Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : Relevant les failles de la mission de l’OMS à Wuhan, des scientifiques appellent à une enquête indépendante sur les origines du Covid-19

Mars 2021, par infosecusanté

Le Monde.fr : Relevant les failles de la mission de l’OMS à Wuhan, des scientifiques appellent à une enquête indépendante sur les origines du Covid-19

Le groupe demande à la communauté internationale de créer une nouvelle structure, constatant les limites d’accès et les conflits d’intérêts de la mission actuelle.

Par Stéphane Foucart

Publié le 04/03/2021

« Elucider les origines du SARS-CoV-2 est crucial pour mieux faire face à l’épidémie actuelle et réduire les risques de futures pandémies. Malheureusement, plus d’un an après l’apparition des premiers cas, les origines de la pandémie sont toujours inconnues. » Moins d’un mois après la fin des travaux de la mission conjointe de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et des autorités chinoises, chargée d’enquêter sur le transfert à l’homme du nouveau coronavirus, un collectif d’une trentaine de personnalités appelle à la conduite d’une investigation complète et indépendante aux sources de la pandémie de Covid-19.

Publié jeudi 4 mars aux Etats-Unis par le Wall Street Journal et en France par Le Monde, l’appel est notamment signé par Jamie Metzl, membre du Conseil de sécurité nationale de la Maison Blanche sous l’administration Clinton et ancien collaborateur de Joe Biden, mais aussi par les virologues Bruno Canard et Etienne Decroly, chercheurs au CNRS, les généticiens Jean-Michel Claverie (université d’Aix-Marseille) et Virginie Courtier (Institut Jacques-Monod, CNRS).

La lettre ouverte expose d’abord les limites structurelles de l’exercice mené par la mission commune OMS/Chine. Il propose ensuite une liste des conditions nécessaires à la conduite d’une enquête scientifique susceptible de répondre aux questions posées par l’émergence de la maladie. L’initiative apparaît comme une réaction aux premières conclusions de l’équipe OMS/Chine, présentées le 9 février à Wuhan au cours d’une conférence de presse de près de trois heures.

Tous les scénarios possibles doivent être examinés
Ces premières conclusions avaient suscité de nombreuses interrogations au sein de la communauté internationale. En particulier, la mission avait appelé à intensifier la recherche sur une possible circulation du nouveau coronavirus par l’intermédiaire du commerce de produits surgelés, contribuant ainsi à accréditer une thèse soutenue par les autorités chinoises, pour qui le virus aurait pu être introduit en Chine par ce biais. La mission avait également jugé l’hypothèse d’un accident de laboratoire suffisamment improbable pour rendre inutile toute poursuite des investigations scientifiques en ce sens.

Une affirmation qui avait soulevé le scepticisme de l’administration américaine et une prise de position opposée du directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus. « D’aucuns se sont interrogés pour savoir si certaines hypothèses [sur l’origine de la pandémie] avaient été abandonnées et, après avoir discuté avec les membres de l’équipe, je souhaite confirmer que toutes les hypothèses restent sur la table », avait-il déclaré, trois jours après la conférence de presse de Wuhan.

De même, dans sa lettre ouverte, le collectif rappelle que tous les scénarios possibles doivent être examinés : « Evénement zoologique avec ou sans animal intermédiaire », « infection sur un site de prélèvement d’un employé de laboratoire ou d’un membre du personnel accompagnant », « infection pendant le transport d’animaux et/ou d’échantillons collectés », « infection acquise en laboratoire dans la ville de Wuhan », « fuite de laboratoire sans infection acquise dans son enceinte », par le biais, notamment, de l’évacuation de déchets ou de la fuite d’animaux.

« Les membres internationaux de l’équipe conjointe, de leur propre aveu, se sont souvent appuyés sur la parole de leurs homologues chinois plutôt que sur une enquête indépendante, écrivent les signataires

Pour le collectif, la mission commune n’avait ni le mandat, ni tout le spectre des compétences requises, ni l’indépendance, ni l’accès aux données nécessaires pour conduire une véritable investigation. « Nous souhaitons attirer l’attention, écrivent les signataires, sur le fait que la moitié de l’équipe conjointe (…) est composée de citoyens chinois dont l’indépendance scientifique pourrait être limitée, que les membres de la commission se sont basés sur les informations que les autorités chinoises ont choisi de leur communiquer et que tout rapport de l’équipe conjointe doit être approuvé par les membres chinois et internationaux. »

L’accord entre la Chine et l’OMS définissant les prérogatives et le cadre de travail de la mission commune est vivement critiqué. Par exemple, expliquent-ils, « la plupart des travaux sur le terrain doivent être menés par la partie chinoise, les résultats étant simplement communiqués aux membres internationaux de l’équipe conjointe pour examen et discussion ». La sélection des membres de la mission n’a pas permis d’éviter les conflits d’intérêts (un des membres de la partie internationale de l’équipe a, par exemple, financé des travaux de l’Institut de virologie de Wuhan sur des coronavirus de chauve-souris), relève également le collectif.

En outre, les membres de la mission n’ont pas eu accès à de nombreuses données relatives aux laboratoires de recherche visités. « Les membres internationaux de l’équipe conjointe, de leur propre aveu, se sont souvent appuyés sur la parole de leurs homologues chinois plutôt que sur une enquête indépendante, notamment en ce qui concerne la possibilité d’un accident lié à un laboratoire ou à la recherche [scientifique] », écrivent les signataires. La mission commune, ajoutent-ils, a de plus opéré dans le cadre d’un ordre de confidentialité pris par les autorités chinoises, « mis en place une semaine après que la mission conjointe de l’OMS a quitté la Chine, en février 2020 » et qui a « empêché tout partage spontané d’informations sur la pandémie ».

Equipe indépendante
« Nous reconnaissons qu’en tant qu’agence internationale dépendant de la collaboration de ses Etats membres, l’Organisation mondiale de la santé est limitée dans ce qu’elle peut réaliser dans ce type d’enquête, précise toutefois la lettre ouverte. Notre intention n’est pas d’affaiblir l’OMS, qui travaille dans des circonstances difficiles à un moment où les besoins mondiaux sont immenses. »

Le collectif enjoint ainsi la communauté internationale de créer une nouvelle structure et un processus capables de pallier les failles structurelles de la mission commune. Une telle investigation, argumentent les signataires, devrait être menée par une équipe indépendante, pluridisciplinaire, incluant des personnes familières de la langue et de la culture chinoises, ayant accès « à tous les sites, dossiers, échantillons et personnels d’intérêt » (registres des personnels des marchés et des laboratoires de Wuhan, dossiers hospitaliers des patients précoces ou suspects, sites de prélèvement d’échantillons viraux sur la faune sauvage, banques de sang, échantillons prélevés sur les marchés, dans des élevages ou l’environnement, séquences génétiques des agents pathogènes étudiés dans les laboratoires de recherche, registres des expériences menées, etc.). Les auteurs estiment également important de pouvoir réaliser des entretiens confidentiels avec les premiers patients suspects et leur famille.

Pour l’heure, nul ne connaît avec précision les conclusions définitives de la mission telles qu’elles seront formulées dans son rapport final et qui devront être acceptées par les autorités chinoises. A l’issue de la conférence de presse, l’OMS avait annoncé la publication d’un résumé du rapport de la mission « dans les prochains jours », et du rapport d’enquête complet dans les semaines suivantes. A l’OMS, on explique désormais que le rapport résumé pourrait ne jamais voir le jour, certains membres de la mission préférant s’en tenir à la publication du rapport complet. Aucune date n’est encore arrêtée pour sa publication.