemment », la crise progressant à toute vitesse sous ses yeux. « Ce sentiment d’urgence m’habite depuis le début, et je suis arrivé en poste comme maire à Nancy avec la même conviction qu’il fallait tout mettre en œuvre pour contenir l’épidémie. »

« Cela fait dix mois que nous sommes dans ce tunnel, et le vaccin dans ce contexte est l’une des seules perspectives claires, le seul élément qui paraît à peu près tangible dans un océan d’incertitudes, confirme Francis Bruneau, directeur adjoint de l’hôpital de Nancy, pour expliquer de son côté l’empressement local à vacciner. Avec le dépistage, nous avions déjà, dans un terreau favorable, une collaboration effective entre l’hôpital, les médecins et infirmiers en ville, les cliniques privées. Quand la collectivité locale nous a demandé de travailler sur les plus de 75 ans, nous étions prêts, nous avions les doses et les équipes. Or c’est tout l’enjeu de la vaccination, il faut pouvoir aligner le personnel et la logistique. »

À partir du moment où les vannes se sont ouvertes, la population s’est d’ailleurs rapidement engouffrée. La plateforme d’appel téléphonique de prise de rendez-vous, imaginée en complément du site Doctolib, a peu à peu colonisé les salles de réunion des plus anciens bâtiments de l’hôpital, en centre-ville. Elle mobilise aujourd’hui une quarantaine de personnes, qui dispatchent les patients dans tout le département.

« Ceux qui appellent sont en général déjà convaincus et ne posent pas beaucoup de questions, à part le nom du vaccin qui va leur être administré », relate Élise Mitrou, secrétaire du CHU détachée à l’exercice. Mais depuis quelques jours, « c’est de plus en plus chaud de trouver une place », poursuit la jeune femme. Devant l’engouement, la consigne est désormais de ne pas donner de nouveaux rendez-vous au-delà de quatre semaines, pour ne pas aller plus vite que le nombre de doses disponibles, d’autant plus que Pfizer a annoncé des difficultés d’approvisionnement à venir. Mardi, 12 169 personnes avaient été vaccinées en Meurthe-et-Moselle.

À l’autre bout de l’hôpital se trouve l’un des neuf centres de vaccination déployés sur la métropole. Le décor est assez solennel, boiseries sur les murs et vitraux Art nouveau au plafond, et la mission évidente : derrière les draps blancs tendus entre des barres de fer s’effectuent entre 190 à 210 vaccinations par jour, selon l’infirmière coordinatrice, perchée au fond sur une estrade. « C’est parfaitement organisé et du coup cela n’arrête pas, j’en ai plein les bottes », plaisante le professeur Henry Coudane, ancien doyen de la faculté de médecine et retraité, qui reprend du service pour l’occasion.

Chaque nouvelle annonce gouvernementale ou médiatique peut avoir pour effet de modifier la file. Ainsi, la déclaration selon laquelle les personnes de moins de 75 ans mais présentant des pathologies « à haut risque » pouvaient accéder aux vaccins s’est traduite concrètement par 75 inscrits sur ce critère, pour la journée de lundi.

Yves Piquet et Jocelyne Antonezak, venus de la commune de Seichamps en bordure de l’agglomération nancéenne, patientent en attendant leur mère et leur tante, qui à 87 et 93 ans, se font toutes deux vacciner sans trop hésiter. « Il y a eu un peu de discussion et puis finalement nous sommes tombés d’accord », explique Jocelyne. Elle ira, elle aussi, se faire vacciner dès que possible.

Jocelyne Antonezak confesse « très mal vivre » toute cette période. « Nous isoler comme ça, nous priver de notre liberté, mettre la France à terre, sans jamais nous consulter, c’est insupportable. C’est ce que je vis le plus mal, et pourtant j’ai voté pour eux : qu’on ne nous demande jamais notre avis. » Pour la vaccination, la retraitée s’est forgé un avis en se fiant « uniquement » au personnel de santé de proximité qu’elle consulte habituellement. Sûrement pas « en lisant la presse ou en écoutant les politiques, je n’ai plus confiance ni dans l’un ni dans l’autre. »

Dans le centre de vaccination de Jarville-la-Malgrange, dans l’agglomération de Nancy, le docteur Sulter pose sa main sur le bras d’une patiente, au cours de la consultation de consentement pré-vaccinale. La vieille dame s’inquiète pour son mari qui sort de l’hôpital le jour même, s’interroge sur le vaccin, les effets secondaires, évoque le virus H1N1 et la vaccination contre l’hépatite B. Sa tension monte en flèche. « C’est normal, vous avez beaucoup d’émotions », explique le professionnel. Il évoque les études achevées et en cours sur le vaccin Pfizer, redit sa confiance dans le processus, mais lui repose en bout de course la question : « Êtes-vous toujours décidée à vous faire vacciner ? » « Oui. » La patiente est accompagnée vers les infirmières qui lui feront l’injection.

