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Libération - Check-News - Vaccin Pfizer : le risque de pénurie en seringues adaptées menace-t-il l’extraction de la sixième dose ?

Février 2021, par Info santé sécu social

Par Anaïs Condomines 29 janvier 2021 à 18:05

En pratique, les praticiens optent pour le système D. et se rabattent sur des seringues dites à tuberculine.

Il faut désormais faire avec. Le 8 janvier, l’Agence européenne du médicament (EMA), répondant aux demandes des laboratoires Pfizer et BioNTech, a estimé qu’il était possible d’extraire six doses par flacons de vaccin, au lieu des cinq précédemment recommandées. Un ajustement qui transforme cette dose, d’abord perçue comme un bonus, en impératif. Pfizer et BioNtech ont immédiatement ajusté leur volume de livraisons, considérant désormais que chaque flacon comptait six doses et non plus cinq. Résultat : un gros bénéfice financier pour les labos, et pour les Etats, un nouveau défi logistique.

Car l’extraction de cette sixième dose n’est pas systématique. Les autorités sanitaires, à commencer par l’Agence européenne du médicament, recommandent d’utiliser une seringue dite à « faible volume mort ». En d’autres termes, une seringue munie d’une aiguille sertie, qui limite les pertes du produit une fois le piston totalement repoussé dans le corps de la seringue.

Promesses de livraisons
Or ces fameuses seringues ne correspondent pas à celles qui ont, initialement, étaient commandées par le gouvernement. Dans un premier temps, c’est du matériel standard qui a été acheté auprès des producteurs. Et s’il n’y avait pas de pénurie à proprement parler, la question de leur capacité à suivre le rythme de production était posée, ainsi que CheckNews l’expliquait dans un précédent article. Face au revirement de Pfizer, la Direction générale de la Santé (DGS) promet, auprès du Monde notamment, qu’elle travaille à « adapter nos livraisons en termes de matériel, en faisant en sorte de livrer des seringues et des aiguilles les mieux à même de faciliter l’extraction de la sixième dose par les professionnels ».

Seulement voilà : si la norme consistant à extraire six doses par flacon a bien été communiquée aux praticiens, les seringues spéciales, elles, n’arrivent pas. L’AP-HP (Assistance publique-Hôpitaux de Paris) par exemple, a confirmé cette semaine lors d’un point presse être toujours dans l’attente des livraisons. « Donc pour l’instant, on utilise des méthodes validées par la collégiale des pharmaciens, pour être en mesure de faire ces six doses » précise la direction.

Rien d’étonnant à ce retard. Car la France n’est évidemment pas seule à être confrontée à ce nouveau challenge. L’ensemble des pays européens sont logés à la même enseigne. Ainsi que les Etats-Unis. Résultat, le géant mondial du secteur, l’entreprise américaine Becton Dickinson (BD) qui fournit les Etats-Unis et l’Europe, croule désormais sous les demandes de seringues avec aiguilles serties. Aux agences de presse cette semaine, son porte-parole a expliqué que « lorsque nous avons commencé à planifier avec le gouvernement américain les besoins en dispositifs d’injection au printemps 2020, l’accent n’était pas mis sur les seringues à faible espace mort, et la priorité a été donnée à d’autres dispositifs ». Ces aiguilles faisant l’objet d’une production « de niche », il va falloir attendre un certain temps avant que la production ne décolle, selon BD.

En France à l’heure actuelle, c’est Santé Publique France (SPF) qui est en charge des commandes et livraisons des « consommables », c’est-à-dire du matériel censé accompagner les flacons de vaccins. Sollicitée par CheckNews à maintes reprises à ce sujet, SPF n’a pas encore donné suite.

« On racle les fonds de tiroirs »
Sans seringues livrées, se dirige-t-on vers un gâchis à grande échelle de la sixième dose, désormais comptabilisée dans les livraisons totales ? En fait, pas tant que ça. Du moins, pas pour le moment. Le ministre de la Santé a communiqué jeudi 28 janvier, en conférence de presse, les conclusions d’une rapide enquête réalisée auprès d’une centaine de centres de vaccination. Il indique qu’en moyenne une sixième dose a pu être extraite pour 86 % des flacons utilisés. Une statistique reposant sur un panel réduit, dont on ne sait pas si elle est forcément transposable au niveau national.

