Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Libération - Covid-19 : la tentation du relâchement

Avril 2021, par Info santé sécu social

Pour certains épidémiologistes, le gouvernement ne prend plus le temps d’atteindre un faible niveau de contamination pour envisager de relâcher les restrictions. Un pari qui peut s’avérer « très dangereux ».

publié le 20 avril 2021
C’est un « frémissement », un « balbutiement », un « infléchissement » vers les premiers signes de bonnes nouvelles. Depuis le début de la crise du Covid-19, le langage des épidémiologistes n’est jamais trop prudent lorsqu’une énième tendance d’amélioration pointe le bout de son nez. Ces derniers jours, positifs mais très fragiles, ne font pas exception. En revanche, du côté d’Olivier Véran, le ministre de la Santé, le sens de la retenue peut tout à fait se conjuguer avec l’engagement de mesures d’assouplissements. Un mariage quelque peu déconcertant. « Depuis cinq jours, nous amorçons une décroissance de l’épidémie […] Mais cette diminution reste fragile : nous sommes toujours à un niveau très élevé de l’épidémie et la descente n’est pas encore suffisamment rapide et tranchée. Il nous faut continuer nos efforts », a-t-il déclaré lundi dans une interview donnée au Télégramme. Avant d’annoncer, une ligne plus loin, qu’un certain nombre d’allégements seraient envisagés à partir de la mi-mai. « Dès qu’on voit les premiers effets des mesures, on n’a qu’une idée en tête, c’est d’annoncer un futur proche de relâchement avant même de savoir ce qu’il en est réellement. C’est contre-productif, analyse Pascal Crépey, enseignant-chercheur en épidémiologie et biostatistiques à l’Ecole des hautes études en santé publique de Rennes. Appel à la pondération, donc.

Où en sommes-nous précisément, à moins d’une semaine de la rentrée des petites classes ? Au niveau des contaminations, la courbe semble avoir enclenché son affaissement. Début avril, la moyenne quotidienne d’individus testés positifs au Sars-CoV-2 effleurait les 40 000. Quinze jours plus tard, elle tourne autour des 33 000. Rien n’est pourtant évident, car dans le même temps, le nombre de dépistages a lui aussi fortement diminué. Dans son dernier bulletin épidémiologique, daté du 15 avril, Santé publique France faisait état d’une diminution de 18,6 % entre le nombre de tests réalisés la semaine du 5 avril au 11 avril (première semaine avec les établissements scolaires fermés) et la précédente. « Cet indicateur du nombre de cas est clairement brouillé par les jours d’école à la maison et les vacances scolaires, car les Français n’ont pas forcément toujours pris le temps d’aller se faire tester durant cette période compliquée, explique Pascal Crépey. En termes de lecture, c’est difficile de connaître le rôle exact de la baisse des tests réalisés vis-à-vis de la diminution totale des positifs détectés. Elle ne fait pas tout. On peut raisonnablement dire que le pic des contaminations est désormais passé. Mais nous devons encore attendre pour connaître le réel effet des mesures. »

« On est loin d’être sur une pente fantastique »

Quoi qu’il en soit, cette descente apparaît pour les spécialistes trop peu prononcée pour envisager le mois prochain avec sérénité. « On est loin d’être sur une pente fantastique. A priori, toutes les raisons laissent à penser que cette dynamique de baisse ne nous permettra pas d’atteindre mi-mai les 10 000 cas par jour, comme c’était à la sortie de la seconde vague, résume Renaud Piarroux, épidémiologiste et chef du service de parasitologie à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière. J’ai l’impression que le gouvernement a radicalement modifié sa doctrine. Il ne prend plus le temps d’atteindre un faible niveau de contamination. C’est très dangereux. En relâchant les mesures trop tôt, le risque c’est que la descente ralentisse ou même s’interrompe et que tous ces efforts aient été faits inutilement. » Pascal Crépey d’enchérir : « S’agissant du coût humain, ce n’est juste pas tenable de parier sur un nouveau plateau haut. » Actuellement, pas moins de 280 malades meurent en moyenne chaque jour à l’hôpital à cause de la maladie.

Selon le chercheur rennais, relâcher les mesures trop tôt pourrait aussi entraîner un « effet délétère » sur les capacités de contrôle face aux nouveaux variants, brésilien et indien en tête. « On sait que le contact-tracing et l’investigation des clusters sont les plus efficaces lorsque la circulation du virus est faible. Avec des dizaines de milliers de cas par jour, ce dispositif se grippe, développe-t-il. Si on ne prend pas le temps de baisser drastiquement le nombre de cas, on laisse l’opportunité aux variants d’avancer masqués, comme en ce début d’année. Or ils représentent un risque réel dont il faut se prémunir. »

« Quand est-ce qu’ils vont pouvoir souffler ? »

Surtout, pour le professeur Renaud Piarroux, il ne faudrait envisager de « lâcher la bride » qu’à partir du moment où l’hôpital serait en mesure de « fonctionner normalement ». Autrement dit, loin du mode dégradé et des déprogrammations massives aujourd’hui subis par les malades. Mardi, la France comptait 31 086 personnes hospitalisées pour le Covid-19 et 5 984 en soins critiques. Et même si les dernières modélisations de l’Institut Pasteur, mises à jour en tout début de semaine, anticipent désormais une « baisse des admissions à l’hôpital et des besoins en lits dans les jours qui viennent », les hospitaliers n’en ont pas fini avec la saturation de leurs services. « Quand est-ce qu’ils vont pouvoir souffler ? Quand est-ce qu’ils vont pouvoir rouvrir les blocs pour les autres patients qui attendent une opération chirurgicale ? interroge le médecin de la Pitié-Salpêtrière. Envisager une réouverture dans un contexte où l’hôpital sera encore dans le dur, ça me paraît inconcevable. C’est bien trop tôt. La situation concrète dans les hôpitaux, c’est tout de même ça, la vraie boussole. »