Un couple prend la suite à la table de consultation. La femme a 72 ans, et donc n’a pas accès au vaccin, ce qui la fait bien rire : « Cela faisait longtemps qu’on ne m’avait pas dit que j’étais trop jeune ! » Elle accompagne son mari, l’enveloppe plastique contenant ses ordonnances à la main. Tous deux sont des élèves modèles du confinement, ils ne « voient personne » depuis le printemps, pas même leurs enfants, se lavent les mains et portent leur masque, « toujours ». Le docteur Sulter les prévient cependant : « Ce dont on est sûr, c’est que le vaccin vous évite les formes graves pendant les prochains neuf à dix mois. Ce sera sûrement plus long dans la durée, mais on manque encore du recul nécessaire pour l’affirmer. Et en attendant la deuxième injection, votre immunité reste partielle, donc on ne lâche pas les gestes barrières. » Le couple opine du chef, il a bien compris, les enfants ont déjà tout expliqué.

« Pour nous, c’est clairement une forme d’aboutissement »
Dans son cabinet en ville, les personnes âgées ne sont pas les plus difficiles à convaincre de l’intérêt de la vaccination, explique le docteur Brice Sulter. Les plus jeunes « râlent parce qu’ils n’ont pas encore accès au vaccin, mais si on arrive déjà à vacciner les plus âgés et les personnes ayant des comorbidités, on aura fait une bonne partie du boulot », considère le médecin. Il regrette surtout « le paquet de bêtises que vous, les médias, vous relayez », et qu’il doit ensuite déminer dans son cabinet.

Le centre de Jarville-la-Malgrange s’est organisé sur la base d’une ESP (équipe de soins primaires) déjà constituée autour du quartier Californie, classé prioritaire selon la politique de la ville. Organisation de « tournées covid » par les infirmiers en lien avec les généralistes, fabrication de masques par les habitants, appel aux dons pour récupérer du matériel, le printemps a déjà été synonyme d’un grand volontarisme et d’une bonne dose de débrouille. Le dépistage a été l’occasion de se rapprocher plus formellement, notamment du centre hospitalier, pour des actions coordonnées, même si le lien avec l’Agence régionale de santé (ARS) reste ténu, selon les organisateurs.

Les doses transitent par l’hôpital, qui fournit aussi les seringues et les gants, mais pour le matériel et les équipes, « ça reste de la bidouille », constate avec quelques regrets Olivier Babel, infirmier libéral dans le quartier et cheville ouvrière du centre vaccinal. Une pharmacienne de la commune vient tout juste de déposer des cartons de compresses, qu’elle a négociés gratuitement avec un fournisseur, mais le souci d’approvisionnement reste permanent. « Bornes de gel, collecteurs de produits dangereux, un peu d’argent pour offrir un plateau-repas aux équipes qui enchaînent toute la journée, on est toujours un peu seul sur ces sujets… Les infirmiers et les médecins perdent de l’argent en venant donner un coup de main ici, le centre tourne avec pas mal de bénévoles. »

La volonté de vacciner au plus vite tient beaucoup à l’enthousiasme local, selon l’infirmier. « Pour nous, qui sommes sur le pont depuis le mois de mars, c’est clairement une forme d’aboutissement, même si on reste inquiets sur les nouveaux variants. Ce qui m’étonne, c’est que la tâche est immense, mais que nous pensions que le gouvernement et l’administration se seraient penchés sur la mise en œuvre opérationnelle. » Et pourtant, « partir du local, surtout pour la vaccination, c’est super important, parce que les gens nous connaissent, nous font confiance, martèle Olivier Babel. Là, vous voyez les plus motivés se faire vacciner, mais cela a déjà nécessité un gros travail de terrain en amont. »

