Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Médiapart - Retard dans la vaccination : le gouvernement tance un peu vite les soignants

Mars 2021, par Info santé sécu social

6 MARS 2021 PAR CAROLINE COQ-CHODORGE

Le gouvernement, pour qui les soignants ne sont pas assez vaccinés, menace de passer à la contrainte. C’est oublier tous les soignants qui ont été contaminés. Et c’est sous-estimer leur défiance après un an de crise sanitaire.

Dans cette campagne de vaccination, le gouvernement n’a décidément aucun cap. D’abord, il a voulu ménager les sceptiques, préparant une campagne de vaccination qui prenait son temps. Dans ses premiers plans, les professionnels de santé de plus de 50 ans ne devaient se faire vacciner qu’à la fin du mois de février. Devant le tollé, le plan de route a été revu en catastrophe (lire notre enquête ici). Dès le mois de janvier, la vaccination a été ouverte aux soignants de plus de 50 ans, puis à tous les soignants le 7 février, quand ont été reçus les lots de vaccins AstraZeneca.

Le gouvernement tance désormais : « 40 % des soignants en Ehpad, 30 % des soignants sur l’ensemble du système de santé sont vaccinés. Clairement, cela ne suffit pas, a sermonné le ministre de la santé Olivier Véran, jeudi 4 mars. Je vous le dis en franchise, quand on est soignant, il est de notre responsabilité de se protéger soi-même et d’éviter d’exposer ceux dont on prend soin. »

Le message se télescope avec l’ire présidentielle contre les doses de vaccins restées inutilisées. Au dernier Conseil de défense autour d’Emmanuel Macron, le président a prévenu et l’a fait savoir : il ne reconfinera pas le pays, « tant qu’il y aura des vaccins dans les frigos ».

Qu’importe si les quantités de vaccins disponibles en France sont, pour l’instant, loin d’être suffisantes pour influer sur le cours de l’épidémie. Un peu plus d’un million de doses livrées sont jusqu’ici inutilisées en France. De fil en aiguille, des responsables ont été trouvés : les soignants qui refusent de se faire vacciner.

Le monde médical, au paternalisme toujours bien ancré, a tiré le premier. Le professeur de pharmacie François Chast, ancien président de l’Académie nationale de pharmacie, a réclamé le premier, dans un courriel à ses confrères, « la vaccination obligatoire des professionnels de santé », soulignant que « la Covid nosocomiale », que les patients contractent dans les hôpitaux, « est un vrai scandale ». Il l’a répété sur France Inter ce mercredi.

Le premier ministre Jean Castex puis Olivier Véran ont pris la balle au bond, jeudi, agitant tous l’idée de saisir le Conseil consultatif national d’éthique sur l’obligation vaccinale du personnel soignant. « On ne répond pas à la défiance par l’obligation », disait pourtant Emmanuel Macron début décembre.

L’obligation vaccinale est cependant loin de faire l’unanimité parmi les médecins. « Les médias reprennent aujourd’hui un discours sur les mauvais soignants, qui refusent d’être vaccinés et qui vont y être contraints… Les stigmatiser ainsi, alors qu’ils font face à une troisième vague, qu’ils ont dû multiplier les places en réanimation, dans un hôpital fatigué…, s’agace Xavier Mariette, professeur de rhumatologie à l’hôpital Bicêtre (Val-de-Marne). Une obligation vaccinale brutale peut les faire fuir un peu plus. À l’hôpital aujourd’hui, de nombreux lits sont fermés, faute de soignants. »

« Cette manière de faire – vaccinez-vous, sinon vous y serez obligés – est infantilisante, renchérit l’infirmière de l’hôpital d’Oloron-Sainte-Marie (Pyrénées-Atlantiques) et présidente du collectif Inter-Urgences Noémie Banes. J’ai été interviewée hier à la télévision : selon un professeur de médecine et un journaliste, on refuse le vaccin parce qu’on est complotistes, parce que l’on croit que l’on va nous insérer une puce 5G dans le bras. Il faut arrêter de nous prendre pour des idiots ! »

Yasmina Kettal, infirmière dans une unité d’addictologie de l’hôpital de Saint-Denis et syndicaliste Sud, n’a pas non plus digéré les propos du ministre : « Il nous met en cause, en ne mentionnant même pas à quel point nous sommes en sursaturation. À Saint-Denis, nous n’avons plus de lits de réanimation disponibles, nous transférons sans cesse des patients. »

Ce samedi matin 6 mars, l’Ordre des médecins y est allé aussi de sa leçon de morale, rappelant aux soignants que « se faire vacciner est une exigence éthique qui s’impose à tous, la vaccination diminuant considérablement les chaînes de transmission ». Mais c’était surtout une manière de montrer du doigt les autres soignants : l’Ordre « tient à saluer les médecins, dont plus des deux tiers ont d’ores et déjà répondu à cette exigence et accompli leur devoir ».

Le ministère de la santé n’a pas pu communiquer le détail de la vaccination des différentes professions de santé. Mais une enquête réalisée par le Groupe d’étude sur le risque d’exposition des soignants (Geres) sur la vaccination anti-Covid, réalisée auprès de 10 000 personnes, montre en effet une différence nette dans l’adhésion à la vaccination entre les professions de santé : l’adhésion au vaccin est de 82,4 % chez les médecins, de 47,1 % chez les infirmiers, de 30,5 % chez les aides-soignants. Et elle est plus faible lorsque les professionnels exercent en Ehpad.

Mais la tendance à l’amélioration de la vaccination au cours du temps est commune à toutes les professions. Par exemple, moins de 40 % des infirmiers acceptaient de se faire vacciner fin décembre, fin janvier ils étaient plus de 70 %.

