Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - Agnès Pannier-Runacher : « Nous ne devons pas nous laisser enfermer dans une négociation avec deux ou trois laboratoires »

Avril 2021, par Info santé sécu social

La ministre déléguée à l’Industrie revient sur la stratégie vaccinale française et confirme notamment que des discussions pour des précommandes de vaccins contre le Covid sont en cours.

Publié le 19 avril 2021

Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée à l’Industrie, confirme que de nouveaux contrats de commandes de vaccins anti-Covid sont en cours. Elle pointe les manquements des laboratoires AstraZenaca et Sanofi mais se prononce contre la suspension temporaire des brevets des laboratoires sur le vaccin qui permettrait une fabrication sous licence libre.

L’Union européenne est-elle en train de finaliser de nouvelles commandes de vaccins ?

Il y a de nouvelles discussions pour des précommandes qui couvriront la période 2022-2023, afin de sécuriser l’approvisionnement en doses de l’Union européenne. La date de signature de ces nouveaux contrats n’est pas encore fixée. S’agissant du nombre de doses, les scientifiques doivent évaluer la durée de la protection après une première vaccination pour évaluer le besoin. Mais nous travaillons déjà à sécuriser la livraison de 900 millions de doses en 2022 et autant en 2023.

Le prix de la dose va-t-il augmenter ?

Les dirigeants bulgares qui mentionnent un passage de 12,50 euros la dose à 15 euros n’ont pas dû bien lire leur contrat. Une partie avait été prépayée par l’Union européenne. En revanche, l’augmentation des prix dans les contrats à venir, dits de deuxième génération, est une réalité. Nous ne devons donc pas nous laisser enfermer dans une négociation avec deux ou trois laboratoires sous prétexte qu’ils seraient efficaces. Il y d’autres vaccins qui arrivent sur le marché. Curevac sur les ARN messagers. Novavax qui a donné de bons résultats et dont la technique utilisée, la protéine recombinante, est connue pour donner peu d’effets secondaires. Sanofi s’appuie sur la même technologie et doit arriver au quatrième trimestre. Les vaccins des laboratoires Novavax et Sanofi sont vendus à des tarifs moins élevés que les ARN messager. En dessous de 10 euros pour l’un d’entre eux, mais les prix exacts sont encore confidentiels.

De ce que l’on connaît des contrats de commandes signés jusqu’à maintenant, ne sont-ils pas surtout à l’avantage des laboratoires ?

Les contrats signés par l’Union européenne jusqu’à présent ont été les plus exigeants sur la question de la responsabilité. Il est normal que le risque lié à une situation nouvelle soit mutualisé dès lors que le laboratoire a mené les essais cliniques préalables et industrialisé la fabrication dans les strictes règles de l’art. C’est-à-dire qu’à aucun moment, il n’y a eu ni faute, ni négligence, ni sous-estimation d’informations dans les essais cliniques. Dans le cas contraire, c’est la responsabilité du laboratoire qui serait engagée.

Les nouveaux contrats de commande prévoiront-ils cette fois-ci des pénalités en cas de retard de livraison ?

La fabrication de vaccins en moins de douze mois, ça n’avait jamais été fait ! Il était donc difficile d’exiger de la part d’un industriel de payer des pénalités de retard pour n’avoir pas exécuté une prouesse technologique. Dans les prochains contrats, les vaccins et les lignes de production existeront déjà. Les laboratoires seront donc en mesure de fournir des doses, et en cas de retard leur responsabilité pourra être mise en œuvre.

Le laboratoire AstraZeneca n’a-t-il pas failli sur toute la ligne ?