Si la campagne de vaccination se poursuit, c’est d’ailleurs la philosophie que privilégie aussi l’hôpital, assure Bernard Dupont, directeur du CHRU de Nancy. « Nous avons la puissance de feu pour lancer les opérations, et le type de vaccin que nous administrons actuellement nécessite notre appui logistique. Sur la durée, je ne suis pas sûr que ce soit le rôle de l’hôpital de vacciner en masse, et d’ailleurs nous n’aurons jamais les effectifs nécessaires, alors que nous avons encore chaque jour plus de patients Covid que la veille… »

L’hôpital de Nancy, à l’occasion de la crise du Covid, et après le limogeage du directeur de l’Agence régionale de santé, a obtenu la certitude que les quelque 500 suppressions de postes prévues encore ce printemps n’étaient plus à l’ordre du jour. Christian Rabaud, président de la commission médicale d’établissement, a profité de la visite du ministre mardi pour lui glisser que l’établissement attendait toujours les 650 millions d’euros d’investissements promis, à l’issue d’un immense effort de restructuration pendant des années. « J’ai pris des engagements sur la question des lits, des emplois et je les tiendrai », a affirmé Olivier Véran au micro de France 3 Lorraine, assurant qu’il prenait personnellement la main sur le dossier.

« Cette période ne ressemble à rien de connu, au lieu de compter les petits pois, on refait enfin de la santé publique, se réjouit Bernard Dupont. Les relations avec les médecins et les soignants, avec les équipes de ville, se sont transformées à cette occasion, nous nous sommes recentrés sur l’objectif de santé. Mais combien de temps cela va-t-il durer ? »

Et combien de temps faudra-t-il tenir à ce régime ? Au fur et à mesure que la campagne vaccinale se déploie, se multiplient également les appels pour faire rentrer d’autres catégories de « prioritaires » dans le dispositif. Jean-Michel Blanquer a ainsi annoncé qu’il souhaitait que les enseignants puissent se faire vacciner dès le mois de mars.

Depuis presque un an, en raison de personnes fragiles dans son entourage, Sylvie (prénom d’emprunt), professeur de français dans un collège de la deuxième couronne autour de Nancy, son mari et ses deux enfants vivent comme reclus. « Nous sortons pour aller au travail, faire des courses, c’est tout. Nous avons un gros cercle d’amis, nous ne voyons plus personne. Le virus est ancré dans nos vies et forcément, il y a une lassitude immense, des besoins qui ressurgissent. »

La possible vaccination n’est même pas un débat en salle de classe, les collègues de son établissement ne se croisant plus guère, en raison du protocole sanitaire. Mais Sylvie, conseillée par des proches médecins, est déjà convaincue. « Je vois 120 élèves par jour, sans compter ceux que je croise dans les couloirs, je suis au milieu de 600 personnes toute la journée. Oui, j’ai plus de risques que dans un bureau de six personnes, mais tout comme ceux qui travaillent toute la journée au contact du public dans un supermarché. » Elle se réjouit par ailleurs de la politique très volontariste pour la vaccination sur le territoire.

L’enseignante, qui se décrit comme « bon petit soldat », se plie d’ailleurs sans trop de mal aux décisions. Mais la fonctionnaire, « programmée pour fonctionner », désormais vacille et a bien du mal à « à cerner les choses ». « Quand les chiffres ont à nouveau augmenté dans la région, je n’ai pas compris pourquoi on laissait les gens faire les fêtes, pourquoi on ne nous reconfinait pas deux semaines, début janvier, pour limiter la casse. »

La gestion, assez hiératique, de la crise par son ministre, place Sylvie dans le même état de fébrilité. « Je n’ai rien contre les protocoles, mais ils manquent cruellement de clarté, et surtout, nous les apprenons toujours au pied du mur, le jeudi des conférences de presse…. Cela donne l’impression qu’on joue avec nous, que les enseignants ne sont pas pris au sérieux. » Au travail, l’enseignante avance donc depuis des mois avec une « épée de Damoclès » au-dessus de la tête : « Notre ministre dit que ce n’est pas dangereux, et en même temps il veut multiplier les tests et faire vacciner au plus vite les enseignants. C’est de ces incohérences que naît ma peur. » Il faudra manifestement, à Sylvie comme aux autres, plus qu’une perspective de vaccin pour faire taire les angoisses.