Et sur le terrain, Thierry Amouroux, du syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI), rapporte à CheckNews à peu près le même ordre de grandeur que le ministère : « La sixième dose n’est pas automatique, mais on arrive à l’extraire sur 75 % à 80 % des flacons environ. » Un constat qui ne l’empêche pas d’être en colère. Car en pratique dit-il, « on se débrouille ».

Dans les faits, les praticiens n’ont pas attendu les livraisons providentielles de seringues avec aiguilles serties. Il apparaît que, d’eux-mêmes, de nombreux services hospitaliers ont trouvé dans leurs stocks de matériel pouvant faciliter l’extraction de la sixième dose. « Souvent, les centres de vaccination sont rattachés à des hôpitaux. En termes de matériel, ils s’y adossent quand Santé publique France a failli à sa mission et trouvent des aiguilles qui correspondent. Mais pour résumer, on est sur du système D, on racle les fonds de tiroirs », reprend Thierry Amouroux.

Seringues dites à tuberculine
Toutes les sources hospitalières contactées par CheckNews dans le cadre de cet article le confirment : la seringue dite à tuberculine, assez répandue dans les hôpitaux, semble faire l’affaire. Il s’agit d’une seringue à faible volume mort, très précise, utilisée entre autres pour l’administration de tests tuberculiniques, qui comprend trois pièces : un corps, un piston et une aiguille prémontée. Un praticien à l’hôpital Georges-Pompidou, au sein de l’AP-HP confirme : « Ces seringues suffisent pour extraire la sixième dose et c’est un dispositif médical très courant. » Selon lui, donc, pas de panique.

Une fiche Europharmat éditée par la Société française de pharmacie clinique (SFPC), préconise l’utilisation de ce type de seringue pour l’injection du vaccin Pfizer. Elle décrit ainsi : « La seringue pour prélever et injecter le vaccin au patient est une seringue de 1 ml dite à tuberculine, permettant une mesure la plus précise de la dose à prélever. »

« On s’est rabattu sur les seringues dites à tuberculine, confirme aussi Mohamed Benaïssa, pharmacien hospitalier et président de la commission médicale d’établissement, à l’hôpital d’Apt (Provence-Alpes-Côte-d’Azur). De cette manière, on récupère sans problème la sixième dose. »

Dans son hôpital, on a décidé, de manière peu conventionnelle, de centraliser la préparation des doses dans la pharmacie de l’établissement, qui dessert ensuite le centre de vaccination, lui aussi situé dans l’enceinte de l’hôpital. Une sorte de circuit court de la vaccination qui permet d’éviter le gâchis. « Les premiers jours, les équipes du centre faisaient la préparation et on a perdu des doses. On a décidé de centraliser et comme ça, on livre les seringues prêtes à l’emploi. Récupérer la sixième dose, ça demande du savoir-faire et du matériel. »

Vers une pénurie des seringues ?
Côté matériel, justement, Mohamed Benaïssa s’en sort pour le moment, grâce aux seringues à tuberculine. Mais voit poindre la pénurie à l’horizon, d’autant que son établissement n’est pas desservi par SPF en consommables. Olivier Véran a assuré que l’Etat était chargé de fournir flacons et matériel d’injection aux centres de vaccination, mais sur le terrain, nous constatons que plusieurs centres sont uniquement livrés en flacons pour l’instant.

Le praticien poursuit : « Pour dépanner, on est sortis du marché. On est allés se ravitailler chez les pharmaciens de ville, qui passent par d’autres réseaux d’approvisionnement. Nos commandes auprès des fournisseurs classiques – en l’occurrence BD – commencent à être rationnées. La semaine dernière, j’ai commandé 1 000 seringues, pour les vaccins Covid et les autres procédures à l’hôpital, et on n’a pu m’en livrer que 500. » Vérification faite, sur différents sites proposant la vente de seringues à tuberculine, un message d’avertissement prévient d’une livraison inhabituellement longue ou de ruptures totales de stocks.

Pour résumer : si les livraisons de seringues à faible volume mort promises par les autorités sanitaires tardent à arriver, en raison d’une forte tension sur les producteurs mondiaux, les praticiens reliés à des centres hospitaliers peuvent se rabattre sur la seringue à tuberculine, qui pourrait, à terme, venir à manquer. Cela pose également la question des centres de vaccination non rattachés à de gros établissements hospitaliers.

Anaïs Condomines