Seulement, cette enquête, qui s’arrête au 1er février, ne concerne que le vaccin ARN messager de Pfizer et Moderna. Le vaccin AstraZeneca, réservé dans un premier temps aux soignants de moins de 65 ans, n’a lui été livré en France qu’à partir du 7 février. Et il a d’abord dérouté.

« On n’a parlé que des effets indésirables de ce vaccin, regrette Florence Pinsard, cadre de santé à l’hôpital de Pau (Pyrénées-Atlantiques). Et c’est vrai, beaucoup de soignants ont eu des symptômes grippaux [lire notre article ici], c’était assez impressionnant. »

Plus largement, la cadre de santé, qui encadre une équipe d’infirmières et d’aides-soignantes, constate « un tel manque de confiance ! Il s’explique : les heures supplémentaires pour remplacer les collègues malades ne sont pas toujours payées. Ceux qui ont eu le Covid pendant la première vague ont perdu une partie de leur prime. Ils sont désabusés. Ils n’ont même pas écouté Jean Castex jeudi soir ! »

« Nous avons aussi besoin d’informations, pas de discours paternalistes »
À Saint-Denis, Yasmina Kettal analyse ainsi l’état d’esprit de ses collègues qui refusent de se faire vacciner : « On a vécu dans le mensonge. On a été les premiers à alerter sur les risques de transmission à l’hôpital, faute de protections. On ne nous a pas écoutés, on nous a même demandé de travailler en étant positifs. Et maintenant on nous accuse d’être à l’origine de clusters ? »

Dans son hôpital, « 25% du personnel est vacciné, ce n’est pas si mal. Car à ce chiffre il faut ajouter tous ceux qui ont eu le Covid, et ils sont nombreux ». Or, la Haute Autorité de santé ne recommande pas la vaccination aux personnes qui ont été testées positives, dans les trois à six mois suivant l’infection.

Noémie Banes, présidente du collectif Inter-Urgences, insiste elle aussi sur le nombre de soignants contaminés. Selon l’enquête du Geres, 15 % des infirmiers, 20 % des aide-soignants, 12 % des médecins, 10 % du personnel administratif.

Et ceux qui ne l’ont pas été « ont peut-être le sentiment de ne pas être sensibles au virus, poursuit Noémie Banes. Beaucoup sont jeunes et ne le craignent plus. Et comme il y a des doutes sur l’efficacité du virus sur la transmission, ils ne sont même pas sûrs de protéger leurs patients. On entend tout sur ces vaccins, il y a un vrai problème de communication ».

Le professeur de rhumatologie Xavier Mariette confirme : « Il y a eu des erreurs de communication. On a beaucoup dit qu’il n’y avait pas de preuve que le vaccin empêche la transmission. Les preuves arrivent aujourd’hui. Mais c’était le plus probable ! Je suis aussi immunologue et je ne connais pas de vaccin efficace contre un virus qui n’empêche pas sa transmission. »

« On a aussi mis dans la tête des gens que l’AstraZeneca était moins bien que le Pfizer, poursuit le médecin. À l’hôpital, les plus de 50 ans, qui sont souvent des médecins, ont été vaccinés avec du vaccin Pfizer. Au départ, il y a un véritable afflux. Puis est arrivé l’AstraZeneca. Les autres professionnels de santé, qui sont plus jeunes, ont eu le sentiment de recevoir un vaccin de seconde zone. »

Yasmina Kettal, 32 ans, a été vaccinée parmi les premières dans son hôpital avec l’AstraZeneca. Et elle a eu de forts symptômes grippaux pendant 24 heures, à tel point qu’elle a dû prendre une journée de congés. Elle tente d’avancer des solutions. « Les hôpitaux devraient accorder une journée d’absence après la vaccination AstraZeneca, car ce n’est pas normal d’avoir un jour de carence à cause des effets secondaires, ou même de ne pas pouvoir s’occuper de ses enfants. C’est ce qu’a fait notre hôpital. Nous avons aussi besoin d’informations sur les vaccins, pas de discours paternalistes. Où sont les campagnes du gouvernement à destination des soignants ? Notre hôpital a fait plusieurs vidéos. La première était infantilisante, la deuxième répond à cinq questions sur le vaccin AstraZeneca, et elle fonctionne bien. »

Xavier Mariette renchérit : « Dans mon service, au staff hebdomadaire, on parle toujours un peu du Covid et de la vaccination. Petit, à petit, ceux qui étaient réticents évoluent. On est une cinquantaine de personnes. Une quinzaine ont eu le Covid, car on a eu deux clusters, à la première vague et en début d’année. Parmi les autres, 80 % sont aujourd’hui vaccinés. »

Au centre hospitalier de Pau, la direction a fait passer le message de l’Agence régionale de santé : « Ceux qui veulent être vaccinés doivent prendre rendez-vous pour réserver leurs doses. Toutes celles qui ne sont pas utilisées sont utilisées autrement. Je le comprends, mais nous n’avons eu que quatre semaines, c’est peu. »

Dans son service, un quart des soignants a été vacciné, un quart a déjà eu le Covid. La moitié reste donc à vacciner. « J’ai donné l’exemple, les médecins aussi, on a informé. Certains changent peu à peu d’avis. »

À ses yeux, l’efficacité et l’utilité des vaccins sont évidentes : en janvier, l’ensemble du bâtiment de gériatrie de l’hôpital est devenu un immense cluster, une période très dure qu’elle a racontée à Mediapart (lire notre article ici). De nombreux patients sont décédés du Covid. Aujourd’hui, tous les patients du service sont vaccinés et « il n’y a plus aucun cas. Ça marche ».