AstraZeneca, qui n’est pas un laboratoire habitué à fabriquer des vaccins, a probablement sous-estimé la difficulté liée à leur industrialisation. S’y ajoute une tentation d’être toujours un peu trop optimiste. BioNTech n’a jamais décalé ses livraisons de plus d’une semaine au regard de ses engagements. Ils ont même, à certains moments, pris de l’avance. AstraZeneca n’a pas été aussi performant, et de loin, dans l’exécution de son contrat. La deuxième chose qui ne va pas avec ce laboratoire, c’est le traitement différencié des approvisionnements entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, alors que le contrat a été passé dans les mêmes conditions au même moment. Ce comportement pose des questions de nature à engager leur responsabilité contractuelle. C’est aussi un sujet éthique. L’Union européenne a envoyé un premier courrier précontentieux à AstraZeneca et n’exclut pas d’aller plus loin.

Pourquoi l’Etat français n’a-t-il pas plus soutenu le laboratoire Français Valneva, dont le projet de vaccin a reçu un accueil plus favorable au Royaume-Uni ?

Sur les relations de Valneva avec un grand laboratoire français, je ne me prononcerai pas car je ne connais pas la situation. En ce qui concerne l’Etat français, la Banque publique d’investissement (Bpifrance) est actionnaire de Valneva et nous avons fait une proposition de financement à 80 % des investissements, soit le maximum légal. Je n’ai donc pas le sentiment que nous ayons été inconséquents avec cette entreprise qui n’a pas de site de production en France. Qu’ensuite Valneva ait choisi le Royaume-Uni où ils produisent, c’est une décision qui leur appartient. On nous a donc reproché notre manque d’ambition, notamment à l’Assemblée nationale… mais dans le même temps je me faisais insulter sur le thème du gouvernement qui déroulerait le tapis rouge aux « big pharma » !

Que vous inspire le parcours du géant français Sanofi sur le vaccin anti-Covid ?

Je pense qu’ils ont commis une erreur qui devrait interroger les dirigeants de Sanofi et son conseil d’administration. Que s’est-il passé pour qu’un leader mondial en matière de vaccination soit confronté à cette situation ? J’ai eu des échanges assez intenses et directs avec Sanofi. J’ai fait part au président de ce groupe de notre très grande déception, de nos interrogations et du fait que nous estimions qu’il avait un travail à faire en interne. Ce laboratoire semble maintenant revenu dans les rails.

Pourquoi la France et les Etats de l’Union européenne sont-ils si opposés à la suspension temporaire des brevets sur les vaccins qui permettrait une production sous licence libre ?

Le sujet n’est pas celui de la propriété intellectuelle mais de la production industrielle. Avoir la recette du vaccin c’est bien, avoir les usines c’est mieux. Et disposer des ingénieurs qualifiés qui savent fabriquer les vaccins c’est encore mieux. Le laboratoire Moderna a annoncé en novembre qu’il n’opposerait pas la question de la propriété intellectuelle à d’autres laboratoires. Pour autant, a-t-on vu 15 labos se précipiter pour produire à sa place ? Non. Les capacités de production d’ARN messager en quantité industrielle restent limitées car les équipements sont à construire s’agissant d’une technologie nouvelle. Nous n’avons actuellement que quelques sites capables de faire de la finition et de l’embouteillage, parce qu’il faut des équipes spécialisées en la matière. Sur un vaccin, si on a un problème de sûreté ou d’homogénéité, on jette tout. Que l’on me donne le cas d’une production de vaccins qui n’a pas pu se faire parce que l’on n’a pas levé les brevets.

Le vaccin Spoutnik-V cherche partout des sites de production et ce n’est pas une question de propriété intellectuelle. Faire du vaccin un bien public mondial c’est le rendre accessible à tous. C’est faire en sorte qu’il y ait le maximum de doses qui sortent du maximum de sites avec le maximum de sécurité pour le maximum de personnes. C’est l’enjeu des mécanismes de dons comme Covax ou Gavi qu’on peut sans doute accélérer. Et puis, ne pas rémunérer la recherche en suspendant les brevets, n’est-ce pas faire le jeu de la délocalisation vers les géants asiatiques de la pharmacie qui n’ont pas besoin de ça pour déjà produire des vaccins ?